Rumsfeld, bouc émissaire ?

Publié le 7 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Nous n’avons pas de preuve que Donald Rumsfeld soit directement responsable de la torture en Irak. Jusqu’à présent, on ne sait pas avec certitude s’il y a eu une politique de violence délibérée à l’égard des prisonniers pour leur extorquer des renseignements. Il est inquiétant qu’il y ait eu des bavures similaires en Afghanistan, et que certaines techniques utilisées révèlent un vrai savoir-faire en matière de torture. En revanche, des entretiens avec des détenus et des gardes ont donné à penser que la plupart des sévices les plus horribles ont été commis par l’équipe de nuit d’un quartier cellulaire d’une prison particulière. Les dernières révélations du Washington Post sont abominables : certains gardes jetaient la nourriture des prisonniers dans les toilettes et les obligeaient sous la torture à abjurer leur religion.
Il faut donc une investigation approfondie. Si la complicité de Rumsfeld est avérée, il doit s’en aller. Mais si, comme le général Antonio Taguba l’a écrit dans son rapport (dont on a à juste titre souligné la sévérité et la précision), les problèmes se sont posés à un niveau très inférieur, pourquoi faire du secrétaire à la Défense un bouc émissaire ?
Le meilleur argument en faveur du limogeage de Rumsfeld est que, mal préparé et manipulé par un charlatan, Ahmed Chalabi, il nous a fait tomber dans un guêpier. Sa doctrine de la force minimale a saboté notre occupation et est partiellement responsable de la situation actuelle.
Mais attention : ce n’est pas un faucon néoconservateur. C’est un conservateur à l’ancienne mode, un réaliste comme le premier président Bush, et il n’a pas particulièrement milité pour la guerre avec l’Irak. Les vrais coupables sont les idéologues « néocons » qui ne rêvaient que d’en découdre : des gens comme Dick Cheney, Paul Wolfowitz, Douglas Feith, Scooter Libby et l’actuel président Bush lui-même.
Rumsfeld n’a pas fait preuve de la sagesse du secrétaire d’État Colin Powell, qui a tenté de retenir Bush. Mais ce n’était pas non plus un va-t-en-guerre. Selon le livre de Bob Woodward, Rumsfeld, au cours des réunions de travail, passait plus de temps à poser des questions qu’à défendre des positions. Pourquoi le renvoyer à ses foyers parce qu’il a exécuté les ordres de son patron ?
Il est vrai qu’il a plutôt cafouillé, et qu’on pourrait du coup le limoger pour incompétence. Mais comment justifier alors qu’on garderait le vice-président Cheney, qui porte la grande responsabilité de tout ce qui a mal tourné, et monsieur CIA, George Tenet, qui s’est arrangé à la fois pour ne pas voir venir les attentas du 11 septembre 2001 et pour « découvrir » des preuves irréfutables de l’existence d’armes de destruction massive en Irak ?
En vérité, sous la direction des néocons, la guerre aurait été encore plus mal menée. Wolfowitz était persuadé qu’une poignée de soldats aurait pu s’emparer des champs pétrolifères du sud de l’Irak, et que cela aurait suffi pour que le régime de Saddam s’effondre.
Quels seraient les avantages d’un limogeage de Rumsfeld ? Certes, cela montrerait à la communauté internationale que les Américains sont aussi écoeurés par leurs propres crimes de guerre que par ceux de Saddam. Mais cela créerait aussi un vide. Les gens qui se trouvent immédiatement sous Rumsfeld – Wolfowitz et Feith – sont plus coupables que lui et devraient être immédiatement mis à la porte. Couper les trois principales têtes du Pentagone prouverait qu’on a le sens des responsabilités, mais entraînerait aussi une paralysie et multiplierait le nombre des retours de cercueils étoilés.
La personne qui est à l’origine de ce qui se passe en Irak et qui en porte l’ultime responsabilité n’est pas Rumsfeld, mais Bush – et ses patrons auront la possibilité de le mettre à la porte en novembre prochain.

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