Driss Benhima

Si l’explosion du prix du pétrole va altérer les résultats de la deuxième compagnie aérienne africaine, elle n’entame en rien la détermination du PDG de Royal Air Maroc. Son plaidoyer : l’ouverture du ciel.

Publié le 7 juillet 2008 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : La RAM a connu une bonne année 2007. Comment se porte-t-elle à mi-parcours d’une année 2008 très agitée ?
Driss Benhima : Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas une année favorable. En 2008, nous opérons une retraite en bon ordre. Notre profitabilité sera fortement touchée, dans un contexte où le taux de remplissage de nos avions augmente grâce à un trafic aérien qui continue de croître dans le monde. Opérationnellement et commercialement, la RAM se porte bien.

Avez-vous une idée de votre bilan 2008 ?
Le chiffre d’affaires sera en progression. Mais il sera difficile d’arriver à un équilibre des coûts. Après un chiffre d’affaires de 12 milliards de DH en 2007 (1 milliard d’euros) et un résultat net de 110 millions de DH (9,5 millions d’euros), nous enregistrerons des pertes en 2008 avec un déficit modéré si le prix du pétrole se stabilise.

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La belle mécanique est-elle grippée ?
En 2007, Royal Air Maroc a fortement augmenté sa productivité. Cela s’est traduit par une baisse des prix sur les lignes traditionnelles. Sur un Casablanca-Paris, le prix moyen du billet a chuté de 40 %. On s’en sortait donc plutôt bien. Or intervient ce choc pétrolier, le plus dur de l’Histoire, qui a enrayé le phénomène de baisse continue du prix des billets. Mais nous avons décidé de rester la compagnie la moins chère entre l’Afrique occidentale et le reste du monde. Contrairement à ce que j’ai lu, nous ne vendons pas à perte ni ne perdons d’argent sur ces lignes.

Des compagnies annoncent une hausse du prix du kérosène de plus de 60 % depuis janvier. Et vous ?
C’est l’ordre de grandeur. Pourtant, nous n’avons que partiellement répercuté la hausse sur le prix des billets. Il y a en effet de nouvelles pratiques dans l’élaboration des prix. Les compagnies ne les fixent plus en fonction du coût de revient et de leur marge, mais au jour le jour selon l’évolution du marché. Conséquence : on trouve jusqu’à quinze tarifs pour un même vol ! Le marché est déconnecté de la réalité économique, cela ne tiendra pas longtemps.

C’est donc mission impossible ?
Il ne sera pas possible pour le transport aérien mondial de répercuter complètement le surcoût des carburants. Cette hausse affectera la profitabilité de l’ensemble du secteur et des acteurs. Des lignes fermeront, et l’on peut prédire que des compagnies disparaîtront. Chez nous, le coût du carburant entre pour moins d’un quart dans le prix du billet. C’est bien moins que les compagnies low-cost, plus impactées, puisque c’est leur poste de charge fixe le plus élevé. Les plus petites d’entre elles sont en difficulté. Il y a une recomposition du paysage aérien en cours.

Est-ce le cas d’Atlas Blue, la compagnie low-cost de RAM ?
Le prix du carburant à un impact plus important chez Atlas Blue, mais cela ne remet pas en cause notre stratégie. Atlas Blue est l’outil du groupe pour les marchés point à point entre le Maroc et l’Europe. La RAM se retire de ces marchés pour se spécialiser dans le réseau de continuation depuis notre hub de Casablanca. De 5 % en 2003, le trafic des passagers en transit atteindra 40 % cette année, alors que le trafic de la RAM a été multiplié par deux. Nous progressons grâce à la situation privilégiée et exclusive de notre hub, à bonne distance entre l’Afrique et l’Europe.

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Vous n’êtes pas seul dans ce casÂ
Notre situation n’est pas duplicable. Chez nous, ce sont les mêmes avions qui transportent les passagers de l’Europe à Casablanca et de Casablanca vers le reste du monde. Notre productivité est exceptionnelle, avec douze heures de vol par jour et par avion, contre moins de huit heures il y a quelques années. C’est un détail clé. Tous les hubs d’Afrique ne le permettent pas. Ils nécessitent deux types d’avions. Notre avantage compétitif est inscrit dans la géographie.

Mais les résultats de l’adhésion de la RAM à l’ouverture du ciel en 2006, le fameux « open sky », entre le Maroc et l’Europe, paraissent mitigésÂ
Ce contexte de libéralisation forcenée n’a pas tué la RAM mais a contribué à la développer, passant d’une trentaine à une cinquantaine d’avions. Nous sommes la seconde compagnie africaine derrière South African Airways. Et en plus, deux compagnies low-cost sont nées : Jet4you et Atlas Blue. Cela démontre que l’ouverture du ciel favorise le transport aérien, et ce n’est pas sûr qu’elle pénalise la création de compagnies nationales. Nous sommes pour l’ouverture du ciel africain. C’est le secret du développement du transport aérien, qui passe par la libéralisation et le désengagement des États. Rêver au retour de l’âge d’or d’Air Afrique est dépassé.

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Le continent est-il mûr pour un open sky africain ?
J’en suis convaincu. Cela permettrait une progression de transport aérien comme le continent n’en a jamais connu. La doctrine du développement à travers la protection du ciel a échoué. Le Maroc l’a démontré. Qu’est-ce qui est important ? Protéger la compagnie nationale ou favoriser le transport des populations ? Je suis un « afro-optimiste ». Les besoins en transport aérien sont là, et solvables. Les pays doivent permettre à toutes les compagnies de répondre à cette demande.

Pourtant, vos expériences sur le continent ne militent pas dans ce sensÂ
Au Sénégal, le succès exceptionnel d’Air Sénégal International (ASI) a modifié les attentes. Au début, l’idée était de créer une compagnie à l’ambition limitée, avec peu d’avions. Les divergences qui sont apparues ont porté sur le rythme de la croissance d’ASI. Nous pensons qu’il faut avancer étape par étape plutôt que de risquer un dérapage, comme celui de 2006. Il revient à la compagnie nationale de trancher. Le découplage entre la RAM et ASI se fera dans un respect mutuel. J’ai plus été affecté par des articles injustes que par la volonté du gouvernement sénégalais de reprendre le contrôle de la compagnie.

Et dans les autres pays ?
Au Cameroun, nous n’avons pas été convaincus par la pertinence de l’appel d’offres, donc nous avons été normalement écartés. Au Gabon, la divergence a porté sur la nature de la flotte. Nous ne voulions pas d’un long-courrier « double couloir ». Il ne serait pas rentable. Nous espérons nous être trompés et que la réussite de Gabon Airlines durera.

Cette ouverture du ciel vaut-elle aussi pour le Maghreb ?
Évidemment. Nous sommes trois compagnies nationales, et notre flotte réunie est inférieure à celle de Turkish Airways. La RAM a 14 vols par jour sur Dakar et 4 par semaine sur Alger. Est-ce normal ? Cela ne favorise que les compagnies européennes. Économiquement, c’est une erreur de ne pas s’ouvrir entre nous. Il faudrait un open sky maghrébin. Cela nous permettrait d’atteindre la table des grands. Le pire serait que chaque pays négocie l’ouverture de son ciel avec l’Europe.

Pourtant c’est ce qu’a fait le Maroc en 2006Â
L’open sky avec l’Europe a été conclu à la demande du Maroc. Or la bonne volonté européenne vers le Sud est très médiatisée mais, quand il s’agit de parler de business, la volonté de partenariat devient virtuelle. La libéralisation du ciel n’a pas conduit à ce que la RAM bénéficie des mêmes droits que les compagnies européennes dans le ciel européen !

Comment atteindre la « table des grands » ?
Il faudrait un champ élargi et des droits de trafic illimités en Afrique. Il faudrait créer des regroupements, un réseau d’alliances, essentiellement commercial, qui regrouperait toutes les compagnies de la région, du Sénégal à la Libye.

Cela passe-t-il pour vous par des opérations de croissance externe ?
On n’exclut pas l’idée d’investir dans des nouvelles destinations et de nouveaux partenariats.

Comment voyez-vous l’avenir ?
Très réactive, Royal Air Maroc est comme un félin aux aguets. La configuration du ciel dépendra beaucoup du prix du pétrole, dont on ne sait ce qu’il sera dans six mois. Nous sommes dans une tendance historique à la hausse, il faudra vivre avec. Des générations entières d’avions disparaîtront, surtout en Afrique. Pas parce qu’ils sont moins sûrs, mais ils sont trop coûteux à exploiter.

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