Une solide Constitution

Le projet de Loi fondamentale de l’ancien président français Giscard d’Estaing a été accueilli par un concert de louanges.

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 4 minutes.

Valéry Giscard d’Estaing a remarquablement joué : le projet de Constitution européenne qu’il a contribué à élaborer, en tant que président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, servira de base aux travaux préalables à l’adoption d’un traité solennel, comme l’ont décidé les chefs d’État et de gouvernement réunis à Thessalonique (Grèce) du 19 au 21 juin. Une façon pour l’ancien président de donner une nouvelle jeunesse à la déclaration faite par Victor Hugo devant l’Assemblée constituante française, en 1848 : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. » Pour l’instant, nous sommes dans la première phase de cette prophétie : l’Europe médite.
Car elle ne pouvait plus poursuivre sa route avec les textes et les institutions qui s’étaient empilés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les critiques dénonçaient tour à tour un fatras réglementaire, la bureaucratie bruxelloise, l’impossibilité pour les citoyens de mettre un visage sur des rouages complexes dispensateurs de mannes budgétaires et d’interdits. Henry Kissinger, alors secrétaire d’État américain, avait résumé ces carences en se moquant : « Quand j’appelle l’Europe au téléphone, il n’y a personne au bout du fil. » Et, à son époque, dans les années soixante-dix, la Communauté européenne ne comptait que neuf membres. Avec vingt-cinq États à partir de 2004, l’Union promettait de se transformer en une gigantesque pétaudière que les chefs d’État et de gouvernement se sont promis d’éviter, il y a deux ans, en confiant à la Convention le soin de proposer un nouvel ordre politique.
Au terme de seize mois de travail, soit quarante-huit jours de séances plénières pour rédiger trois cent quarante articles, les cent cinq « conventionnels » proposent de remplacer par un seul traité les différents textes adoptés depuis cinquante ans : traité de Rome (1957), Acte unique (1986), traités de Maastricht (1992), d’Amsterdam (1997) et de Nice (2000), plus la Charte des droits fondamentaux. L’Union serait dotée de la personnalité juridique : tout un symbole !
Après la clarification, la visibilité : pour en finir avec une présidence tournante tous les six mois (depuis le 1er juillet 2003, l’Italie), il est proposé l’élection d’un président par le Conseil européen des vingt-cinq chefs d’État et de gouvernement pour une durée de deux ans et demi renouvelable une fois. Un super-Conseil des ministres « législatif et affaires générales » se substituerait aux Conseils actuels et serait seul habilité à voter les lois qui nécessitent l’accord du Parlement de Strasbourg. Celui-ci verrait ses compétences accrues, notamment en matière budgétaire.
Un ministre des Affaires étrangères serait nommé par le Conseil avec l’accord du président de la Commission. Celle-ci verrait le nombre de ses commissaires passer de vingt à quinze, tandis que son président serait choisi par le Conseil et investi par le Parlement. Enfin, au plus tard en 2012, les sujets sur lesquels la majorité et non l’unanimité sera requise passeraient de trente-sept à quatre-vingts ; mais la majorité devrait impliquer treize États sur vingt-cinq représentant les trois cinquièmes de la population européenne.
Le concert de louanges qui a accueilli la publication de ce projet n’était pas que de circonstance. Le chancelier allemand « pourrait le signer tel quel ». Tony Blair y trouve « un bon équilibre qu’il ne faut pas bouleverser ». Jacques Chirac applaudit « la meilleure synthèse possible ». Même les « petits » États y vont de commentaires flatteurs : le Premier ministre portugais y voit « des progrès remarquables » ; son collègue luxembourgeois, « des avancées spectaculaires » ; le Premier ministre grec juge qu’un « autre compromis serait très difficile à trouver ».
En sourdine, tout le monde râle. Les Polonais et les Espagnols ne sont pas contents parce qu’ils ne disposeraient plus du moyen de bloquer certaines décisions et qu’ils voudraient que le préambule fasse référence à la religion chrétienne. Les souverainistes se désespèrent qu’une majorité puisse imposer ses vues par exemple en matière de politique agricole. Les europhiles se demandent si un ministre des Affaires étrangères (l’Allemand Joschka Fischer ?) a une utilité, puisque la politique étrangère demeurerait de la compétence des États. Les pro-Américains redoutent qu’une politique de défense commune disqualifie l’Otan. Les juristes s’attendent à des conflits entre le président (le Français VGE ?) choisi par le Conseil et celui de la Commission. Les esthètes trouvent que cette Constitution a moins de panache que celle dont les Américains se sont dotés, en 1787, à Philadelphie, oubliant qu’ils étaient alors 3,5 millions d’habitants et que l’Europe en compte 450 millions. Enfin, les pessimistes prédisent que, de démagogie en chauvinisme, la Conférence intergouvernementale, qui se saisira du projet en octobre, « détricotera » cette savante construction.
Gageons qu’il n’en sera rien et que la nouvelle Constitution sera solennellement signée à Rome avant les élections européennes du 13 juin 2004. Le projet contient une assurance tous risques, un article I-59 qui stipule : « Tout État membre peut, conformément à ses règles constitutionnelles, décider de se retirer de l’Union européenne. » Voilà qui rassurera les frileux. Mais qui, demain, osera se retirer de la puissante dynamique continentale initiée par Jean Monnet et qui apporte paix et prospérité en dépit d’imperfections et de déséquilibres manifestes ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires