Transition, An I

Le processus politique qui s’amorce pour vingt-quatre mois promet d’être complexe. Le gouvernement d’union nationale mis en place le 30 juin pourra-t-il résister aux conflits d’intérêts et de personnes ?

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Joseph Kabila aime les symboles. Aussi le choix de la date comme celui du lieu ne doivent rien au hasard. C’est à Mbandaka, dans la province de l’Équateur, une zone où ses troupes affrontèrent violemment la rébellion de Jean-Pierre Bemba en 2000, qu’il a annoncé la nomination du gouvernement de transition. Quant à la date, elle appartient déjà à la mémoire collective congolaise, puisque le 30 juin, la RDC célébrait le 43e anniversaire de son indépendance.
Au-delà des symboles, le processus de transition politique qui s’amorce en RDC s’annonce particulièrement complexe. Les institutions censées régir le pays durant les vingt-quatre mois à venir semblent plus représentatives des intérêts personnels des différents leaders impliqués que des populations pour lesquelles ils affirment combattre. Et plus que le reflet des opinions congolaises, ce nouveau gouvernement répond d’abord à l’équation ethnique sans laquelle aucun consensus n’est possible au pays de Patrice Lumumba.
L’équipe qui doit mener le pays vers des élections libres et démocratiques compte trente-cinq ministres et vingt-cinq vice-ministres. Les portefeuilles sont répartis très scientifiquement entre les composantes du Dialogue intercongolais, conformément à l’Accord global conclu le 17 décembre 2002 à Pretoria. Chacune des « grandes » composantes – gouvernement, Mouvement de libération du Congo (MLC), Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et opposition politique – se voit attribuer sept ministères et quatre postes de vice-ministres, les portefeuilles restants étant répartis entre la société civile et les factions les moins importantes (RCD-ML, RCD-National et Maï-Maï). Les quatre vice-présidents, qui assisteront Joseph Kabila dans sa tâche, ont été désignés en avril et en mai. Il s’agit de Jean-Pierre Bemba pour le MLC, d’Abdoulaye Yerodia Ndombasi pour le gouvernement sortant, d’Azarias Ruberwa pour le RCD et d’Arthur Zahidi Ngoma pour l’opposition non armée.
Les personnalités qui composent le gouvernement de transition ont été choisies à la fois sur une base politique et sur une base régionale. Une alchimie censée assurer la représentation des onze provinces de la République, mais qui ne tient pas forcément compte des compétences réelles de chacun. Le critère géographique a d’ailleurs été intégré dans la tactique des ex-belligérants, soucieux de s’assurer des représentants dans des régions autres que celles où ils se trouvaient précédemment cantonnés. Une manière de se prépositionner avant les échéances électorales prévues pour 2005.
Ainsi, le MLC, implanté militairement dans le nord du pays, a pris soin de choisir comme ministres des hommes venant des provinces « gouvernementales ». C’est notamment le cas d’Antoine Ghonda, le nouveau ministre des Affaires étrangères, originaire de la province occidentale du Bas-Congo. Et dès le 30 juin, Jean-Pierre Bemba a annoncé la transformation de son mouvement rebelle en parti politique.
Mais d’ores et déjà des voix s’élèvent pour dénoncer cette clé de répartition, notamment au sein de l’opposition non armée, où le débat est particulièrement houleux. Parmi elles, François Lumumba, président du Mouvement national congolais-Lumumba (MNC-L), fustige ce « mécanisme de désignation fondée sur les provinces et même les tribus, un mécanisme qui est contraire à l’idéal de notre parti et à la Constitution de la transition ». Le fils du premier Premier ministre du Congo s’inquiète de l’institutionnalisation du tribalisme, et craint que cette situation ne s’étende « aux affectations dans l’administration territoriale, la diplomatie, les entreprises et les services publics, ainsi que dans l’armée, la police et les services de sécurité ».
Selon ses adversaires, François Lumumba n’aurait pas digéré d’être écarté de la liste des candidats de l’Opposition politique au motif que deux autres politiciens originaires du Kasaï oriental y figuraient déjà. Reste que l’absence de certains ténors de la scène politique congolaise, comme celle d’Antoine Gizenga, leader du Parti lumumbiste unifié (Palu), et surtout celle d’Étienne Tshisekedi, président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), pose problème. Le Sphinx de Limete est certainement l’homme le plus populaire de l’opposition. Et le fait qu’il n’apparaisse pas sur la liste gouvernementale jette déjà une ombre de soupçon sur le processus qui s’amorce.
Pour les supporteurs de « Tshitshi », son éviction résulterait d’un accord secret conclu entre Joseph Olenghankoy, président des Forces novatrices pour l’union et la solidarité (Fonus), Arthur Zahidi Ngoma et le président Kabila. En éliminant cet encombrant personnage, le premier se propulse comme la principale figure politique du Kasaï et renforce son leadership sur la région ; le deuxième hérite du poste de vice-président dévolu à l’opposition non armée ; et le troisième écarte l’un de ses challengers les plus sérieux. Chacun semble y trouver son compte, et seul Azarias Ruberwa, président du RCD, a indiqué son souhait de voir Tshisekedi participer au gouvernement de transition. Bref, le processus de transition semble plus dicté par le rapport de forces sur le terrain – qu’il s’agisse de l’armée régulière ou de groupes rebelles – que par la sensibilité politique des populations. Et c’est bien l’accord intervenu entre le gouvernement et les rebelles sur le partage des postes dans la future armée intégrée qui a conduit au déblocage de la situation. Alors que ce dossier hautement délicat traînait depuis plus de trois mois, la répartition des commandements et des états-majors a finalement permis à la composante gouvernementale de conserver le poste de chef d’état-major général des armées, le commandement de la force terrestre étant attribué au RCD, celui des forces navales au MLC, et celui de la force aérienne revenant à l’actuel gouvernement.
Réunis autour du tapis vert, les protagonistes ont fait preuve d’une courtoisie inédite après de longues années d’affrontement. « Monsieur Moïse, j’espère bien que c’est la fin de la guerre ! » s’est exclamé un Joseph Kabila souriant à l’adresse du représentant du RCD, Moïse Nyarugabo, lors du paraphe du document final. Reste à savoir si cette convivialité retrouvée résistera au temps. « On peut légitimement s’interroger sur la viabilité du processus, estiment les observateurs avertis du microcosme congolais. Comment les Kinois accueilleront-ils Zahidi Ngoma, fondateur de la rébellion, aujourd’hui vice-président ? Quelle autorité un chef d’état-major kabiliste aura-t-il dans les casernes du Kivu ? De quel crédit un ex-dignitaire mobutiste – comme Kamanda wa Kamanda ou Thambwe Mwamba espère-t-il disposer ? Et comment le ministre des Affaires étrangères, choisi par Bemba, et son vice-ministre, nommé par Kabila, vont-ils faire pour parler d’une seule voix ? »
Autant de question auxquelles les acteurs de la transition doivent désormais répondre. Kabila en est bien conscient : « Les concepts de composantes et entités utilisés dans le cadre du Dialogue intercongolais sont désormais dépassés, a-t-il déclaré le 30 juin à Mbandaka. Puisque nous entamons la transition, ces étiquettes doivent disparaître. Pas plus que l’appartenance tribale ou ethnique, les affinités politiques et les clivages régionalistes ne peuvent prévaloir sur l’intérêt majeur du pays. » Espérons que ses soixante ministres et vice-ministres l’aient entendu…

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