Lourde mission pour Barbosa Gomes

Pour la première fois, un Noir siège au Tribunal suprême. Son parcours montre la persistance des barrières raciales au pays de la samba.

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

A Brasilia, le 25 juin, au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée en présence de Marcio Thomaz Bastos, ministre de la Justice, trois nouveaux juges ont pris officiellement leurs fonctions au Tribunal suprême fédéral. L’un d’entre eux, Joaquim Benedito Barbosa Gomes, avait déclaré en mai, alors qu’il venait d’apprendre qu’il allait devenir l’un des onze membres de la plus haute instance judiciaire du pays : « J’imagine combien de personnes, combien de Noirs, combien de pauvres vont se sentir représentés par ma personne ! C’est une responsabilité énorme. »
Ainsi parlait, non sans une légitime fierté, celui qui est maintenant, par la volonté du président Lula, le premier Noir du Tribunal suprême en cent treize ans d’histoire républicaine. Au Brésil, 45 % des 173 millions d’habitants se considèrent comme des Noirs. De quoi, effectivement, se sentir investi d’une lourde mission. D’autant que derrière les images stéréotypées d’un Brésil joyeux et multicolore, il y a une tout autre réalité, celle vécue par une population dont la peau « s’assombrit » à mesure que l’on descend l’échelle sociale. Au pays de la samba et du candomble, les Noirs ont beaucoup plus difficilement accès que les Blancs à l’éducation, à la santé et à l’emploi.
Plus encore que la nomination du chanteur noir Gilberto Gil à la tête du ministère de la Culture, celle de Barbosa Gomes au Tribunal suprême est symbolique de la détermination de Lula à lutter contre la discrimination raciale, dans les services publics en particulier.
Les barrières sociales, Barbosa Gomes les connaît bien, pour les avoir lui-même franchies, les unes après les autres, jusqu’à devenir le docteur en droit et le constitutionnaliste respecté qu’il est aujourd’hui, à 48 ans.
Fils d’un maçon pauvre – mais pas misérable, tient-il à préciser -, il a 16 ans quand il doit quitter ses parents et sa petite ville natale de Paracatu, dans le Minas Gerais, pour poursuivre ses études secondaires. Il s’installe chez sa tante, qui vit à Gama, l’une des lointaines banlieues de la capitale, où il décroche son baccalauréat. Commence alors une période de sept années au cours de laquelle le jeune étudiant s’impose une discipline de fer, étudiant le jour à l’université, et travaillant la nuit, jusqu’à 6 heures du matin, à l’imprimerie du Sénat. Il se souvient qu’il profitait même des rares moments de pause pour continuer sa formation en lisant les discours des parlementaires. On le retrouve ensuite à l’Université de l’État de Rio de Janeiro (UERJ), comme professeur cette fois, où il force l’admiration de ses collègues.
Ce n’est pourtant qu’à la fin de l’adolescence, au moment où il se rapproche de la classe moyenne, qu’il prend conscience du problème racial brésilien. Son intérêt pour cette question ne fera que croître, au point d’orienter définitivement ses travaux universitaires vers le droit comparé. S’il lui arrive encore, comme récemment à Rio, d’être pris pour le voiturier alors qu’il s’apprête à dîner dans un restaurant chic de la ville, ce genre d’incident ne le rend plus amer. « C’est typique d’un pays qui n’a pas encore embrassé le pluralisme », se contente-t-il de commenter.
Même s’il est surtout connu pour ses prises de position en faveur de l’instauration d’une discrimination positive, à l’image du système pratiqué aux États-Unis, il a reproché à la presse brésilienne, à l’occasion de sa nomination, de ne mettre l’accent que sur sa condition de juriste noir, avocat de cette cause. C’est oublier un peu vite, en effet, que, de l’avis de nombreux spécialistes, grande est sa connaissance des Constitutions étrangères, notamment américaine et française. Une rareté au sein du Tribunal suprême. C’est d’ailleurs à l’université de Paris-II, et en français, qu’il a publié en 1994 sa thèse de doctorat : « La Cour suprême dans le système politique brésilien ».
S’il parle couramment l’allemand et l’anglais, il s’exprime en français à la perfection. Et garde de son passage sur les bords de la Seine un véritable amour de la littérature. Balzac, Victor Hugo et Stendhal sont ses auteurs préférés. Il a même expliqué à un journal brésilien que s’il lui arrive souvent d’être d’accord avec Marx, « on ne peut véritablement comprendre la société capitaliste si on n’a pas lu Balzac ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires