Un ticket gagnant

Le président Sam Nujoma va quitter le pouvoir en novembre prochain pour prendre la direction du parti. Un de ses vieux compagnons est désigné pour lui succéder à la tête du pays.

Publié le 7 juin 2004 Lecture : 4 minutes.

Le plus dur est fait pour le ministre namibien des Terres, Hifikpunye Pohamba, et son protecteur, le président Sam Nujoma. Le 30 mai à Windhoek, le parti au pouvoir, la South West African People’s Organization (Swapo), a décidé d’en faire son candidat à l’élection présidentielle de novembre prochain, signant ainsi le début d’une transition politique que le chef de l’État appelait de ses voeux.
« Avec le camarade Pohamba, la Namibie est en de bonnes mains », a assuré Nujoma après la victoire de son poulain. « La stabilité du pays est assurée. » Après quatorze années, le président et père de l’indépendance de la Namibie devait passer la main et a tout fait pour que son candidat remporte la course à l’investiture de la Swapo. La domination du parti sur la vie politique namibienne est telle – elle a gagné, par plus de deux tiers des voix, les consultations électorales de 1999 – que, sauf cataclysme improbable, Pohamba ne manquera pas d’être porté à la tête du pays en novembre. Mais, si Nujoma quitte officiellement le pouvoir, il n’en a pas pour autant abdiqué toute influence, puisqu’il continuera à diriger le parti jusqu’en 2007.
En mars dernier, il avait été très clair sur ses intentions et s’était attelé à persuader le comité central de la Swapo de proposer Pohamba comme candidat unique à sa succession. Le refus des caciques de la formation au pouvoir a finalement obligé le ministre des Terres à essuyer, dans la course à l’investiture, la concurrence de Hidipo Hamutenya, ancien ministre des Affaires étrangères, et de Nahas Angula, le titulaire du portefeuille de l’Éducation. Mais il n’y a pas eu photo à l’arrivée : Pohamba a remporté la mise au deuxième tour, avec 347 voix sur 514.
L’élection de Pohamba, 69 ans, marque la continuité dans la conduite des affaires du pays. De six ans son aîné, le fringant Nujoma protège le nouveau présidentiable au sein du parti depuis plus de trente ans. Mais le style des deux hommes est différent. À l’exubérance du premier s’oppose la modestie du second qui avait assuré que, s’il perdait l’élection, il se retirerait à la campagne pour cultiver ses champs.
Père fondateur et libérateur de la Namibie, Nujoma, au contraire, n’a jamais pris de gants. Ni pour insulter les fermiers blancs, ni pour dénigrer les homosexuels. Intellectuellement et politiquement proche de son homologue zimbabwéen Robert Mugabe, il s’est lui aussi lancé dans un programme de réforme agraire, mais s’est bien gardé d’adopter la politique radicale de son ami et d’effrayer les investisseurs étrangers. Fidèle à son « patron », Pohamba devrait le suivre dans cette voie : éviter le piège zimbabwéen tout en poursuivant la redistribution des terres, qui n’en est d’ailleurs qu’à ses balbutiements. Les fermiers blancs, environ 80 000, représentent 4 % des quelque 1,8 million de Namibiens, et, malgré leurs idées politiques souvent radicales voire racistes (certains d’entre eux célèbrent chaque année l’anniversaire de Hitler), ils n’ont pas été réellement obligés de céder du terrain. Du moins pour le moment.
Dans cette difficile tâche qui l’attend, les qualités de bon diplomate dont on gratifie Pohamba ne seront pas de trop. Élevé par les missionnaires dans la Namibie des années 1940, puis étudiant dans l’Union soviétique de la décennie 1980, le candidat de la Swapo à l’élection présidentielle est un homme de consensus. Les militants l’imaginent comme un pont entre l’ère Nujoma, dont il est le plus pur produit, et la jeune génération qui attend le pouvoir. Les vieux militants, eux, aiment à voir en lui le ciment essentiel d’un parti de libération, qui, comme souvent en Afrique, pourrait souffrir des scissions qui surviennent après le départ de son fondateur. C’est d’ailleurs sa parfaite connaissance des rouages du parti – qu’il a dirigé comme secrétaire général puis comme vice-président – ainsi que le soutien de Nujoma qui lui ont assuré une victoire qui n’était pas gagnée d’avance.
Hamutenya, le rival le plus sérieux de Pohamba, affichait ouvertement ses ambitions, assurant ses supporteurs de son influence au sein des médias et des entreprises proches du gouvernement. Le clan Nujoma craignait, avec Hamutenya, l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération d’hommes politiques et d’hommes d’affaires, susceptibles de le reléguer au second plan. Mais le chef de l’État, qui sait parfois user de méthodes staliniennes, l’a démis de ses fonctions ministérielles quelques jours seulement avant le vote du 30 mai, en l’accusant d’être trop proche des « impérialistes occidentaux ». Un coup de Jarnac dont Hamutenya ne s’est pas remis. Sans compter que la question ethnique ne jouait pas en sa faveur. Hamutenya et Pohamba sont tous deux kwanyamas, la principale ethnie du groupe des Oshivambos, majoritaires dans le pays.
Mais, tandis que Pohamba – soutenu par Nujoma – a plaidé en faveur de la protection des minorités, Hamutenya leur a témoigné beaucoup moins de sollicitude et s’est même toujours assuré de la suprématie des Kwanyamas au sein des institutions qu’il a dirigées. Une erreur qui l’a mené à sa perte, même si l’ancien ministre des Affaires étrangères a peut-être encore une carte à jouer. Car Pohamba, une fois élu à la magistrature suprême, devra nommer son Premier ministre. Un choix qui sera décisif, tant les deux postes de l’exécutif donnent droit à des prérogatives quasi identiques. Le risque n’est pas négligeable pour le nouveau président de se voir voler la vedette. Son style consensuel peut avoir porté ses fruits au sein du parti, mais les militants sont nombreux à penser qu’un dirigeant plus dynamique devrait prendre la tête du gouvernement, afin de remuer une administration inerte et de promouvoir la croissance économique. Et si Angula et Hamutenya, les deux candidats malheureux à l’investiture de la Swapo, semblent posséder les qualités requises, c’est le premier qui tient la faveur des pronostics. Si l’on en juge en tout cas par les réticences manifestées dans les rangs de la Swapo contre le second.

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