Afrique du Sud : bienvenue dans la Mandela family
Ils surfent sur l’image du héros de l’indépendance, entretiennent sa mémoire ou encore se disputent son héritage… Huit ans après la mort de Nelson Mandela, portrait du clan de l’ancien président sud-africain.
Alerte bonne affaire. « Achetez une caisse de vin de la maison Mandela et espérez gagner un croquis de la série Le Combat de Nelson Mandela. » L’offre publicitaire jaillit sur le site de la marque lifestyle House of Mandela (HOM). Vins, art, bijoux, littérature, vêtements… La maison Mandela est une boutique raffinée. Comme l’était l’ancien militant antiapartheid que l’on disait modeste ? Le marketing maquille l’histoire et nous vend du Mandela en lettres d’or.
« Ce n’est pas lié à un seul homme, c’est lié à l’histoire de la maison Mandela », se justifie Tukwini Mandela, sur la défensive. La petite-fille de Madiba, 47 ans, a créé la marque HOM avec sa mère, Makaziwe Mandela, en 2010. Les descendants d’Evelyn Mase, première épouse de Nelson Mandela, disent vouloir rendre hommage à leurs ancêtres et raconter l’histoire de la lignée qui a enfanté un héros. « Les gens ont tendance à croire que mon grand-père est tombé du ciel comme l’un de ces dieux mythologiques, ce qu’il n’est pas », corrige Tukwini.
« On doit payer les factures »
Si elle dit refléter l’histoire du clan Mandela, l’entreprise est gérée exclusivement par Makaziwe et ses enfants. Soit une petite branche d’une famille composée de trois épouses, six enfants et dix-sept petits-enfants. De quoi faire des jaloux ? La question agace Tukwini. « Il n’y a pas de jalousie, ce nom nous appartient à tous. C’est à chaque famille de choisir ce qu’elle veut en faire. Tant que l’on met de la dignité dans ce que l’on fait et que l’on respecte l’héritage de mon grand-père », résume la petite-fille.
À l’autre bout de l’arbre généalogique, une cousine qui n’a aucun intérêt dans la boutique, acquiesce. « On doit tous payer nos factures », renchérit Ndileka Mandela, 56 ans, et première petite-fille de Nelson Mandela. « Les gens qui questionnent la manière dont on fait de l’argent avec notre nom sont grotesques », s’emporte-t-elle. En ligne de mire, les opportunistes qui ne se privent pas d’empocher quelques billets sur le nom de Madiba.
En témoigne le Mandela Square de l’immense centre commercial Sandton City, dans la banlieue chic de Johannesburg. L’aile ainsi baptisée est un temple de la consommation. HOM y a d’ailleurs son magasin. Entre deux courses, les clients se prennent en selfie avec les statues en plastique de Nelson et Winnie Mandela. La marque Presidential vend les chemises aux motifs floraux qui ont rendu célèbre la garde-robe de l’ancien chef d’État.
Kardashian africaines ?
C’est ici aussi qu’en 2013 deux petites-filles de Winnie et Nelson ont lancé leur marque de vêtements en hommage à leur grand-père. Des casquettes brodées « Mandela » et des tee-shirts imprimés « Liberté », dans le style kitsch des boutiques de souvenirs. Zaziwe Dlamini-Manaway et sa soeur, Swati, ont été les vedettes d’une émission de téléréalité sobrement intitulée Being Mandela (Être une Mandela). Toute ressemblance avec une émission américaine à succès serait purement fortuite.
Faute de Mandela junior pour porter les combats du père de la nation sud-africaine, l’influence politique de la famille s’amenuise
« Nous ne sommes pas les Kardashian africaines », balaie une cousine qui apparaît dans le programme. L’émission est diffusée en 2013 aux États-Unis, où les sœurs ont grandi, mais se concentre sur leur vie d’entrepreneuses en devenir en Afrique du Sud. À l’époque, cette téléréalité low-cost suscite les railleries des réseaux sociaux et de la presse. « Désormais, l’Afrique du Sud est assez libre pour que même les petits-enfants des deux icônes de la libération puissent inconsciemment se faire de l’argent en agissant de manière stupide », sabre un journaliste du Mail & Guardian.
Pourtant, la mise en scène de la vie dorée des deux héritières contraste avec le quotidien de la famille. « Pour grand nombre de gens, être une Mandela rime avec plaisir, voyages et un tas d’argent. Rien ne pourrait être plus éloigné de la réalité », déconstruit Ndileka dans son autobiographie, parue en 2019. « On hérite du nom, mais pas des avantages qui vont avec », écrit-elle. Cette ancienne infirmière en soins intensifs a connu des ennuis financiers. Mais ce n’est rien comparé à sa cousine Zoleka, petite-fille de Winnie Mandela, avec qui elle partage le même éditeur. Tous les malheurs du monde se sont abattus sur Zoleka : la drogue, l’alcool, la maladie et la perte de deux enfants. Ces deux autobiographies soulignent que porter le nom Mandela ne signifie ni être bien né ni bénéficier d’une armure face aux épreuves de la vie.
Rangés de la politique
S’ils sont quelques-uns à s’être racontés dans des livres, à diriger de modestes fondations ou à s’afficher sur les réseaux sociaux, les Mandela sont plutôt des gens discrets. Surtout, ils ont déserté le champ politique. La famille compte aujourd’hui un seul parlementaire : Mandla Mandela, député du Congrès national africain (ANC) depuis 2009, chef tribal du village de Mvezo dans le Cap-Oriental, où est né Madiba, et militant pour la cause palestinienne. Faute de Mandela junior pour porter les combats du père de la nation sud-africaine, l’influence politique de la famille s’amenuise.
Il n’a jamais pu être le père qu’il aurait aimé être pour ses enfants
« Nous n’avons plus d’appétit pour la politique », admet Ndileka qui répète à l’envi qu’elle ne vote plus pour l’ANC. Les sacrifices consentis par leurs grands-parents, Nelson et Winnie, double figure de la lutte contre l’apartheid, ont durablement meurtri la famille. Nelson Mandela a vécu vingt-sept ans en détention. « D’avoir passé autant de temps en prison l’a déconnecté de sa famille », témoigne Ndileka.
De fait, Nelson Mandela n’a jamais vraiment appartenu à sa famille. Militant en fuite, prisonnier politique, président d’Afrique du Sud (1994-1999), icône internationale. « Il n’a jamais pu être le père qu’il aurait aimé être pour ses enfants », confie Zoleka Mandela. Seuls le grand âge et la maladie l’ont contraint à vivre aux côtés de ses proches. Se relayant à son chevet, les petits-enfants ont renoué avec leur aïeul. Ndaba Mandela, 39 ans, est l’un deux. « Mon grand-père et moi avons traversé les vallées qui nous séparaient », relate-t-il dans un livre consacré aux leçons de vie apprise aux côtés du « Vieil homme ».
Loin de sa famille
Malgré cette réunion affective tardive, un monde continue de séparer Nelson Mandela de ses descendants. Quand il crée sa fondation, en 1999, il érige une paroi étanche entre son héritage mémoriel et sa famille. Aucun de ses enfants ou petits-enfants ne figurent dans l’organigramme. « C’était un coup de génie », apprécie la médecin Mamphela Ramphele. Cette ancienne militante antiapartheid loue aujourd’hui le fin stratège qu’était Madiba. « Ce que fait sa famille n’a pas d’impact sur le travail de la fondation. L’intelligence de Mandela était aussi d’admettre qu’il n’a pas élevé ses enfants. Je lui suis reconnaissante d’avoir été assez honnête avec lui même. »
Il nous a tous consumés. C’était quelqu’un de hors-norme
Nelson Mandela absent, distant, arraché des siens par un destin exceptionnel… S’il fallait reprendre ce récit, il faudrait donc commencer par ses épouses. « C’est à travers ma mère que vit son héritage », oriente Zoleka en référence à Winnie Mandela. « Ma grand-mère a joué le rôle de mère, de père et de grand-père pendant très longtemps », ajoute Tukwini.
Les figures tutélaires du clan Mandela ont désormais disparu. Evelyn Mase, la première épouse de Mandela, est décédée en 2004; Winnie Mandela, en 2018. Seule Graça Machel, troisième épouse de Madiba, est encore en vie. La mort de Nelson Mandela, en 2013, après plusieurs périodes d’hospitalisation éreintantes, a fini par éclater la famille. « Il nous a tous consumés. C’était quelqu’un de hors norme. Quand il est mort, chacun d’entre nous a eu besoin d’aller explorer sa propre voie », dévoile Ndileka.
Reste alors Qunu, ce petit village du Cap-Oriental où Nelson Mandela a grandi et où la famille possède un domaine. C’est ici que Mandela se reposait au crépuscule de sa vie. Il y est enterré sous la terre enherbée de ses ancêtres. Le cimetière est un centre de gravité où les petits-enfants convergent de temps en temps. La fratrie peut alors se reposer sur la tombe du colosse et observer en surplomb, celui qui fît de l’ombre à toute une génération.
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