Abassi Madani et Ali Benhadj

Tout indique que la longue incarcération des leaders du Front islamique du salut ne les a pas changés. Mais peuvent-ils encore peser sur la vie politique algérienne ?

Publié le 7 juillet 2003 Lecture : 6 minutes.

Le 2 juillet 2003, douze ans après leur arrestation, le 20 juin 1991 à Alger, Abassi Madani et Ali Benhadj, anciens président et vice-président du Front islamique du salut (FIS), ont été libérés. Le premier a vu son assignation à résidence (il a été transféré en 1997 de la prison militaire de Blida à son appartement du quartier populaire de Belcourt) levée, alors que le second a quitté sa cellule aux aurores. Avant leur libération, les deux hommes se sont vu présenter un procès-verbal confirmant la perte de leurs droits civiques. Si Abassi Madani l’a signé sans faire de difficultés, Ali Benhadj a refusé. Motif : le contenu du document est trop restrictif et, surtout, illimité dans le temps. Il déclinera tout autant la proposition du directeur de la sûreté nationale de mettre à sa disposition une garde rapprochée.
Tout indique que leur longue incarcération ne les a pas transformés. À un Madani politique et manoeuvrier répond un Benhadj impulsif, réfractaire à toute expression de l’autorité publique « illégitime ». Pour eux, l’Algérie n’a pas changé non plus. Deux jours avant son élargissement, Madani a adressé un message au peuple. Il lui demande de ne pas manifester sa joie. Rien de moins. Quant à Ali Benhadj, il a contraint le cortège de douze voitures venu l’accueillir à sa sortie de prison à faire un détour par le boulevard des Martyrs à Alger, où se trouve le siège de la télévision nationale. Pèlerinage à l’endroit où il a été interpellé douze ans plus tôt ? Pas du tout. Il voulait s’adresser « en direct » au peuple algérien…
Madani et Benhadj, respectivement 72 et 47 ans, sont convaincus qu’ils sont toujours à la tête de la première force politique du pays, qu’ils sont toujours capables de mettre à genoux la République. Rien n’est moins sûr, mais il est évident que leur libération aura des implications sur la vie politique algérienne, d’autant qu’elle intervient à quelques mois d’une présidentielle dont la campagne promet d’être des plus chaude.
Le jugement des deux hommes, le 12 juillet 1992, est un moment unique dans les annales judiciaires du pays. Un procès politique, une juridiction militaire (état de siège oblige), une défense composée d’avocats nationaux et étrangers parmi les plus réputés, et un intérêt médiatique que n’a pas entamé l’assassinat, quelques jours plus tôt, du président Mohamed Boudiaf. Verdict : douze années de réclusion criminelle. Leaders de la première force politique du pays depuis juin 1990, quand leur formation avait raflé la mise lors des élections locales, Madani et Benhadj étaient aux portes du pouvoir. Mais ils ont fait l’erreur de croire qu’ils pouvaient engager un bras de fer avec le gouvernement. Face au refus des autorités publiques de réformer la loi électorale, ils appellent à la désobéissance civile. Les militants islamistes occupent les places publiques d’Alger, la rue s’embrase, et la grève se transforme en mouvement insurrectionnel avec son lot de victimes : les premiers morts d’une série qui dure encore aujourd’hui.
Le premier appel au djihad est lancé par Madani le 28 juin 1991. Son compère Benhadj conseille aux Algériens de stocker tout ce qui peut servir d’arme : du fusil de chasse au couteau de cuisine en passant par la pioche. Une première fracture dans la direction du FIS s’opère. Six dirigeants se démarquent du couple infernal. Madani et Benhadj sont convaincus que les dizaines de milliers de militants qui occupent la rue leur garantissent l’immunité. C’est pourquoi ils refusent de répondre à une convocation du parquet. Le 30 juin, Benhadj se sent en droit d’adresser un message à la nation. Il
se rend au siège de la télévision et exige qu’un plateau soit mis à sa disposition. Il est arrêté. Quelques heures plus tard, une unité d’élite de la police encercle le siège du FIS à Alger. Madani est interpellé sans résistance.
Contrairement à ce qu’ils croyaient, non seulement leur arrestation ne déclenche pas d’explosion populaire, mais elle dévoile les divergences au sein de la direction du FIS. Avec l’apparition des obédiences, souvent contradictoires, que le FIS fédérait, de nouveaux termes font leur entrée dans le quotidien politique du citoyen : Salafiya, Hidjra oua Takfir (« exil et expiation »), Djaz’ara (« algérianiste »), etc. Le Front va de ruptures en fractures. Le procès de Madani et Benhadj se déroule sans eux et sans leurs avocats, qui contestent la procédure, mais il va à son terme. Pis : le parti est officiellement dissous en mars
1992, deux mois après sa victoire lors de législatives dont les résultats sont annulés par un coup de force de l’armée.
Les conditions de détention des deux hommes varieront selon la conjoncture. Au
début, ils seront traités comme de vulgaires déserteurs : tenues de prisonnier, privation de contacts avec l’extérieur et avec les autres détenus, barbe rasée pour Madani (Benhadj est imberbe). Ces conditions s’assouplissent en 1993. L’Algérie est alors dans l’impasse, la violence s’installe, les attentats se multiplient et les maquis sont occupés par plus de vingt mille hommes en armes. Le pouvoir cherche une issue politique à la crise. Une commission de dialogue national est instituée en 1993. Parmi ses membres, deux généraux : Ahmed Senhadji (aujourd’hui secrétaire général du ministère de la Défense) et Mohamed Touati (actuellement conseiller du président Bouteflika en matière de sécurité). Madani et Benhadj changent de cellule, ont droit à la télévision et surtout peuvent rencontrer leurs codétenus, membres de la direction du FIS. Les négociations tournent autour de la violence. Le pouvoir attend des prisonniers une condamnation claire du terrorisme en échange d’une amélioration de leurs conditions de détention, voire plus. Mais ils refusent. Retour à l’isolement.
L’année suivante, Liamine Zéroual est nommé ministre de la Défense. Il rend visite aux deux détenus, tente de les convaincre d’appeler leurs troupes à déposer les armes. Nouveau refus. « Le dossier du FIS est clos ! » affirme Zéroual. Les deux hommes ne sont pas pour autant inactifs. Ils écrivent. Madani interpelle le secrétaire général de l’ONU tandis que Benhadj réitère son allégeance aux chefs successifs des Groupes islamiques armés. Dans l’une de ses lettres, il affirme, en 1994, à Cherif Gousmi, patron des GIA : « Si j’étais libre, j’accomplirais le djihad sous vos ordres. »
Durant leur incarcération, les dirigeants du FIS ont pu rester en contact avec leurs ouailles. Madani a assisté, en 1999, aux obsèques d’Abdelkader Hachani, assassiné par les GIA à Bab el-Oued. Il a également pu accorder une interview en mai 2003, qui est parue sur le site de l’une des nombreuses représentations du FIS à l’étranger.
Douze ans après leur arrestation, la situation a changé du tout au tout. Certes, le mythe du FIS perdure, mais le Front a éclaté en courants politiques s’entredéchirant à l’étranger. En Algérie, il ne fait parler de lui qu’à travers quelques maquis, son programme politique se résumant désormais aux faux barrages et au racket des populations isolées.
Malade, Abassi Madani a accepté la perte de ses droits civiques pour pouvoir se soigner à l’étranger. Sans doute en Allemagne, où ses fils, condamnés à mort en Algérie pour leur participation à l’attentat à la bombe contre l’aéroport d’Alger en 1993, résident. Pour ce qui est d’Ali Benhadj, divers scénarios sont possibles. Fidèle à sa réputation de « grande gueule », il brave l’interdit et retourne très vite en prison. Il peut également connaître une mort violente parce qu’il aura croisé un orphelin du terrorisme ou un militaire qui a vu ses compagnons égorgés. Troisième possibilité : l’exil pour continuer à faire de la politique. Cette option paraît peu probable. Quel pays consentirait à accueillir officiellement un homme qui ne fait pas mystère de son admiration pour Ben Laden ? Enfin, il accepte sa « mise en quarantaine » politique qui lui est imposée. À suivre…

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