Chute de Moktar Ould Daddah
10 juillet 1978
Nouakchott, lundi 10 juillet 1978 : il n’est pas 6 heures du matin quand quelques coups discrets retentissent à la porte du palais présidentiel. Moktar Ould Daddah est déjà debout, habillé et rasé. Ses trois enfants, eux, dorment encore, loin de leur maman, Meriem, depuis deux jours à Dakar pour un séminaire. « Entrez, la porte n’est pas fermée », lance calmement le chef de l’État mauritanien. Il s’adresse sans le savoir aux lieutenants Jeddou et Moulay Hachem (son aide de camp adjoint). Derrière la porte, ce dernier se répète intérieurement une petite phrase, brève et simple, qui va dévier la Mauritanie de sa trajectoire pour au moins deux décennies. « L’armée vous retire sa confiance », annonce Moulay Hachem, grave, à son maître d’hier. Moktar Ould Daddah, le premier président du pays, le père de la nation, le « guide éclairé » que célèbre encore une affiche placardée dans Nouakchott, est renversé. « Je suis prêt à vous suivre, répond l’icône déchue. Quand mes enfants se réveilleront, confiez-les à ma soeur. »
Tandis que Ould Daddah est placé en résidence surveillée avec ses ministres, un Comité militaire de redressement national (CMRN) autoproclamé exécute la partition classique du coup d’État sans effusion de sang. Bouclage du quartier des ministères, suspension du trafic automobile, couvre-feu (de 18 heures à 6 heures). La radio diffuse un long communiqué expliquant que « les forces armées ont [Â] repris le pouvoir à ceux qui l’ont lâchement spolié, pour sauver le pays et la nation de la ruine et du démembrement [Â] ». La Constitution est suspendue, le gouvernement, le Parlement et le Parti du peuple mauritanien (PPM), dissous.
Dans la journée, Nouakchott commence à bruire du nom du chef des putschistes : Mustapha Ould Mohamed Salek. Ce lieutenant-colonel de 43 ans, qui aime à porter le battle-dress, n’est autre que le chef d’état-major. Il prétend avoir renversé Moktar Ould Daddah parce qu’il menait le pays « à la catastrophe » et lui imposait des « sacrifices douloureux ». Depuis plus de deux ans, la petite et jeune Mauritanie est empêtrée dans la guerre du Sahara. Contre le Polisario, aux côtés du Maroc, elle s’épuise en dépenses militaires, elle qui ne subsiste qu’à la faveur de l’aide étrangère et de ses exportations de fer. Les fonctionnaires sont payés à coups d’expédients, et, dans tous les cas, leurs salaires sont amputés de 25 % pour l’effort de guerre. La dette extérieure est lourde. L’ouguiya, la monnaie nationale, ne vaut plus rien. Depuis quelque temps, certains dénoncent l’autoritarisme du régime, la corruption et ces incessants « mots d’ordre venus d’en haut ». Et puis, surtout, cette guerre contre les frères sahraouis semble insensée.
Comme à son habitude, la population – 1,5 million d’habitants à l’époque – prend les événements avec un certain détachement, voire avec désinvolture. Mais autour, on réagit : Rabat s’empresse d’y voir la main d’Alger, Alger se demande comment Rabat, l’allié de Nouakchott, a pu ignorer ce qui se tramait, le Polisario se réjouit. À Khartoum, pour la préparation du quinzième sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Hamdi Ould Mouknass, essaie de joindre Nouakchott. En vain. « Nous voilà putschistes, comme beaucoup d’États africains représentés ici », déplore l’un de ses collaborateurs. Et pour plus de vingt ans. Le dernier coup d’État à Nouakchott remonte au 3 août 2005.
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