Énergies vertes : Masdar, Acwa, AMEA… Quand les géants de l’Orient passent la mer Rouge
Maroc, Égypte, Togo, Éthiopie… Les acteurs du Moyen-Orient remportent de plus en plus de projets solaires et éoliens en Afrique. La percée de Masdar, Acwa, AMEA et Phanes se nourrit d’un accès facilité aux financements.
L’Afrique en 2022
L’année de tous les dangers ? Démocratie, sécurité, Covid-19, dette… Les signaux d’alerte et les motifs d’inquiétude se multiplient comme jamais depuis près de 20 ans. Il n’est pourtant pas trop tard pour réagir.
Signature d’un accord sur 500 MW en Éthiopie pour Masdar ; démarrage de la construction d’une centrale de 300 MW en Afrique du Sud pour Acwa Power ; projets au Togo, Mali, Malawi et en Égypte pour AMEA Power et Phanes. Cette revue d’activité, rien que pour 2021, illustre l’essor des acteurs énergétiques issus du Moyen-Orient – Arabie Saoudite et Émirats arabes unis – sur le continent.
Bien implantés au Maghreb et en Afrique du Sud, ils s’étendent désormais en Afrique de l’Est et de l’Ouest. « Compte tenu de la jeunesse de leurs activités africaines, les performances en termes de contrats signés et livrés sont remarquables. On peut parler d’une véritable percée », commente le consultant en énergie Ahmadou Said Bâ, ingénieur formé à l’Ensea, ancien cadre des équipementiers américain Visteon et français Valeo.
Tarifs défiant toute concurrence
Pionniers de ce mouvement, les deux géants mondiaux Acwa Power – fondé en 2004 et dont l’actionnaire majoritaire est le fonds souverain saoudien (Public Investment Fund, PIF) – et Masdar – créé en 2006 par le fonds souverain d’Abou Dhabi, Mubadala Investment Company – sont devenus des acteurs incontournables sur le continent.
Actif dans treize pays dans le monde à travers un portefeuille d’investissements de 65 milliards de dollars, le premier a débarqué sur le continent en 2012 en Afrique du Sud (centrale solaire CSP Bokpoort de 50 MW) et surtout au Maroc, remportant la première tranche de la centrale solaire CSP Noor puis les tranches II, III et IV avec des tarifs défiant toute concurrence.
Acwa Power est dirigé depuis 2007 par Paddy Padmanathan, ingénieur diplômé de l’université de Manchester passé par le spécialiste américain de l’ingénierie Black & Veatch. Le développeur saoudien, qui vient de réussir son introduction à la Bourse de Riyad en levant quelque 1,2 milliard de dollars, s’est ensuite établi en Égypte, où il a décroché en 2018 la construction d’une centrale solaire de 200 MW à Kom Ombo (sud-est).
Si Masdar et Acwa sont tous les deux très agressifs, ils n’ont pas tout à fait la même approche
L’année suivante, c’est en Éthiopie qu’Acwa Power perce, remportant un contrat de 300 millions de dollars pour développer 250 MW d’énergie solaire (dans le cadre du programme Scaling Solar d’IFC) avec une offre à 2 cents le kWh, le tarif « le plus bas d’Afrique et l’un des plus bas du monde », souligne alors le ministère éthiopien des Finances.
Son concurrent émirati Masdar, également appelé Abu Dhabi Future Energy Company, est présent dans 30 pays dans le monde à travers un portefeuille de 13 GW de projets représentant près de 20 milliards de dollars d’investissements. Le groupe a fait ses premiers pas africains en Mauritanie, en 2013, avec l’inauguration de la centrale solaire de Sheikh Zayed (15 MW) à Nouakchott.
Rouleaux compresseurs
Masdar s’est ensuite illustré en Égypte, déployant 30 MW de capacités solaires et 7 000 kits solaires entre 2015 et 2016, puis au Maroc, en remportant en 2019, en consortium avec EDF Renouvelables et Green of Africa, la première phase du projet de centrale solaire hybride (CSP et photovoltaïque) Noor Midelt.
« S’ils sont tous les deux très agressifs, ils n’ont pas tout à fait la même approche, souligne un bon connaisseur du secteur. Acwa Power, qui vise une position dominante lorsqu’il arrive sur un marché, porte généralement ses projets seul. Masdar se présente, lui, souvent en consortium, avec EDF, Engie et TotalEnergies notamment. »
Masdar est piloté depuis 2016 par Mohamed Jameel Al Ramahi, vétéran des départements financiers de Masdar et de ADNOC Gas Processing, la filiale de production de gaz de la compagnie pétrolière nationale d’Abou Dhabi. Le groupe aboudabien s’est d’ailleurs associé, au début de 2020, avec le groupe égyptien Infinity Energy dans une coentreprise, baptisée Infinity Power, qui veut multiplier les projets solaires mais aussi éoliens en Égypte et plus globalement en Afrique.
Dynamiques, Phanes et AMEA privilégient les accords de gré à gré
Dans son premier rapport d’activités en tant que société cotée publié mi-novembre, Acwa Power s’est, lui aussi, positionné sur l’éolien pointant comme fait récent marquant la signature en septembre d’un contrat d’achat d’électricité avec le gouvernement égyptien pour quelque 1 100 MW de projets exploitant la force du vent.
Des cousins dubaïotes dans la roue
Acwa et Masdar, deux mastodontes qualifiés de « rouleaux compresseurs » par certains, ont été rejoints plus récemment par deux autres acteurs, Phanes et AMEA Power, tous deux issus du secteur privé et basés à Dubaï. « S’ils sont de taille plus modeste et visent logiquement des projets de moindre ampleur – entre 50 et 200 MW pour Phanes, 50 MW et 1 GW pour AMEA, ils se montrent toutefois dynamiques, privilégiant les accords de gré à gré », souligne l’expert du secteur sollicité.
Phanes a été lancé en 2012 par Martin Haupts, un financier formé en Europe, passé par Credit Suisse, à Londres et Zurich, puis par Gulf Merchant Bank à Dubaï. Le groupe se concentre sur les marchés émergents (Moyen-Orient, Afrique, Caraïbes) et revendique 2,5 GW de projets en développement. Insistant sur son profil d’opérateur indépendant, il a fait parler de lui pour la première fois sur le continent en 2016 en signant avec le Nigeria pour la construction de trois centrales solaires d’une capacité totale de 220 MW – un projet toutefois à l’arrêt faute notamment d’accord sur le tarif d’achat de l’électricité.
Par la suite, en 2018, Phanes a mené un projet pilote d’électrification rurale (hors réseau) de 28 KW (alimentation de 2 600 personnes) à Boki au Niger tout en amorçant des projets au Mozambique (deux centrales solaires de 50 MW), au Ghana (60 MW), en Guinée (45 MW) et au Mali (93 MW) – deux derniers pays où les projets pâtissent de l’instabilité politique. L’opérateur dubaïote, dont le dernier rapport d’activités en ligne remonte à 2018, a toutefois pu poser en avril dernier la première pierre d’une centrale solaire de 21 MW développée au Malawi malgré les difficultés provoquées par la pandémie de Covid-19.
On croit beaucoup à l’Afrique car le potentiel de développement est colossal
L’essor d’AMEA Power, lancé en 2014 par le holding familial AlNowais Investments de l’homme d’affaires émirati Hussain al-Nowais, semble plus aisé. Le groupe, qui a recruté comme PDG le Belge Jean Rappe, ex-patron d’Engie Solar, a démarré sa percée africaine en 2019 en signant des accords au Tchad (60 MW), au Togo (50 MW) et en Égypte pour deux projets phares d’une centrale solaire de 200 MW à Kom Ombo – où Acwa est également actif – et d’un parc éolien de 500 MW dans la région de Ras Ghareb.
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Cette même année, il a aussi remporté un appel d’offres en Tunisie, en consortium avec le groupe chinois TBEA, pour la construction d’une centrale solaire de 100 MW à Kairouan, se démarquant notamment d’Acwa, également candidat sur le projet. Depuis, AMEA a sécurisé les contrats d’achat d’électricité de plusieurs projets, ceux en Égypte et au Tchad mais aussi d’autres au Mali (50 MW), Maroc (30 MW), Burkina Faso (25 MW) et Kenya dans l’éolien (50 MW), tout en cherchant à se développer en Côte d’Ivoire, Éthiopie, Ouganda et Sierra Leone. Dernier motif de satisfaction, il a inauguré en juin son premier projet africain, la centrale solaire togolaise de Blitta – présentée comme la plus grande d’Afrique de l’Ouest.
Une moindre aversion au risque
Même de taille différente, tous ces acteurs venus du Moyen-Orient présentent des points communs qui constituent leurs forces. Habitués à investir dans des marchés émergents, ils sont moins sensibles au risque et donc moins frileux que les autres développeurs vis-à-vis du continent.
« On croit beaucoup à l’Afrique car le potentiel de développement est colossal, même si l’on sait qu’il faut être résilient », souligne Malik Bencherchali, directeur général de Phanes chargé du développement, résumant l’état d’esprit des différents opérateurs. Ces derniers bénéficient aussi d’un accès facilité aux capitaux, n’ayant aucun problème à mobiliser des financements, des fonds propres aux crédits bancaires en passant par les ressources d’investisseurs ainsi que les engagements des bailleurs et organismes de développement – ce qui est particulièrement le cas pour les géants Masdar et Acwa.
Ils se distinguent par le respect des délais et du budget
« Notre schéma est quasiment identique pour chaque projet, mené par une société créée localement : 25 % de fonds propres et 75 % d’endettement auprès d’institutions financières de développement comme IFC, filiale du groupe de la Banque mondiale affectée au secteur privé, et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), avec lesquelles nous sommes en contact permanent », avait ainsi expliqué à Jeune Afrique en 2020 Hussain al-Nowais.
Questions et critiques
« Une fois les projets signés, ils se distinguent également par leur capacité à respecter les délais et le budget, note le consultant Ahmadou Said Bâ. C’est assez frappant dans le cas d’AMEA qui a travaillé sur l’intégration verticale afin de garder le contrôle à toutes les étapes, structuration financière, construction et exploitation. »
Reste que cet essor soulève aussi des questions. Au Maroc, l’omniprésence d’Acwa est présentée par certains comme une faiblesse, en raison du potentiel risque pour l’indépendance énergétique du pays et des travers associés à une moindre concurrence.
Dans d’autres pays, où les accords ont été signés de gré à gré, les critiques sont parfois vives sur le manque de transparence concernant les tarifs pratiqués et les coûts des projets, sans oublier les soupçons de corruption et conflit d’intérêts – bien qu’aucune affaire n’ait éclaté à ce jour. Soulignant que l’on manque encore de recul sur les réalisations, plusieurs observateurs identifient deux points faibles des acteurs moyen-orientaux : le manque de connaissance du terrain et la tendance à survendre leur solidité financière, finalement difficile à évaluer.
Malgré cela, on devrait assister à une consolidation de leur empreinte dans les prochaines années, la majorité des spécialistes consultés par Jeune Afrique s’accordant à dire que les développeurs moyen-orientaux sont en Afrique pour y rester et étendre leurs activités. L’environnement pourrait même devenir plus concurrentiel : d’autres acteurs de la péninsule Arabique ont déjà suivi le mouvement et mis un pied en Égypte, dont le groupe saoudien Alfanar et l’investisseur dubaïote Alcazar Energy, quand d’autres, plus modestes, devraient se lancer sur le créneau des projets raccordés aux réseaux publics et, surtout, sur celui de la fourniture de solutions énergétiques aux entreprises et industries.
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L’Afrique en 2022
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