Un cow-boy en Afrique

Sénégal, Nigeria, Afrique du Sud, Botswana et Ouganda. Du 8 au 12 juillet, le président américain George W. Bush dispensera dans ces cinq pays manne et bonnes paroles. Au menu : terrorisme, sida et… libre entreprise.

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 7 minutes.

Annoncée pour la mi-janvier 2003, puis reportée sine die, en raison des préparatifs de guerre contre l’Irak, la tournée africaine de George W. Bush a lieu finalement en plein sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, prévu, cette année, à Maputo (Mozambique). Le président américain visitera au pas de course, du 8 au 12 juillet, cinq pays, qui, à un degré ou à un autre, peuvent être qualifiés de démocraties : le Sénégal, Le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Botswana et l’Ouganda. Si l’on s’en tient à l’agenda fourni par la Maison Blanche, il renonce donc de facto à intervenir devant les participants du VIe sommet Leon-Sullivan (anciennement connu sous l’appellation sommet Africains/Africains-Américains), qui doit se tenir du 14 au 18 juillet à Abuja (Nigeria).
Bush, qui foule le sol africain pour la seconde fois (en février 1992, il a représenté son père, le président George H. Bush, aux cérémonies commémoratives du vingt-septième anniversaire de l’indépendance de la Gambie), profitera de l’occasion pour rappeler les grandes lignes de la politique africaine des États-Unis ainsi que deux ou trois thèmes qui lui tiennent le plus à coeur : la lutte contre le terrorisme, le sida, l’éducation et la libre entreprise. Outre son épouse Laura, il sera accompagné de certains de ses plus proches collaborateurs, parmi lesquels le secrétaire d’État Colin Powell et la conseillère pour la sécurité nationale Condoleezza Rice.
Ce périple intervient quelques semaines après la signature d’une loi sur la création d’un fonds de lutte contre le sida doté de 15 milliards de dollars, dont l’essentiel ira, au cours des cinq prochaines années, aux douze pays africains les plus touchés par la pandémie. Et au lendemain du long plaidoyer pour l’Afrique que le président américain a prononcé le 26 juin dernier devant plusieurs chefs d’État et hommes d’affaires africains conviés à Washington par le Corporate Council on Africa (le Conseil des entreprises sur l’Afrique). La lecture de son discours fournit quelques indications sur les préoccupations immédiates du président américain. Morceaux choisis.
D’abord, la sécurité : « Les États-Unis consacreront 100 millions de dollars au cours des quinze prochains mois afin d’aider les pays d’Afrique de l’Est à lutter plus efficacement contre le terrorisme. Nous travaillerons avec le Kenya, l’Éthiopie, Djibouti, l’Ouganda et la Tanzanie, afin d’améliorer leurs moyens, notamment dans le domaine de la sécurité aérienne et portuaire, les patrouilles côtières et frontalières, les banques de données pour suivre la trace des terroristes, le partage d’informations relevant des services de renseignements, et les moyens nécessaires pour stopper le financement du terrorisme. »
Ensuite, la santé et l’éducation : « Notre partenariat avec l’Afrique est de faire en sorte que les avantages de la santé et de l’alphabétisme soient généralisés. Ce travail commence par la lutte contre le sida, une maladie qui touche déjà près de 30 millions d’Africains. […] Mon gouvernement a décidé d’affecter 200 millions de dollars à la formation de 420 000 enseignants africains. » Puis, l’aide, qui sera désormais réservée aux seuls États qui épouseront trois grandes orientations : « gouverner avec justice », « investir en priorité dans la santé et dans l’éducation », « appliquer une politique qui encourage la liberté économique ». « Un régime corrompu, qui ne donne rien à son peuple, n’a rien à recevoir de nous, a martelé Bush. En revanche, les gouvernements qui servent leur peuple méritent notre aide, et nous la leur fournirons. »
Première escale donc, Dakar, où la délégation américaine, à bord d’Air Force One (voir encadré), arrive en réalité le 8 juillet, pour quelques heures. Considéré, à juste titre, comme la plus ancienne démocratie de l’Afrique de l’Ouest, « berceau » de la francophonie, le Sénégal est devenu, ces dernières années, un passage obligé pour les présidents américains, qu’ils soient démocrates ou républicains. Bill Clinton s’y était rendu en avril 1998. Par ailleurs, lors de la première guerre du Golfe, en 1991, l’ancien chef de l’État Abdou Diouf s’était rangé dans « le camp de la liberté » et avait, on s’en souvient, envoyé des troupes « pour protéger les Lieux saints » de l’islam. Et son successeur, Abdoulaye Wade, est devenu, en l’espace de trois ans, un interlocuteur très courtisé à Washington.
Après les attentats du 11 septembre, le président sénégalais, qui s’entretient régulièrement au téléphone avec George W. Bush et ses principaux collaborateurs (dont la conseillère pour la sécurité nationale Condoleezza Rice), avait organisé un Forum africain sur le terrorisme à Dakar. Partisan d’une solution onusienne, Wade a néanmoins habilement évité, contre son opinion publique, de critiquer l’opération militaire américano-britannique à Bagdad. Une position qui lui a permis par la suite, selon nos informations, de jouer les (discrets) médiateurs entre le chef de la Maison Blanche et le président français Jacques Chirac, en conflit ouvert sur le dossier irakien.
George W. Bush félicitera au passage ses hôtes pour leur politique en matière de prévention et de lutte contre le sida, le Sénégal ayant un taux de prévalence (pour les adultes) parmi les plus faibles de la planète (0,50 %). Il profitera également de cette brève escale pour, affirme une source privilégiée, s’entretenir avec d’autres chefs d’État ouest-africains. Sont donc attendus à Dakar pour un minisommet le Béninois Mathieu Kérékou, le Burkinabè Blaise Compaoré, le Ghanéen John Kufuor, le Malien Amadou Toumani Touré, le Nigérien Mamadou Tandja et le Sierra-Léonais Ahmad Tejan Kabbah. Sans doute le numéro un américain rappellera-t-il aux uns et autres ce qu’il a dit avant de quitter Washington : « Le président libérien Charles Taylor doit démissionner, s’il veut épargner à son peuple de nouvelles effusions de sang. »
Tout comme son prédécesseur Bill Clinton, en avril 1998, Bush fera un (très rapide) pèlerinage à Gorée, mais, prévient-on à la Maison Blanche, il ne présentera pas d’excuses pour la responsabilité de son pays dans la traite des nègres. « Je ne lui ai rien demandé de tel, nous a confié le président sénégalais dans un entretien téléphonique. On ne peut pas effacer l’esclavage à coups d’excuses et de réparations, sinon cela reviendrait à dire, je te paie tant de millions de dollars et on considère que l’esclavage n’a jamais existé ! Ce crime doit rester à jamais inscrit dans nos mémoires et dans celles de ses instigateurs. »
De Dakar, George W. Bush s’envolera, normalement, pour le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique et qui exporte 15 % de son pétrole vers les États-Unis. Il apportera son soutien au président Olusegun Obasanjo, réélu en avril dernier dans des conditions controversées, et dont le régime fait face à une menace islamiste. Puis ce sera, dans la foulée, l’Afrique du Sud, l’un des plus importants partenaires commerciaux des États-Unis sur le continent, une escale qui risque d’être pour le moins animée.
En phase avec son opinion publique, le président sud-africain Thabo Mbeki n’a pas caché son opposition à une guerre en Irak sans le feu vert préalable du Conseil de sécurité des Nations unies. Son parti, le Congrès national africain (ANC), a même envoyé une délégation à Bagdad. Des personnalités de premier plan telles que l’archevêque Desmond Tutu ont fermement condamné l’intervention des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Winnie Madikizela-Mandela s’est même proposée, sans mettre sa menace à exécution, d’aller à Bagdad comme bouclier humain. Quant à son ex-mari Nelson Mandela, connu pour ses commentaires acides sur la politique extérieure de Bush, il sera opportunément absent, début juillet. Madiba est, en effet, attendu au même moment en Grande-Bretagne, où il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il rencontre… Bill Clinton.
Entre Pretoria et Washington, les dossiers qui fâchent ne manquent pas. Les Américains ont, à plusieurs reprises, condamné l’opposition de Thabo Mbeki aux antirétroviraux, pourtant indispensables pour soigner les malades du sida. Tout en saluant le rôle déterminant joué par les Sud-Africains dans la recherche d’une solution à la guerre en République démocratique du Congo, ils déplorent la réticence des autorités à condamner avec plus de vigueur leur voisin zimbabwéen Robert Mugabe, comparé volontiers, à Londres tout comme à Washington, à un Slobodan Milosevic ou à… Saddam Hussein.
Le président américain mettra ensuite le cap sur le Botswana, pour se rendre compte de visu des ravages provoqués par l’épidémie du sida dans ce pays démocratique et riche en diamants, mais considéré comme l’un des plus atteints de la planète. Puis ce sera l’Ouganda, un pays qui, dans l’affaire irakienne, a pris fait et cause pour Washington, et qui, à l’instar du Sénégal, fait figure de bon élève en matière de lutte contre le sida. Si l’on en croit en effet l’Onusida, Kampala a réussi, en très peu d’années, à inverser de façon spectaculaire la logique de la mort. Le mal est ciblé et résolument combattu. George W. Bush – c’est promis – aidera ses hôtes à lui porter l’estocade. Avant de leur administrer un autre virus, celui de la libre entreprise…

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