« Rien ne justifie les suspicions américaines »

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Elu juge de la CPI pour six ans dans le groupe des États d’Europe occidentale et autres États, le Canadien Philippe Kirsch a été porté à la tête de l’institution par un vote unanime des dix-sept autres juges, le 11 mars 2003. Ce professeur de droit international à la compétence reconnue a dirigé, en 1998, le comité de la conférence de Rome (qui a vu naître la CPI) puis, de 1999 à 2002, la commission préparatoire de la Cour. Membre du barreau de la province du Québec et du Groupe des conseillers internationaux de la Croix-Rouge, il a été, au cours de sa riche carrière, président du comité national canadien du droit humanitaire et de la commission de rédaction de la conférence internationale tenue en 1993 sur la protection des victimes de guerre.

J.A./L’Intelligent : Est-il difficile de piloter une juridiction qui n’a jamais existé ?
Philippe Kirsch : La caractéristique essentielle de la CPI est l’universalité. Elle a l’appui des États, de la société civile internationale et des médias. Ses fondements sont solides : le traité de Rome qui l’a créée garantit une justice conforme aux standards les plus élevés de justice. Il y a donc de nombreux appuis à nos premiers pas.
J.A.I. : En quoi la CPI innove-t-elle par rapport au tribunal de Nuremberg ?
P.K. : Le traité de Rome a combiné le droit romano-germanique et la common law britannique. De tous les statuts des tribunaux internationaux jusqu’ici créés, c’est le texte le plus détaillé, notamment sur les règles en matière de preuve et de procédure. Les plaignants bénéficient d’une meilleure écoute, grâce à l’existence dans le greffe d’une division d’aide aux victimes et aux témoins. À la différence des juridictions antérieures créées par le Conseil de sécurité de l’ONU, la CPI est l’oeuvre directe de la communauté internationale.
Le tribunal de Nuremberg a toutefois créé une jurisprudence sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, reprise par les tribunaux ad hoc pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, et dont le traité de Rome s’est inspiré pour concevoir la CPI.
J.A.I. : Avez-vous les moyens de faire face à vos attributions ?
P.K. : Nous avons une assise financière solide reposant sur les contributions obligatoires des 90 États ayant ratifié le traité de Rome. Le budget, qui était de 30 millions d’euros cette année, va passer à 50 millions pour le prochain exercice. Aujourd’hui au nombre de 70, les employés de la Cour vont passer à 100 avant la fin de l’année, puis à 200 en 2004. Nous occupons actuellement une tour de quatorze étages à La Haye, en attendant d’emménager d’ici à quelques années dans les locaux propres de la CPI. Car le siège actuel ne se prête pas au règlement simultané de plusieurs affaires.
J.A.I. : Vous n’avez ni police pour arrêter les accusés, ni prison pour les détenir. N’êtes-vous pas trop tributaire de la bonne volonté des États ?
P.K. : À la différence des tribunaux ad hoc, la CPI est née de la volonté des États. En signant le traité de Rome, ceux-ci se sont engagés à coopérer pleinement avec elle, à arrêter et à lui transférer leurs ressortissants poursuivis, à fournir les informations utiles. Ces obligations sont contenues dans la partie 9 du traité. Les États doivent également détenir les condamnés. À défaut, les Pays-Bas, notre pays hôte, se sont proposés de s’en charger.
J.A.I. : L’hostilité des États-Unis à l’égard de la CPI est-elle fondée ?
P.K. : L’accusation selon laquelle la CPI pourrait être politiquement instrumentalisée contre les intérêts américains est, en tout cas, infondée. La Cour va prouver, à la tâche, qu’elle est une juridiction impartiale, attachée à l’application du droit.
J.A.I. : La CPI va-t-elle poursuivre les fossoyeurs des droits de l’homme en Afrique ?
P.K. : C’est au procureur de décider, le cas échéant, des poursuites après examen des « communications » qui lui ont été adressées. Les Africains ont fait bloc à Rome pour que la CPI voie le jour, conscients de ce qu’elle peut avoir comme impact dans leur vécu.
J.A.I. : Qu’apportent les trois juges africaines à la CPI ?
P.K. : Elles apportent leurs spécificités culturelles, leurs parcours professionnels originaux et surtout leurs compétences. Akua Kuenyehia est professeur de droit international pénal. Fatoumata Dembele Diarra a été juge au TPIY. Navanethem Pillay, qui a dirigé le TPIR, nous honore pour avoir été désignée comme l’un des dix héros de l’Afrique du Sud.

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