Au coeur de la bataille mondiale

Les négociations en cours sur MTN placent le continent sur les radars des investisseurs internationaux. Venus d’Inde, du Golfe ou d’Europe, ils sont prêts à mettre les moyens pour prendre position dans l’une des dernières zones de croissance.

Publié le 7 juillet 2008 Lecture : 8 minutes.

Cinquante milliards de dollars : c’est le prix que vaut aujourd’hui MTN, le numéro un africain de la téléphonie mobile. Dix fois plus que le montant déboursé en 2006 par le même MTN pour s’emparer d’Investcom, qui lui a ouvert les portes du Moyen-Orient. Ou encore 15 fois ce que valait l’autre major du secteur, Celtel, lors de sa cession en 2005 au groupe koweïtien MTC. Flatteuse pour l’entreprise sud-africaine, l’évaluation reflète également le formidable boom qu’a connu le secteur de la téléphonie mobile en Afrique : fin 2007, le continent comptait 279 millions d’abonnés, soit 30 % de la population, 100 millions de plus qu’un an plus tôt. Il est donc logique que le continent suscite désormais le plus vif intérêt de la part des investisseurs internationaux. La première grande bataille a été lancée autour de MTN d’abord par l’indien Bharti Airtel puis, après l’échec de leurs négociations, par son compatriote Reliance. L’opération d’acquisition, qui devrait prendre la forme d’une fusion, serait sans nul doute la plus importante de 2008, portant l’Afrique tout en haut de la liste des opérations financières internationales.
Mis à part quelques opérations spectaculaires – l’acquisition de Celtel par MTC (3,4 milliards de dollars), celle d’Investcom par MTN (5,5 milliards) et de nombreuses acquisitions de sociétés locales -, l’Afrique est restée à l’écart du phénomène de concentration qui rythme la vie des affaires. Plusieurs éléments rendent celui-ci désormais inéluctable. Le premier est la raréfaction des opportunités ailleurs dans le monde. Au cours des dernières années, les rapprochements d’opérateurs ont été nombreux sur tous les grands marchés occidentaux : en Europe de l’Ouest, les opérations d’acquisition ou de fusion ont porté sur plus de 450 milliards de dollars depuis 2001 ; en Amérique du Nord, sur environ 800 milliards. Les marchés des télécoms arrivant progressivement à une relative saturation, avec une forte domination de quelques acteurs comme France Télécom, Telefónica ou Vodafone en Europe, l’attention se tourne vers les pays émergents, la croissance des opérateurs a été très forte ces dernières années. En 2007, la principale opération de rachat dans le secteur des télécoms au niveau mondial n’a eu lieu ni en Europe ni aux États-Unis, mais en Amérique latine, avec la fusion au Mexique, pour 23,4 milliards de dollars, d’América Móvil, le principal opérateur latino-américain, et d’América Telecom. Si la deuxième plus grande opération s’est déroulée aux États-Unis, la troisième a elle aussi eu lieu dans un pays émergent, l’Inde, avec l’acquisition par Vodafone de Hutchinson Essar, pour 9,4 milliards de dollars.

Des licences à attribuer
Le deuxième facteur jouant en faveur d’une concentration des opérateurs en Afrique serait l’arrivée progressive à saturation de plusieurs marchés et la raréfaction des opportunités pour les développer. En réalité, ce n’est pas si simple. Si l’année dernière une poignée de marchés seulement, dont l’Afrique du Sud ou les Seychelles, semblaient approcher de la saturation, ils sont beaucoup plus nombreux aujourd’hui : parmi eux, sans surprise, les marchés du Maghreb, dont l’Algérie (27,6 millions d’abonnés) et la Tunisie (8,9 millions), deux pays affichant des taux de pénétration supérieurs à 80 %. Un temps en retard, l’Égypte a vu le nombre de ses abonnés plus que doubler en un an et demi, pour atteindre 32 millions, soit près de 38 % de la population. Plus surprenant, le phénomène a également gagné le sud du Sahara, avec des pays comme le Botswana ou le Gabon, désormais proches de la saturation. La Côte d’Ivoire, un des marchés les plus dynamiques en 2007, compte déjà 7,5 millions d’abonnés pour 18 millions d’habitantsÂÂ
Étant donné le niveau de vie de nombre de pays africains, le taux de pénétration pourra-t-il réellement dépasser les 50 % ? La question est posée depuis plusieurs années, mais le ralentissement n’est pas encore là. « Il reste quelques licences à attribuer. Une est en cours à São Tomé. Ensuite, l’Éthiopie et l’Érythrée n’ont qu’un seul opérateur, pour des taux de pénétration tournant autour de 2 % », explique Thecla Mbongue, analyste chez Informa Telecoms & Media. Devine Kofiloto, consultant chez Teleplan, se veut également confiant : « Des opportunités, bien que limitées, existent. Comme l’attribution d’une nouvelle licence en Sierra Leone. »
Le troisième facteur jouant en faveur de la concentration inévitable des télécoms africaines est la montée en puissance de groupes financièrement bien dotés, qui ne cachent pas, pour la plupart, leur volonté de bâtir des groupes de taille mondiale. Parmi eux, de nouveaux venus. L’émirati Warid a ainsi racheté la licence de Cellcom en Côte d’Ivoire après s’être lancé au Congo-Brazzaville et en Ouganda. Venu d’Abou Dhabi, Hits Telecom a acquis des licences au Burundi, en Ouganda, en Guinée équatoriale ; il a pris une participation dans Libercell au Liberia et lorgne la RD Congo. Soutenu par des investisseurs du Golfe, Sudatel s’est implanté en Mauritanie, au Nigeria, et sera bientôt au Sénégal. Le libyen LAP Green a remporté les privatisations des opérateurs publics ougandais et rwandais et vient d’acquérir 75 % du capital d’Oricel, le sixième opérateur ivoirien. Avec Zain, propriétaire de Celtel et installé au Soudan, Etisalat, actionnaire d’Atlantique Télécom (Moov) et présent au Nigeria, ou encore Maroc Télécom (Gabon et Burkina), les compagnies nord-africaines et moyen-orientales ont multiplié les acquisitions pour se faire une place sur le continent africain. Il faut désormais réellement compter avec ces nouveaux investisseurs. Tout comme il faudra s’habituer à l’émergence de sociétés de téléphonie fixe dans le secteur du mobile. « Fini les licences mobiles ou fixes séparées, les autorités de régulation privilégient désormais les licences globales et redimensionnent aussi les licences attribuées auparavant », explique Thecla Mbongue. Conséquence, de nouveaux acteurs spécialistes du fixe, comme le sud-africain Telkom, vont s’intéresser au téléphone mobile. À l’inverse, les opérateurs de mobile vont faire du fixe. Selon ce concept d’opérateur intégré, les deux segments du marché, jusqu’alors distincts, devraient se rassembler, multipliant mécaniquement le nombre d’acteurs.

la suite après cette publicité

Les Européens à l’affût
Les noms des autres prédateurs potentiels sont désormais connus. En bonne place dans la liste, France Télécom, pour qui l’année 2007 a été faste. Déjà présent dans huit pays africains, le groupe français s’est installé en Guinée, en Guinée-Bissau, en Centrafrique puis au Niger. Au Kenya, il a décroché la privatisation de l’opérateur de téléphone fixe Telkom, présageant de possibles développements à venir dans le mobile. Avec un résultat d’exploitation de plus de 10 milliards d’euros l’année dernière, les caisses sont pleines et permettent à France Télécom d’envisager d’autres acquisitions en Afrique. Un autre opérateur européen pourrait faire parler de lui. S’il compte trois fois moins de clients en Afrique subsaharienne que France Télécom, Portugal Telecom s’est doté d’un holding d’investissement nommé Africa Holding qui a accueilli dans son capital les désormais redoutables financiers de Helios Partners, une boutique d’investissement basée à Londres. En revanche, le comportement à venir de Vodafone, l’une des dix premières sociétés de télécommunications du monde, est incertain. Présent en Égypte et au Kenya, Vodafone est coactionnaire de Vodacom en Afrique du Sud, elle-même présente en Namibie, au Mozambique, en Tanzanie et au Lesotho. Le géant britannique a tenté de prendre le contrôle total de Vodacom mais n’y est pas parvenu pour l’instant. Si le groupe a semblé marquer le pas en Afrique, il serait en passe de racheter, à l’heure où nous mettons sous presse, Ghana Télécom pour 960 millions de dollars.
Restent les cibles potentielles. Outre les quelques opérateurs locaux privés encore en activité et les sociétés publiques privatisables, certains groupes sont déjà ou pourraient être rapidement à la vente : c’est le cas, notamment, de Comium, qui compte environ un million de clients entre la Sierra Leone, le Liberia et, depuis l’année dernière, la Gambie et la Côte d’Ivoire. Les filiales africaines du groupe libanais pourraient rapidement être vendues au plus offrant. Millicom-Tigo serait également une belle cible, bien que nettement plus réticente : le groupe, basé au Luxembourg, compte en effet 6 millions d’abonnés dans six pays africains, et également une présence en Amérique latine et en Asie. Le sort d’Orascom et de MTN, les deux grands opérateurs africains encore indépendants, est en suspens. Le premier, avec une valorisation boursière d’environ 10 milliards d’euros, est une cible évidente pour les grands opérateurs internationaux, qui devront tout d’abord se mettre d’accord avec la famille Sawiris, actionnaire majoritaire. Orascom est en tout cas une proie de choix car il est présent sur les marchés les plus dynamiques du monde, ceux du Moyen-Orient. Mais le groupe égyptien, dont l’actionnaire de référence s’est déjà développé en Italie et en Grèce, est aussi suffisamment puissant pour pouvoir acheter lui-même des concurrents. Le cas de figure est similaire pour l’opérateur sud-africain MTN, numéro un du continent avec 52 millions d’abonnés en Afrique à la fin du premier trimestre 2008. Il a l’assise financière pour s’emparer d’adversaires. Mais il est aussi une cible idéale. Début mai, ses dirigeants confirmaient des discussions avec l’indien Bharti Airtel pour un éventuel rachat par ce dernier. L’ensemble aurait formé l’un des tout premiers groupes mondiaux, avec plus de 130 millions d’abonnés. Les pourparlers ont été rompus quelques semaines plus tard, et MTN a aussitôt annoncé des discussions avec un autre indien, Reliance, cette fois pour une fusion. Un autre concurrent, Etisalat, déjà implanté en Afrique, se disait au même moment également intéressé par MTN, qui compléterait à peu près parfaitement – à l’exception notable de la Côte d’Ivoire – son implantation africaine avec Moov. Dans tous les cas, la meilleure des cartes à jouer pour MTN serait une fusion, qui lui permettrait de devenir l’un des tout premiers opérateurs mondiaux. Il en a la possibilité. Et si la bataille est rude autour de ce joyau, elle est aussi à la hauteur des espoirs que le continent suscite désormais au sein de la communauté des investisseurs internationaux.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires