Terreur à Zanzibar

Le journaliste Giles Foden raconte à sa manière les attentats de Nairobi et Dar es-Salaam. Des compromissions américaines à la folie meurtrière d’el – Qaïda, un « thriller » sur fond de cocotiers.

Publié le 8 juillet 2003 Lecture : 4 minutes.

L’écrivain et journaliste anglais Giles Foden a de fort mauvaises fréquentations. Après avoir côtoyé de près le bouffon dictateur Idi Amin Dada dans Le Dernier Roi d’Écosse (récompensé par le Whithbread Award et un Somerset Maugham Award), il évoque aujourd’hui dans Les Tortues de Zanzibar l’ennemi public numéro un, Oussama Ben Laden. Écrit en grande partie avant les événements du 11 septembre 2001, ce livre utilise la méthode romanesque pour raconter les attentats de 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar es-Salaam. Résultat : un thriller qui, malgré ses imperfections stylistiques, se lit d’une traite et propose une interprétation des événements sans doute bien proche de la vérité.
Au départ pourtant, tous les ingrédients étaient réunis pour un bouillon de poncifs à l’aigre saveur de déjà-vu.
Khaled al-Khidr est un jeune habitant de Zanzibar, musulman, qui découvre ses parents égorgés sur le sol de leur séjour. Son destin, alors, semble tout tracé : la rencontre avec un mentor intégriste, le bourrage de crâne qui s’ensuit, puis les camps d’entraînement d’el-Qaïda dans les montagnes d’Afghanistan.
Queller, lui, est américain. Déprimé par la mort de sa femme, écarté des cercles du pouvoir en raison de ses idées dérangeantes sur le terrorisme, c’est un ancien militaire qui se pique de géopolitique et de poésie arabe. Lucide, il ne cesse de prévenir ses supérieurs hiérarchiques du danger que représente Oussama Ben Laden. Personnage que lui-même connaît bien. Quelques années auparavant, au moment de l’invasion soviétique en Afghanistan, il était mandaté pour le former et lui fournir des armes. Une coopération éphémère qui s’est achevée dans le sang : Queller a perdu un bras dans une embuscade quand Ben Laden a décidé de changer d’alliance et de se lancer dans le djihad contre les infidèles.
Troisième personnage : Nick Karolides, jeune botaniste américain d’origine grecque, nommé à Zanzibar dans le cadre d’un programme de l’Usaid pour la protection de l’environnement. C’est un beau gosse à l’allure sportive, dont la mère bigote se laisse guider par les diatribes de prédicateurs illuminés et dont le père est décédé dans un accident de plongée. Comme de juste, c’est dans la mer que Nick retrouve le calme, et c’est à la barrière de corail qu’il dédie sa vie.
Il ne manque plus qu’un ingrédient : l’héroïne qui se baignera sous les cocotiers de Zanzibar, légèrement vêtue. Eh bien la voilà, elle s’appelle Miranda Powers, elle est jeune, belle, sportive et ambitieuse, et vient tout juste d’être nommée assistante de direction pour la logistique et la sécurité au sein de l’ambassade américaine de Dar es-Salaam. Ces seules indications permettent d’imaginer toutes sortes d’aventures et le film style « James Bond » que la Warner pourrait tourner – et gageons qu’elle ne manquera pas de le faire.
Mais ce serait oublier qu’avant d’être romancier Giles Foden est journaliste. Qu’il a longtemps habité en Afrique de l’Est, où il a suivi ses parents alors qu’il n’avait que 5 ans, en 1972, et couvert pour le Guardian le double attentat contre les ambassades américaines. S’il se perd parfois dans de trop longues considérations didactiques, Foden parvient au fil des pages à donner une véritable épaisseur à des personnages qui pourraient, sans son talent, rester à l’état de caricatures. Dans cette intrigue aux multiples rebondissements, le bien et le mal s’entremêlent inextricablement. Les hésitations de l’apprenti terroriste Khaled et les compromissions passées de Queller, leurs interrogations et leur souffrance, leur violence et leur sensibilité en font des êtres humains piégés par leur époque et le hasard des destinées. Même l’île de Zanzibar, propice à toutes les digressions romantiques imaginables, est saisie dans sa réalité la plus complexe : corruption, potentats locaux, blanchiment d’argent, scandales écologiques, difficultés de la production agricole, etc.
Nick Karolides travaille donc sur la côte de Zanzibar où il tente comme il peut de protéger l’écosystème. Miranda Powers prend ses marques à Dar es-Salaam et aligne les rapports sans intérêt sur la sécurité de l’ambassade. Pendant ce temps, Queller s’inquiète du développement d’une nébuleuse terroriste internationale : el-Qaïda. Quant à Khaled, il apprend à s’oublier dans la lutte contre les infidèles et se prépare au sacrifice…
Après avoir quitté l’Afghanistan, via le Pakistan, Khaled, un autre « apprenti terroriste », Yousef le Syrien, et leur « mentor » Zayn ont choisi pour base un îlot – Lyly, « la nuit » – non loin de Zanzibar. C’est là que Nick et Miranda, qui viennent de faire connaissance, croiseront leurs routes au cours de leur brève idylle, sans se douter de ce qu’ils préparent… et du drame qui se trame. Plus tard, Nick aura directement affaire à eux et manquera y laisser la vie. S’il en réchappe miraculeusement, la mort est malgré tout au rendez-vous : plus de deux cents personne ont péri dans la double explosion de 1998, décrite au plus près par quelqu’un qui a vu les corps décapités, les véhicules broyés et les murs soufflés. « Il fit le tour des lits en compagnie d’une femme médecin asiatique. Membres arrachés. Cornées lacérées. Chairs criblées de fragments métalliques. Dents brisées. Crânes perforés. Sans parler de ceux à qui il manquait une partie de la mâchoire ou des épaules. » L’Amérique blessée dont nous parle Foden n’est pourtant pas le pays amnésique de George W. Bush : Queller sait quelle est sa part de responsabilité dans la construction du « personnage » Ben Laden. Ainsi : « Grâce aux informations fournies par Queller, la CIA savait que les activités de Ben Laden cachaient plus de choses qu’elles n’en révélaient. La Ladin International Company n’était pas qu’une firme d’import-export. Taba Investment n’était pas qu’une banque d’affaires. La Themar al-Mubaraka Farm ne se contentait pas de cultiver sésame, cacahuètes et blé. Hijra Conctruction ne construisait pas que des ponts et des routes. » C’est cette lucidité qui fait de ce roman noir plein de péripéties une tragédie moderne.

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