L’Afrique en ligne de mire

Parmi les premières plaintes qu’aura à examiner la nouvelle juridiction, beaucoup visent des dirigeants du continent.

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

«Il a fallu à l’humanité près de soixante ans après le tribunal de Nuremberg pour s’entendre sur les formes et le pouvoir à donner à cette Cour. Il était temps. Des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes ont subi, au cours du siècle écoulé, des exactions profondément choquantes pour la conscience humaine. » Kofi Annan a tenu ces propos le 11 mars dernier, à La Haye, à l’occasion de la prestation de serment marquant l’entrée en fonction des dix-huit premiers juges de l’histoire de la Cour pénale internationale (CPI).
Le vieux rêve d’un Tribunal pénal international permanent sanctionnant le génocide, les crimes de guerre et ceux contre l’humanité est en passe de devenir réalité. Le 16 juin, l’avocat argentin Luis Moreno Ocampo, procureur de la CPI, est entré en fonction en prêtant serment au Palais de la paix, à La Haye. Sur sa table attendent déjà quelque quatre cents « communications », des plaintes qui lui ont été adressées par des États, des organisations de défense des droits de l’homme ou de simples particuliers. Il ne devrait pas ouvrir sa première instruction avant janvier 2004, mais nombre d’observateurs prédisent que l’Afrique sera son terrain de prédilection.
Déposée le 13 février dernier par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), la première plainte reçue par la CPI vise l’ancien président centrafricain Ange-Félix Patassé et le chef rebelle congolais Jean-Pierre Bemba, pour des exactions qu’ils auraient commises au cours de la guerre civile consécutive à la tentative de coup d’État d’octobre 2002 à Bangui. Un autre mouvement rebelle de la RD Congo, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), a pour sa part déposé plainte pour crime contre l’humanité contre le président Joseph Kabila. La Côte d’Ivoire est également dans la ligne de mire du procureur, à la suite de « communications » visant ses dirigeants. William Pace, président de la Coalition pour la CPI, un regroupement de plus de mille ONG de toutes les parties du monde, s’empresse de préciser : « De nombreux États africains comme la RDC ont ratifié le statut de la CPI. Celle-ci est donc automatiquement compétente. »
La Cour est donc partie, comme le souhaitaient les nombreuses associations du continent qui se sont activement mobilisées afin qu’elle voie le jour, pour cibler prioritairement les dirigeants africains. Elle apparaît comme un ultime recours pour les victimes qui n’ont pas pu obtenir justice à Bruxelles, à la suite des nombreuses pressions politiques qui ont vidé de tout son contenu la loi belge de compétence universelle (voir J.A.I. n° 2216). Ce n’est pas un hasard si tous les chefs d’État africains qui faisaient l’objet de plaintes devant les juridictions belges sont visés par des « communications » sur le bureau de Luis Moreno Ocampo.
Mais d’autres parties du monde sont également concernées. Les chefs de guerre du nord de l’Afghanistan et les guérilleros colombiens, objets de nombreuses plaintes, sont parmi les futurs accusés potentiels.
Mais on n’en est pas encore là. La CPI s’attelle pour l’heure à parachever son installation. Les dix-huit juges ont tenu, du 16 au 27 juin, leur première session plénière au cours de laquelle ils ont planché sur le règlement de la Cour, le code d’éthique des juges, sans oublier le budget, le logo de l’institution et… la couleur des robes.
Le 24 juin, les juges ont élu le magistrat français Bruno Cathala greffier de la CPI pour un mandat de cinq ans. Ancien inspecteur des services judiciaires français et ex-greffier adjoint au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Bruno Cathala a devancé aux voix le Néerlandais Bert Maan. Il s’est attelé, dès son élection, à créer une division d’aide aux victimes et aux témoins.
La CPI met les bouchées doubles pour commencer, dans les meilleurs délais, à juger les crimes les plus graves. En dépit de l’hostilité farouche à son égard de la première puissance mondiale. Les États-Unis ont obtenu du Conseil de sécurité de l’ONU, le 12 juin, le renouvellement pour une nouvelle période de douze mois de l’exemption de poursuite devant la CPI accordée aux citoyens américains. Mais sans parvenir jusqu’ici à casser l’adhésion du reste du monde à ce nouvel instrument de justice universelle.

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