Qui, après Kérékou ?

Sauf à réviser la Constitution, le chef de l’État ne peut briguer un nouveau mandat en 2006. Alors qu’il n’a encore officiellement rien dit de ses intentions, les candidats qui voudraient lui succéder sont légion.

Publié le 7 juin 2004 Lecture : 6 minutes.

Suivra-t-il l’exemple du Tchadien Idriss Déby, qui a procédé récemment à une réforme constitutionnelle pour s’installer durablement au pouvoir ? Emboîtera-t-il, au contraire, le pas au Namibien Sam Nujoma, qui vient de confirmer son prochain départ à la retraite ? Mathieu Kérékou, « le Caméléon », fera-t-il sauter le verrou de l’âge (70 ans) et la limitation à deux du nombre de mandats de cinq ans ? Le chef de l’État béninois, officiellement 73 ans au terme de son mandat actuel, en 2006, aura passé vingt-neuf ans au pouvoir (dix-huit de régime autoritaire, une année de « régime de transition » et deux quinquennats en tant que président élu), peut théoriquement rempiler, à l’instar de ses pairs guinéen, togolais, gabonais, burkinabè et tunisien. À condition de procéder, par un vote qualifié à la Chambre ou par voie référendaire, à une révision de la Constitution du 11 décembre 1990, qui fixe à 70 ans l’âge limite des prétendants à la magistrature suprême et selon laquelle le président de la République « est élu pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois ». Un pari pour le moins risqué.
Si beaucoup de Béninois, ainsi que la presse et les diplomates occidentaux en poste à Cotonou déconseillent fortement au sortant d’écouter le « chant des sirènes », certains thuriféraires du régime, pour l’essentiel des collaborateurs du chef de l’État craignant pour leurs prébendes et des hommes d’affaires soucieux de protéger leurs rentes, mais aussi des dirigeants africains « amis », poussent Kérékou à rempiler. « La procédure de révision est prévue par la Constitution elle-même, et il n’y a pas de mal à y recourir, d’autant plus que tout le monde le fait, expliquent ces derniers. Il est temps que votre pays cesse de donner le mauvais exemple. » « Avec cette histoire de conférence nationale, au début des années 1990, tu as semé la zizanie sur le continent, aurait même confié au président béninois l’un de ses pairs africains. Ensuite, tu as organisé, en 1991, une élection présidentielle que tu as eu la mauvaise idée de perdre ! »
Que pense donc le principal intéressé de ces conseils avisés et autres suppliques ? « Vous me connaissez ! Je n’ai pas pour habitude de renier ma parole, et je ne suis pas un assoiffé de pouvoir », nous a confié le président Kérékou au cours d’une récente « audience privée ». Cheveux blancs, voix chevrotante, le visage émacié, visiblement fatigué, il esquive, comme à son habitude, les questions plus précises. Briguera-t-il un nouveau mandat ? Quand fera-t-il connaître sa décision ? Sur ses intentions et son agenda pour 2006, le « Caméléon » cultive, avec un plaisir non dissimulé, le mystère. Pourtant, selon nos informations, le président béninois, qui a prouvé à plusieurs reprises par le passé qu’il pouvait surprendre son entourage, ne retournera pas devant les électeurs. Car, dans un pays où la politique est un sport national, l’ancien marxiste reconverti au protestantisme est conscient des risques qu’il encourt s’il essaie de transformer son magistère en présidence à vie : partis politiques, syndicats, intellectuels, journalistes et même certains membres du gouvernement lui prédisent déjà une précampagne animée, sinon un mauvais sort. Des pétitions circulent depuis plusieurs mois, y compris sur le Net, appelant au « strict respect de la Constitution ». En cas de pépin, et cela Kérékou, général à la retraite, le sait, il n’est pas exclu que l’armée, considérablement rajeunie au cours de la dernière décennie, intervienne dans le débat politique, ce qu’elle s’est fort heureusement abstenue de faire depuis la fameuse Conférence nationale « souveraine » de février 1990. Et ce n’est pas tout.
Kérékou est loin de disposer d’une majorité des quatre cinquièmes des voix au sein d’un Parlement dans lequel une vingtaine de formations politiques se partagent les 83 sièges. Beaucoup de députés, qui jusqu’ici soutenaient son action, ont pris, ces derniers temps, leurs distances avec le pouvoir et promettent de bloquer tout projet de « coup d’État constitutionnel ». Que faire dans ces conditions ? Contourner la Chambre et recourir directement à la vox populi ? C’est possible. Cela dit, les finances publiques béninoises, dans le rouge, en dépit des efforts louables d’assainissement accomplis ces dernières années, ne permettent pas de dégager les 9 milliards de F CFA indispensables à l’organisation d’un référendum ni, dans la foulée, une autre enveloppe d’une dizaine de milliards de F CFA pour les besoins du scrutin présidentiel.
Où trouver cette petite fortune ? L’Union européenne, la France, les États-Unis, le Canada, l’Organisation internationale de la Francophonie, gros bailleurs de fonds pour la tenue des élections sur le continent, sont de ceux qui invitent activement le président béninois au respect de la Constitution. Kérékou, qui a plus d’un tour dans son sac, pourrait toujours recourir à ceux de ses pairs qui l’encouragent à faire « comme tout le monde ». Mais, l’homme, décidément atypique au sein du fameux « syndicat » des chefs d’État africains, est trop orgueilleux pour s’en remettre à la charité de gens dont il devine les arrière-pensées. « À chacun sa réalité propre, son peuple et son agenda politique. Je n’ai, pour ma part, de comptes à rendre qu’à Dieu, à ma conscience et à ceux qui m’ont confié les rênes du pays », lâche-t-il avec un sourire narquois.
Même s’il évite de l’annoncer officiellement, sans doute pour ne pas ouvrir de façon prématurée une course à la succession préjudiciable à la bonne marche de l’État, Mathieu Kérékou ne se prépare pas moins à passer la main, début 2006. Pour profiter d’une retraite tranquille entre son domicile, situé dans le quartier des affaires, à Cotonou, et la maison familiale de Natitingou, dans le Nord-Ouest, entrecoupée de soins à l’Hôpital américain de Neuilly, près de Paris, un établissement qu’il fréquente assidûment depuis plusieurs années. C’est, du moins, ce que l’intéressé a récemment confié à plusieurs diplomates occidentaux en poste au Bénin ainsi qu’à quelques rares privilégiés.
Mais sans attendre de connaître la décision du locataire du palais de la Marina, les candidats déclarés ou putatifs au poste se bousculent déjà au portillon. Ils étaient dix-sept lors de la présidentielle de 2001. On en attend une bonne trentaine sur la ligne de départ en 2006. Il est, ainsi, pratiquement acquis qu’on retrouvera dans la course, pour une quatrième tentative, deux vétérans de la vie politique comme l’ancien président de l’Assemblée nationale (et ex-Premier ministre) Adrien Houngbédji, 62 ans, avocat, et le ministre d’État (et ancien président de l’Assemblée nationale) Bruno Amoussou, 65 ans, banquier dans une autre vie. Si l’heure de ces deux poids lourds, qui espèrent l’un et l’autre l’onction de Kérékou, semble avoir réellement sonné, les étoiles montantes ne manquent pas dans un pays généralement présenté comme étant l’un des meilleurs « laboratoires » de la démocratie en Afrique.
Si l’ancien président Nicéphore Soglo (1991-1996) est, comme Kérékou, définitivement écarté du jeu à cause de l’âge (en 2006, il aura 72 ans), il n’est pas exclu que ce dernier adoube son fils, Léhady Soglo, 44 ans en décembre prochain, actuel premier adjoint de son père à la mairie de Cotonou. La formule présente un avantage : Soglo, qui conserve une réelle popularité dans le sud et le centre du pays, pourra s’impliquer personnellement dans la campagne, avec des chances réelles de propulser son rejeton au second tour du scrutin. Elle comporte un risque : donner l’impression aux électeurs qu’il s’agit d’une simple opération à caractère familial et dynastique.
Parmi les autres prétendants de poids le plus souvent cités figurent Séverin Adjovi, homme d’affaires et, par ailleurs, ancien directeur de campagne de Kérékou, Antoine Kolawolé Idji, actuel président de l’Assemblée nationale et ex-ministre des Affaires étrangères, Yayi Boni, économiste, président – depuis 1994 – de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), dont le siège se trouve à Lomé. Et – mais l’information, récurrente, est loin d’être confirmée – Abdoulaye Bio Tchané, le très efficace et énigmatique directeur Afrique (théoriquement jusqu’en 2005) du Fonds monétaire international, à Washington.

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