Le retour des enfants terribles

Le groupe marocain Nass El Ghiwane revient avec une compilation et un album de chansons inédites. Salutaire remise à flots.

Publié le 8 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Ceux que le réalisateur américain Martin Scorsese appelait les « Rolling Stones de l’Afrique » sont de retour avec deux nouveaux albums. Les Nass El Ghiwane reprennent douze de leurs plus belles chansons dans Ghiwaniates et proposent neuf textes inédits dans Un vallon de menthe. Enregistrés l’année dernière au Maroc, les albums seront disponibles dans les bacs français en septembre.
L’histoire d’amour internationale entre le groupe et ses fans remonte au début des années 1970, quand les Nass El Ghiwane se produisaient à l’Olympia.
Le groupe est né en 1971, dans le quartier populaire de la Mohammadia, à Casablanca. Boudjemaa, Allal, Omar et Larbi y ont grandi ensemble. Ils ont d’abord forgé leurs armes comme comédiens sur les planches du Théâtre municipal de Casablanca. Puis fait la connaissance d’Abderramane, qui s’est joint à eux lorsqu’ils chantaient à la Mohammadia. Mêlant « leur voix à celle de la clameur populaire », comme en témoigne l’écrivain Tahar Ben Jelloun, fan incontesté, ils ont rapidement séduit le public. Il faut dire qu’à l’époque leur liberté de ton et leur rythme incroyable tranchaient avec les sirupeuses chansonnettes sentimentales dont les Marocains étaient abreuvés depuis des années. Ils ont inventé leur propre style, mâtiné de mime et de récit traditionnel marocain, mis au service de paroles interpellant les riches et les puissants. « Il faut se souvenir de l’ambiance de l’époque », explique Aziz Azara, leur nouveau producteur, « la liberté de parole était nulle ». Contrairement à la légende, ils ne sont jamais allés en prison, mais ils subissaient des pressions perpétuelles, « ce qui est peut-être pire ». De cette période, ils conserveront un art consommé de la métaphore et une puissance poétique inégalée. Leurs odes universelles n’ont pas tardé à franchir les frontières.
Mais la voix sacrée a plusieurs fois failli se perdre dans la nuit. En 1974, lorsque Boudjemaa décède, la formation chancelle mais poursuit sa route. Il y a six ans, Larbi meurt au terme d’une longue maladie. C’est à cette même époque qu’Abderramane quitte le navire, laissant les survivants aux prises avec leurs fantômes. Mal dirigé, le bateau ivre s’ensable. Selon Aziz, « de salle des fêtes en salle des fêtes, ces musiciens géniaux ont fini par perdre confiance et régresser ». Omar Sayed, senior et ténor du groupe, ne dément pas : « Au Maroc, il n’y a pas de manageurs, il n’y a que des imposteurs. »
Cette traversée du désert ne s’est interrompue qu’avec la rencontre, il y a trois ans, d’Aziz, producteur chez Atlas Sound. « Quand j’ai rencontré ces musiciens de légende, explique-t-il, ils étaient abîmés par dix années de déshérence. En produisant de nouveaux albums, j’ai voulu les faire renouer avec leur niveau d’antan. » Aidé de sa femme Fabienne, Aziz a fait le pari de remettre en selle ce groupe culte fatigué.
Irrigués de sève nouvelle, les deux nouveaux albums sonnent comme une promesse de jouvence pour un groupe étoffé par la venue des deux jeunes frères de Larbi. « Nos paroles de révolte sont toujours d’actualité, explique Omar, car nous continuerons de dénoncer les injustices tant qu’il y en aura. »
Le pari d’Aziz est presque gagné : trente ans après la création de la formation, la magie reste intacte, comme en témoigne la ferveur du public devant lequel ils se sont produits, en mai 2002, au Cabaret sauvage. En septembre, les quatre héritiers donneront des concerts au Maroc, en Algérie et en Tunisie pour le 32e anniversaire du groupe, avant d’enchaîner avec une grande tournée européenne. Tous les soirs, derrière les musiciens, dans la pénombre du fond de scène, le visage des disparus rappellera aux virtuoses leur filiation.

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