Quand Emmanuel Macron s’approprie le monopole de la démocratie

Lors du sommet de Montpellier, Emmanuel Macron a annoncé la création du Fonds d’innovation pour la démocratie. Mais l’argent peut-il vraiment la faire émerger ? Et la France peut-elle donner des leçons en la matière ?

Le président français Emmanuel Macron lors du sommet Afrique-France de Montpellier, le 8 octobre 2021. © DANIEL COLE/EPA/MAXPPP

Le président français Emmanuel Macron lors du sommet Afrique-France de Montpellier, le 8 octobre 2021. © DANIEL COLE/EPA/MAXPPP

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Publié le 28 novembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Un « fonds d’innovation pour la démocratie » doté de 30 millions d’euros sur trois ans pour soutenir les « acteurs du changement » en Afrique… Comment rester indifférent à une telle annonce ? Pour les participants au sommet de Montpellier, c’est la preuve qu’Emmanuel Macron est bien du côté des peuples africains. Pour ses détracteurs, c’est un montant ridicule, bien loin de ce qu’il faudrait, et de ce que les intérêts français gagneraient indûment en Afrique.

Entre les deux, peu de voix qui interrogent la pertinence de l’idée sous-tendue par cette annonce. L’idée suivant laquelle l’argent serait la mère de la démocratie. Passons sur le surmoi capitaliste à l’origine d’une telle idée : l’argent comme réponse au moindre problème ; l’argent au centre des rapports humains, de l’organisation de la société, de la vie sociale et politique. Passons aussi sur le fait que, lorsqu’ils ne l’exportent pas à la pointe de leurs baïonnettes partout dans le monde, les Américains financent grassement la démocratisation de l’Afrique depuis au moins l’époque de la guerre froide, avec un « succès » qui renseigne à suffisance sur l’impact prévisible du « fonds d’innovation pour la démocratie » du président français.

Nous devons en finir avec l’idée que la démocratie a été inventée en un lieu donné à une époque précise avant de se diffuser ailleurs

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Premières démocraties africaines

Le fait est qu’il est plus que temps d’interroger ce sentiment naturel de supériorité qui pousse certains pays à s’approprier le monopole de la « démocratie » au point qu’ils s’estiment fondés à donner des leçons en la matière, à accompagner « ces pays-là » sur le chemin du salut démocratique, à financer la démocratie des autres. Dans son dernier livre, The decline and rise of democracy, David Stasavage, professeur à l’Université de New York, établit de façon formelle que « des formes anciennes de démocratie étaient courantes au sein des sociétés humaines ; en fait, elles l’étaient autant que les autocraties… Nous devons aussi en finir avec l’idée que la démocratie a été inventée en un lieu donné à une époque précise avant de se diffuser ailleurs ».

S’agissant de l’Afrique, il indique que « des formes anciennes de démocratie ont également existé dans plusieurs sociétés africaines précoloniales », même si « les Européens ont tardé à s’en rendre compte ». Les Tshiluba du Kasai, les Lwimbi (Angola) ou encore les Songye (Katanga, Maniema, Kasai), sont des exemples parmi d’autres de peuples africains qui avaient adopté des modes de gouvernement « démocratiques ». Les conditions d’émergence de ces formes premières de démocratie ne devaient rien ni à l’argent ni a fortiori à la race, mais à des dynamiques locales spécifiques.

Dirigeants faibles

Ces démocraties initiales émergeaient plus facilement sur des territoires de taille modeste, dans lesquelles le chef n’avait aucun moyen de contrôler la production économique – et par conséquent aucun moyen de décider du niveau d’imposition –, dont les résidents pouvaient facilement partir, et dont les chefs avaient davantage besoin de leurs peuples que ces derniers, d’eux. En d’autres termes, depuis la nuit des temps, la démocratie a été tributaire de rapports de force internes aux sociétés.

Un facteur crucial à considérer dans cette équation est la présence d’une administration : les sociétés qui ont su développer des administrations efficaces très tôt (comme la Chine) se sont généralement dispensées d’associer les peuples à la gestion des affaires publiques. Elles n’en avaient simplement pas besoin, et ont suivi une trajectoire qualifiée de « tyrannique » par le consensus occidental moderne. Et, donc, l’ironie de l’émergence de la démocratie sous sa forme ancienne en Europe, nous dit Stasavage, est qu’elle y a émergé et prospéré précisément parce que pendant très longtemps, les dirigeants européens étaient faibles : « Pendant plus d’un millénaire après la chute de Rome, les dirigeants européens n’avaient toujours pas la capacité d’évaluer la production de leurs peuples et de prélever des impôts en conséquence. »

Le président français devrait arrêter tout financement des gouvernements africains coupables de piétiner la démocratie

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Stopper les ventes d’armes

Ce qui précède confirme, si besoin était, qu’il serait hasardeux de placer trop d’espoir dans ce « fonds d’innovation pour la démocratie ». Il n’a rien « d’innovant » et, selon toute vraisemblance, il n’avancera aucunement la cause de la démocratie sur le continent. Il est d’ailleurs curieux que ceux qui, en Afrique, la réclament à cor et à cri se satisfassent de la faire financer par d’autres.

Mais si d’aventure le président français souhaitait véritablement faire évoluer le rapport de forces en faveur des peuples africains – puisque c’est de cela qu’il est question –, et donc augmenter la probabilité qu’émergent d’authentiques démocraties sur le continent, nous lui proposerions d’arrêter tout financement, direct ou indirect, des gouvernements africains coupables de piétiner la « démocratie ». Ou encore, de stopper toute vente d’armes à ses partenaires africains en guerre ouverte contre leurs peuples. Mais, alors, nous serions confrontés à cette terrible question : le président français veut-il vraiment que la voix des peuples africains s’exprime librement, notamment sur l’héritage de la relation entre la France et l’Afrique ? Poser la question, c’est déjà y répondre…

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