Stratégie de retour…

L’ancien Premier ministre Idrissa Seck séjourne à Paris depuis son éviction par le président Wade. Une phase de repos et de réflexion.

Publié le 7 juin 2004 Lecture : 8 minutes.

Dans un quartier chic de l’Ouest parisien, au Saint-James, un château du XIXe siècle transformé en une résidence hôtelière dans la pure tradition des clubs londoniens, Idrissa Seck « se repose » depuis fin avril.
Celui qui fut Premier ministre du Sénégal du 4 novembre 2002 au 21 avril 2004 ne fait décidément rien comme les autres. Au détriment des palaces ultramodernes d’ordinaire favoris des hommes politiques, il a choisi le site pour son way of hosting anglo-saxon. Et, précise-t-il, « parce qu’il est sister hotel [établissement jumelé] du Princeton Club ». Princeton n’en finit pas de coller à la peau de l’ex-Premier ministre, depuis qu’il est passé par l’université de cette ville américaine.
Dans le jardin privé attenant au château, Seck « réfléchit », écrit un livre. Son titre ? Lui et moi. Nul besoin d’être devin pour découvrir qui se cache derrière « lui ». Mais « lui » c’est aussi, au-delà de Wade, sa famille, et nombre d’hommes et de femmes qui gravitent autour du président du Sénégal, dans le cadre de l’État ou de sa formation politique, le Parti démocratique sénégalais (PDS). Le livre s’annonce intéressant. L’auteur brûle d’envie de livrer sa part de vérité sur sa séparation déchirante avec Wade, après trente longues années de compagnonnage (voir J.A.I. n° 2259).
L’ouvrage aurait d’ores et déjà trouvé preneur. L’ancien Premier ministre affirme avoir deux éditeurs en France prêts à le publier. Chacun d’eux souhaite le voir paraître « à chaud », « le plus tôt possible ». Mais Seck, qui tient à effectuer une recherche documentaire pour compléter le « vécu », refuse pour l’instant de s’engager sur une date de remise du manuscrit.
Seck écrit. Il lit aussi. Comme pour rattraper le temps que lui ont volé ses responsabilités depuis l’alternance de mars 2000. Sur sa table de chevet : Ce que je crois, de l’ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor ; Straight from the Gut, du manager américain, ancien patron de General Electric, Jack Welch ; La grammaire est une chanson douce, de l’académicien français Erik Orsenna ; Réflexion sur la guerre, le mal et la fin de l’histoire, du philosophe français Bernard-Henri Lévy… Il y a aussi le Coran, son livre de chevet, qu’il parcourt régulièrement. Pratiquant, il consacre une à deux heures par jour à prier et à égrener son chapelet.
« Pour entretenir le physique », l’ancien footballeur du Thiès étudiant club passe chaque matin dans la salle de fitness du Saint-James. Une assiduité qui se paie d’une grande forme et d’une silhouette de plus en plus athlétique.
Seck rencontre aussi du monde : « des amis », dont il refuse de dévoiler l’identité, des « compatriotes sénégalais de passage à Paris », mais aussi des intellectuels français comme l’écrivain Henri Bonnier, ancien directeur de la maison d’édition Albin Michel, et « l’africanophile » Erik Orsenna…
Il s’investit également dans la vie associative. En s’attelant à la création de la Fondation @lm – « Access Lawhul Mahfouz », traduisez : « Accès à l’écriture primordiale » (divine). Une idée partie de la proposition de rédaction d’un livre commun que lui a faite Bernard-Henri Lévy en mai 2003, après que Seck eut fait une communication sur l’islam au Festival des musiques sacrées de Fès, au Maroc. La fondation vise à « recueillir des contributions de cerveaux musulmans, chrétiens, juifs et athées sur des questions d’actualité : djihad, intégrismes, nouvelles menaces, péril des droits de l’homme, tolérance… »
L’ex-Premier ministre s’occupe donc, comme dans un exercice cathartique, pour ne laisser de temps ni de place à l’amertume. Le dépit et la déception doivent en effet habiter cet homme ambitieux, ministre du Commerce à 29 ans, directeur de cabinet du chef de l’État avec rang de ministre d’État à 41 ans, Premier ministre à 43 ans, avant d’être écarté du gouvernement – et de la succession de Wade ? – à 45 ans.
Il refuse pour autant de se laisser abattre, et nie tout ressentiment : « Je suis né dans une famille très modeste. Il a fallu que ma mère fasse la queue pendant trois jours pour que je puisse m’inscrire à l’école primaire. Aujourd’hui, Dieu m’a comblé de ses bienfaits. Pourquoi serais-je ingrat vis-à-vis du Créateur en m’empoisonnant la vie pour un poste perdu ? »
Que va-t-il faire pour rebondir ? Dans l’immédiat, son agenda est chargé. Il a participé à l’édition 2004 du Festival des musiques sacrées, qui s’est tenue du 26 mai au 6 juin à Fès. Il est ensuite revenu en France pour répondre, en tant que maire de Thiès, à l’invitation de son homologue d’une ville jumelée, Caen, qui fête l’anniversaire du débarquement des forces alliées en 1944. Puis il fera un crochet à Princeton à la mi-juin « pour voir des amis », avant d’effectuer un périple en Mauritanie et au Kenya en juillet et août « pour faire visiter ces pays africains à [ses] enfants »…
Enfin, cap sur le Sénégal, en septembre prochain, « pour me mettre à la disposition du président de la République et secrétaire général de mon parti, comme je l’ai annoncé le jour de mon départ du gouvernement. »
Et les intentions qu’on lui prête de créer une dissidence au sein du PDS, voire de former un nouveau parti politique ? Seck répond, avec son sens habituel de la formule : « Dieu dit dans le Coran : « Ne faites pas comme celle qui défaisait brin après brin sa quenouille après l’avoir solidement filée. » Je suis et reste un militant du PDS. Je demeure le fils de Wade, que j’ai eu au téléphone hier. »
La réalité semble toutefois moins idyllique. Wade a renouvelé ses griefs contre son « fils », le 24 mai, au cours d’une escale à Libreville. Les divergences entre Seck et l’entourage du chef de l’État, dont son propre fils et conseiller, Karim Wade, virent à l’aigre. Depuis fin avril, une « purge » extirpe les « pro-Seck » (Yankhoba Diattara, Modou Diagne Fada…) des instances du parti et des postes de responsabilité au sein de l’État. L’ex-Premier ministre lui-même est constamment en contact téléphonique avec ses hommes dans le sérail, active ses « réseaux » à l’étranger, se prépare au cas où…
Mais il ne faut pas compter sur lui pour un quelconque déballage. Cet homme secret, qui ne cache pas avoir « lu et compris » Machiavel, croit plus au rapport de forces et à la ruse qu’au bavardage politique. Ne s’est-il pas gardé de tomber dans la polémique, au plus fort de la tourmente suscitée par le livre d’Abdou Latif Coulibaly (Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée ?, paru en juillet 2003) ? N’a-t-il pas encaissé sans mot dire les attaques répétées du camp dit « pro-Wade », d’août 2003 jusqu’à son limogeage huit mois plus tard ? Lecteur des grands penseurs politiques, il est convaincu que « le prince obère son prestige s’il descend dans la polémique avec ses sujets ».
Ainsi est Seck : froid, structuré. Un personnage politique peu commun qui illustre et étaye ses propos autant par des références à l’informatique que par des citations tirées du Coran. L’ex-Premier ministre est un mélange détonant de contraires : une fibre islamique qui pousse ses proches à l’appeler « Mara » (diminutif de « marabout ») et une appétence pour des choses bien temporelles comme le pouvoir ; un Wolof du terroir, qui fait penser à un Sénégalais de la campagne quand il s’exprime dans sa langue maternelle, et une possession parfaite de l’informatique et des outils du monde moderne ; un esprit de « clan » au sein du PDS et une posture constante d’homme d’État, dans l’exercice de ses fonctions gouvernementales…
À 45 ans, ce diplômé de Sciences-Po Paris (en 1986), imbibé du pragmatisme américain à la faveur de son séjour à Princeton, initié aux subtilités du terrain par le redoutable Abdoulaye Wade, est tout simplement un politique. Cela lui suffira-t-il pour réussir, à court ou moyen terme, un nouveau départ dans la jungle politique sénégalaise ?
Les choses ne s’annoncent pas de tout repos pour lui. Cible d’attaques dans son parti, il est également le bouc émissaire de ceux qui, nombreux, n’ont pas vu venir les postes ou privilèges escomptés après l’alternance de 2000. Seck assure toutefois vouloir, dans les mois et années à venir, se tenir à cette ligne de conduite : n’en arriver à l’affrontement avec personne. Pas même avec ses détracteurs qui entourent le chef de l’État. « Je pardonne à Farba Senghor [un ancien conseiller de Wade devenu ministre ] ses fautes passées et futures. C’est un authentique militant qui reliait les quartiers Parcelles assainies, Point E et l’Assemblée nationale à pied pour les besoins du parti », indique-t-il. Mais non sans ajouter, à propos de ses adversaires déclarés au PDS (Ousmane N’gom, Cheikh Tidiane Sy…), échouant pour une fois à inhiber son sentiment profond : « Je me limiterai, par ma façon d’être, à accroître l’effroi et l’inquiétude dans leurs coeurs. »
S’il se garde de « faire palabres en public », Seck sait rendre les coups, reporter la pression sur l’adversaire. Et même, dans certains cas, provoquer. Moustapha Niasse ne dira pas le contraire. Premier ministre au lendemain de la victoire électorale du 19 mars 2000, il n’a cessé d’être égratigné par Seck. Il finira par sortir de ses gonds pour entrer dans un cycle de polémiques et de passes d’armes publiques. Un comportement qui servira de prétexte à Wade pour justifier aux yeux de l’opinion son limogeage, le 3 mars 2001.
Seck n’est pas un enfant de choeur. Homme de réseaux, il tisse sa toile bien au-delà de son camp. S’il a de la pudeur à parler de ses rapports avec Ousmane Tanor Dieng, leader du Parti socialiste (PS, ancienne formation au pouvoir), un de ses proches indique : « Idrissa et Tanor sont liés par des sentiments de respect et d’affection. Ils s’appellent régulièrement. Le premier est admiratif de la performance du second après la défaite du PS en 2000 : tenir malgré la fronde, supporter les audits de la gestion socialiste, amener le PS, en dépit des défections, à devenir la deuxième force à l’Assemblée nationale, à l’issue des élections législatives de mai 2001. »
Convaincu que « l’ère du parti dominant et écrasant est terminée », Seck pense qu’il faut savoir rassembler pour remporter une élection à l’avenir au Sénégal. N’est-il pas déjà en train de concocter une stratégie pour une ascension vers le fauteuil présidentiel ? Il s’en défend avec vigueur : « Tant que Wade est en activité, je le soutiendrai. » Et après lui ? « Si Dieu me prête vie après lui, j’aurai une responsabilité double : continuer son oeuvre et barrer la route à un éventuel successeur hostile à notre famille politique. » On ne peut être plus clair.

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