Taylor dos au mur

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Le Liberia finira-t-il, comme la Somalie, par être livré aux seigneurs de la guerre ? Jour après jour, les bulletins d’informations égrènent avancées et reculs des rebelles du Lurd (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie) devant la capitale, Monrovia, qui vit quasiment en état de siège. L’armée gouvernementale, quoique riche d’environ soixante mille homme – contre deux à trois mille pour le Lurd – s’est révélée incapable de remporter des victoires durables et se livre aux mêmes exactions que les rebelles.
Face à cette situation, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a demandé au Conseil de sécurité, le 28 juin, l’envoi d’une force d’interposition sous commandement des États-Unis. Sa requête a été appuyée par Jeremy Greenstock, l’ambassadeur de Grande-Bretagne aux Nations unies, en mission dans la sous-région avec des représentants des quinze pays membres du Conseil de sécurité. Ils ont rencontré les principaux chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), tous partisans d’une intervention. Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, en visite au Ghana ce même 28 juin, a lui aussi plaidé en ce sens. Des pressions ont également été exercées à l’intérieur du Congrès américain, notamment de la part du Black Caucus, par la voix du sénateur démocrate Donald Payne. Ces différents acteurs mettent en avant les liens historiques, voire familiaux, qui unissent les États-Unis et le Liberia, ce dernier ayant été fondé en 1847 par des esclaves américains affranchis.
Le département d’État, favorable à une action sous commandement américain, a mis en avant la nécessité de stabiliser toute la sous-région. L’opération montrerait par la même occasion la volonté des États-Unis de retravailler en concertation avec les Nations unies pour la paix en Afrique, et ce alors que George W. Bush entame son voyage sur le continent.

Mais, pour l’heure, la Maison Blanche dit vouloir prendre le temps de la réflexion et ne pas se laisser « enfermer » dans un planning qu’elle juge artificiel.
Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a, quant à lui, exprimé ses craintes de voir les soldats américains « coincés » dans une guerre civile aux enjeux complexes, et donc difficiles à maintenir motivés, au moment où leurs nombreux camarades engagés en Afghanistan et en Irak doivent faire face à des situations compliquées. Il estime par ailleurs qu’il revient aux armées africaines comme l’Ecomog, d’ailleurs formée pour cela par des instructeurs notamment américains, de se charger de ce genre d’opérations. George W. Bush a reconnu ne pas croire à l’efficacité d’une force de maintien de la paix dans un pays encore en guerre. C’est pourquoi il a, dans un premier temps, subordonné l’action des États-Unis au respect du cessez-le-feu signé à Akosombo (Ghana) le 17 juin et, conformément à cet accord, au départ du président Charles Taylor. Ari Fleischer, porte-parole de la Maison Blanche, a expliqué que le président s’en tenait là aux principes énoncés dans sa campagne électorale de 2000, à savoir que les troupes américaines ne seront envoyées en mission à l’étranger que si les intérêts vitaux des États-Unis sont menacés, ou à condition que leur mission soit clairement définie et qu’une stratégie de retrait soit au point.
C’est en ce sens que travaillent les experts du Pentagone, car Washington ne fait pas la sourde oreille aux appels qui lui sont lancés. Depuis le 3 juillet, ils ont pour mission de préparer un plan d’intervention engageant une force oscillant entre 500 et 2 000 soldats. Ils proviendront du Commandement européen des forces américaines, basé à Stuttgart (Allemagne) et dont le rayon d’action englobe l’Afrique. Plusieurs options sont à l’étude, de l’intervention directe et unilatérale à la fourniture à des troupes levées par la Cedeao d’une unité de commandement, voire simplement de matériel militaire.
Quelle que soit la formule retenue, l’objectif est de mettre fin à la guerre civile et de se débarrasser de l’encombrant Charles Taylor. Reste à définir qui pourra, à terme, le remplacer. Or des rapports d’experts sur les forces en présence ont révélé que le Lurd, d’abord considéré comme un moyen de pression militaire pour évincer Taylor, ne pouvait représenter une « alternance acceptable à la tête de l’État ». Le rapport de l’International Crisis Group (ICG) daté du 30 avril 2003 révèle ainsi les ambitions personnelles, présidentielles ou économiques qui animent ses chefs. Les enquêteurs ont noté les dissensions ethniques, insidieuses et subtiles, à l’intérieur d’un mouvement qui se voudrait pourtant lié et homogène. Enfin, ils ont mis en relief le caractère purement objectif des alliances entre chefs. Par exemple, Chayee Doe, jeune frère de feu le président Samuel Doe, vice-président du Lurd aux côtés de Sekou Dammate Conneh, considère que les bonnes relations de ce dernier avec le chef de l’État guinéen Lansana Conté sont un atout déterminant dans la conquête de Monrovia.

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Selon l’ICG, la Guinée a fourni des armes, de la logistique et des cadres aux troupes du Lurd. Pour Conneh, Doe représente le lien avec les financiers américains de la communauté krahn, qui soutiennent également le Model (Mouvement pour la démocratie au Liberia), ce qui lui permet de garder un oeil sur cette faction apparue dans l’est du pays il y a quelques mois.
Tout cela prouve que le Lurd est susceptible d’éclater en multiples factions à l’heure du « partage du gâteau ». Il fallait donc trouver un candidat plus solide, « acceptable » par l’ensemble de la communauté internationale. La candidature d’Ellen Johnson-Sirleaf, candidate malheureuse lors de l’élection présidentielle de 1997, est concevable. De même que celle de Winston Tubman, neveu de l’ancien président libérien William V.S. Tubman. Aujourd’hui âgé de 62 ans, il est, depuis 2002, chef du Bureau politique des Nations unies pour la Somalie, à Nairobi (Kenya). Il a d’ailleurs fait toute sa carrière diplomatique aux Nations unies, où il est entré en 1973.
En attendant, que peut faire un Charles Taylor qui se retrouve dos au mur ? Son inculpation pour crime contre l’humanité par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone le coince sur son sol natal. Si des soldats étrangers le saisissent, c’est la prison à vie. Il n’a d’autre issue que se battre pour garder son fauteuil le plus longtemps possible. Il peut également se cacher dans son fief de Gbarnga, à 20 km au nord-est de Monrovia, pour fomenter une revanche. Selon un diplomate cité par l’ICG, Taylor est comme Saddam Hussein, « il tient plus au pouvoir qu’à la vie. Il n’est pas du genre à se retirer. Même si on le payait pour partir, il resterait en poste ».

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