L’exemple botswanais

Après un rodage un peu chaotique, le programme de fourniture gratuite d’antirétroviraux aux séropositifs est une pleine réussite. Au point que le pays devrait parvenir à enrayer la progression de l’épidémie.

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Le Botswana fait sa révolution. Pas de coup d’État en vue pour cette démocratie stable. Mais une distribution gratuite d’antirétroviraux (ARV). Après le Sénégal et l’Ouganda, tous deux exemples de réussite africaine en matière d’endiguement de la propagation du sida, une nouvelle success story est donc en marche sur le continent.
Deux ans après son lancement théorique, et dix-huit mois après sa mise en application pratique, Achap, le partenariat tripartite (gouvernement botswanais, Merck and Co et Fondation Bill-et-Melinda-Gates), atteint des résultats inespérés. Signé en 2001, il avait pour but de fournir à vie à tous les séropositifs qui le nécessitaient des ARV. Financé à hauteur de 50 millions de dollars par la Fondation Bill-et-Melinda-Gates, et approvisionné en Stocrin et Crixivan, deux des ARV essentiels à une trithérapie, par Merck – qui a ajouté dans la balance 50 millions de dollars -, le projet Achap avait tout pour séduire. En septembre 2002, six mois après son lancement effectif, il ne soignait que 600 séropositifs dans quatre hôpitaux.
À se demander comment autant d’argent pouvait être investi pour si peu de résultats. N’était-ce là encore qu’une généreuse initiative, sans aucun résultat ? Force est de constater que non. Dix mois plus tard, le Botswana a réellement pris en charge ses séropositifs. Certes, il y avait urgence. Quarante pour cent de la population adulte est porteuse du virus d’immuno-déficience humaine (VIH). Une femme enceinte sur deux est diagnostiquée positive. Un instituteur meurt chaque jour de la maladie. Chaque heure, quatre Botswanais décèdent du sida. Dans ce pays où le PNB par habitant atteint 3 000 dollars, la réponse se faisait attendre.
Comment a-t-on pu laisser ce fléau dévaster la population (1,7 million d’habitants sur un territoire de 600 000 km2) ? Différentes théories s’affrontent. La première est que ce pays est un carrefour commercial, où tous les camions en provenance d’Afrique du Sud et à destination de l’Afrique centrale transitent. Une explication qui ne tient pas face à l’exemple du Malawi, où le taux de prévalence est à peu près semblable (35 %), et qui n’est en rien un carrefour commercial. D’autres expliquent, à l’instar d’Ernest Dakroh, responsable médical du programme, que le pays, enclavé et habitué à de nombreuses migrations internes, ne pouvait échapper à un tel taux de contamination. Fresh Kasali, Botswanais porteur du virus depuis 1995, pense, lui, que l’ignorance a été le principal moteur de la propagation du virus. Que l’impression initiale, à savoir qu’il s’agissait d’une maladie américaine, où les premiers cas ont été médiatisés, n’avait pas aidé la population à prendre conscience du danger. D’autant qu’après le diagnostic du premier cas, en 1986, le gouvernement a simplement décidé de contrôler les poches de sang à transfuser. Rien d’autre n’a été entrepris avant 1996. L’explication de cette prévalence est certainement un condensé de toutes ces hypothèses. Quoi qu’il en soit, il était plus que temps de s’attaquer à l’épidémie.
Le Botswana était en passe de devenir le premier pays développé d’Afrique. Comparé à toutes les autres nations du continent, cet État est riche, grâce, notamment, à ses mines de diamants – dont la plus grande au monde – et ses sites touristiques. Il s’est également doté d’un régime réellement démocratique. Les prochaines échéances présidentielles, en 2004, devraient confirmer Festus Mogae à la tête du pays. Mais il débutera alors son deuxième et dernier quinquennat. Dès lors, la bataille pour sa succession sera âpre. Espérons qu’à sa place se trouvera un homme aussi concerné par la pandémie. Car Mogae participe activement à la lutte : inaugurations d’hôpitaux, dépistage public, et, surtout, confiance dans le programme Achap, et assurance que le gouvernement prendra la relève lorsque les fonds de Gates et de Merck seront épuisés. Grâce à tous ces partenaires, 6 092 personnes sont aujourd’hui gratuitement sous ARV. Si ce chiffre paraît faible, il convient de le replacer dans son contexte : trois cent mille personnes sont aujourd’hui porteuses du virus dans le pays, mais toutes n’ont pas besoin d’ARV ; et, surtout, en septembre 2002, seules quelques centaines en bénéficiaient. En moins de dix mois, la progression est proprement fulgurante. Certes, dans quelques villages, comme celui d’Otse, à 30 kilomètres de Gaborone, certaines personnes sont encore en dehors du système. Comme le couple Mahpi, dont le mari, Sam, est malade du sida et va sans doute décéder dans les semaines à venir, et dont la femme, Wami, est séropositive. Encore trop loin d’un hôpital public participant au programme, et donc sans accès gratuit au traitement, ils luttent au quotidien contre le fléau. Après avoir cessé de travailler, ils s’occupent l’un de l’autre. Mais beaucoup pensent, comme Debbie Stanford, membre d’Achap, que seule une chose compte : « Petit à petit, tout le monde sera intégré au programme. Même si, malheureusement, on ne les sauvera pas tous. » Il est vrai qu’au départ, avec uniquement quatre hôpitaux à même de dispenser des ARV, la population tout entière ne pouvait en bénéficier. Aujourd’hui, six centres peuvent effectuer ces prescriptions, et le suivi. Au terme de l’année 2003, seize cliniques publiques auront été ouvertes. De quoi donner un souffle d’espoir à tous les patients potentiels.
Après des années d’errements et de tentatives de soins infructueuses, le Botswana semble enfin sur la bonne voie. Ce modèle est-il la solution pour tous ? Est-il transposable ? Malheureusement, non. Car les autres États africains ne disposent pas de fondations – en matière d’infrastructures ou de personnels – aussi solides. Et ils ne possèdent pas non plus les ressources nécessaires à la pérennité d’un projet dont les généreux donateurs finissent toujours par se retirer. Mais le Botswana, pays le plus infecté du continent, et du monde en valeur relative, devrait peu à peu inverser la courbe, et réussir à limiter les dégâts. Que ce soit d’un joyeux « nous sommes sur la bonne voie », d’un sérieux « on l’aura », ou d’un enthousiaste « le sida peut être vaincu », toute l’équipe d’Achap, qu’elle soit ministérielle ou internationale, et une part croissante de la population témoignent leur optimisme. Même les bailleurs de fonds. Les partenariats se multiplient. Outre Achap, on trouve de nombreuses associations efficaces. L’université Harvard a financé en partie un laboratoire de recherche à Gaborone. Essais vaccinaux, examens médicaux des séropositifs sont parmi les activités réalisées dans ce bâtiment flambant neuf et parfaitement équipé. Bristol-Myers Squibb, un laboratoire pharmaceutique, a permis l’ouverture, le 19 février dernier, du premier hôpital pour enfants séropositifs du pays.
Aux autres pays en développement, le Botswana pourra prouver qu’avec une synergie de volontés politiques et de l’argent on peut combattre – et vaincre ? – le fléau. Mais ils devront auparavant prouver aux grands argentiers que ces investissements seront utilisés à bon escient.

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