Quelle voie choisir pour réussir

– Comment s’orienter ?- Quels sont les profils recherchés en Afrique ?- Quels sont les secteurs porteurs ?

Publié le 7 juin 2004 Lecture : 8 minutes.

L’inquiétude vous gagne. Vous avez l’estomac noué. Vous craignez de devenir chauffeur de taxi à Bruxelles avec un doctorat en philosophie en poche ! Pis : la perspective de travailler dans un McDonald’s avec un bac+7 vous provoque des sueurs froides… L’engrenage « bac peu coté + mauvaise fac = diplôme sans valeur = chômage » vous obsède. Ne cherchez plus ! Vous voilà atteint du syndrome de la rentrée scolaire. « Depuis cinq ans, au moment des inscriptions, j’observe la même angoisse sur le visage de nos étudiants, raconte Lotfi Tekaya, professeur à l’École supérieure de commerce (ESC), en France. Les étudiants originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne en souffrent davantage, car la nécessité de réussir est impérieuse. »
Oubliée, l’époque où l’on pouvait s’inscrire à la fac du coin, avec pour seul objectif d’aller loin dans les études. « Aujourd’hui, toutes les filières n’assurent plus des débouchés », explique Didier Acouetey, directeur associé d’AfricSearch, un des plus importants cabinets de recrutement spécialisé. Ce natif du Togo garde en mémoire l’histoire de centaines d’étudiants ayant atterri sur une voie de garage. C’est le cas par exemple de Malika Gueye, détenteur d’un DEA (diplôme d’études approfondies) en langue étrangère appliquée. Elle souhaitait voyager, devenir interprète pour les célébrités de ce monde. Au lieu de cela, elle a fini téléopératrice chez Europe Assistance. Certes, elle utilise au quotidien dans son travail l’anglais, l’espagnol, le français et l’italien. Mais, à l’heure du bilan, la consolation est maigre.
Le système est ainsi fait. Si vous entrez à l’université, il va falloir vous débattre avec une centaine d’orientations possibles, sans garantie de résultat. Et si vous optez pour une grande école, laquelle choisir ? Rien qu’en France, il existe plus de 60 établissements supérieurs de commerce et près de 250 écoles d’ingénieurs. Sans compter qu’entre sciences humaines, langues et matières techniques, les sous-catégories et combinaisons possibles rendent le choix encore plus épineux. Dans ces conditions, arrêter sa décision en ne tenant compte que de ses goûts et aptitudes peut se révéler dangereux. Surtout si vous avez l’ambition de travailler en Afrique, où les offres d’emplois qualifiés ne courent pas les rues.
Connaître le terrain sur lequel on s’aventure est donc vital. Pour cela, certains ont recours aux « coachs » privés des cabinets conseils. Ces nouveaux précepteurs, aux tarifs souvent dissuasifs, sont censés guider les étudiants, à l’instar des sportifs, vers les sentiers de la réussite. Leur méthode ? Essayer de déterminer où vous en êtes, vous faire prendre conscience de vos lacunes et de vos désirs. Bref, vous aidez à mobiliser vos talents. Objectif : vous imprégnez de l’idéologie de la performance, à l’instar des grands champions.
Moins onéreux (une cinquantaine d’euros), les logiciels d’orientation peuvent aussi faire l’affaire. Le principe ? L’étudiant répond à une série de questions, et l’ordinateur détermine, à l’issue de ce processus, son profil et les métiers auxquels il peut prétendre. « Au bout d’une heure, vous disposez ainsi d’une évaluation globale et chiffrée de votre potentiel », s’enthousiasme M’Hamed Moussaoui, consultant en ressources humaines chez Europe Managers. Votre profil défini, vient ensuite le choix de l’établissement. Les écoles très chères ne sont pas forcément un gage de sérieux et d’efficacité. Seule solution : se fier au classement des organismes indépendants. Certes, d’un expert à l’autre, le palmarès peut varier. Mais une certitude subsiste : « Quels que soient les classements, ce sont toujours les mêmes écoles que l’on retrouve aux dix premières places », souligne Didier Acouetey. De fait, pour des études aux États-Unis, on citera les incontournables universités Wharton, Harvard, Standford, Yale ou Columbia. En France, le candidat privilégiera un cursus commercial, HEC (Hautes Études commerciales), l’ESCP (École supérieure de commerce de Paris), l’Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales), EM-Lyon (École de management) ou l’Edhec (École de hautes études commerciales du Nord).
Pour une formation d’ingénieur, le podium revient à Polytechnique, l’École nationale des ponts et chaussées, Centrale Paris, l’École des mines et l’ENSPM (École nationale supérieure du pétrole et des moteurs). Dans ces établissements prestigieux, on compte un nombre croissant de ressortissants africains, qui privilégient désormais ces formations renommées pour réussir professionnellement. La Conférence des grandes écoles, une association française qui regroupe la plupart des établissements supérieurs privés spécialisés dans la formation d’ingénieurs et de managers, indique que les établissements de l’Hexagone accueillent actuellement 20 000 étudiants étrangers, au lieu de 7 500 il y a dix ans. Près du tiers de ces effectifs sont natifs d’Afrique subsaharienne et du Maghreb.
Avec 2 009 étudiants recensés, le Maroc arrive en tête. Viennent ensuite l’Algérie et la Tunisie, qui comptent chacune plus d’un millier de ressortissants dans les écoles françaises. En Afrique subsaharienne, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Sénégal fournissent les contingents les plus importants, avec près de 300 étudiants pour chaque pays. La République démocratique du Congo, Madagascar, Maurice et le Gabon, en milieu de peloton, en ont une centaine. Quelques pays anglophones, comme le Nigeria, l’Afrique du Sud ou le Kenya, figurent aussi dans ce recensement, avec une vingtaine d’étudiants.
Pour les candidats africains à l’exil, étudier dans une langue étrangère n’est plus un obstacle, bien au contraire : la maîtrise des langues est désormais un bagage minimal pour espérer intégrer ces écoles. À la clé, c’est l’assurance de bénéficier de techniques pédagogiques de qualité, d’un enseignement « professionnalisant » et d’un diplôme à la réputation infaillible. À titre d’exemple, selon l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi) en France, un jeune diplômé fraîchement issu de ces écoles met habituellement moins de deux mois pour trouver du travail, et son salaire annuel brut peut varier de 28 000 à 42 000 euros.
Parallèlement à ces voies royales, on trouve aussi des universités qui n’ont rien à envier aux grandes écoles. Elles ont en outre l’avantage de coûter beaucoup moins cher. Là où une école comme EM-Lyon réclame 7 340 euros par an pour les frais de scolarité, la « fac » coûtera en général sept fois moins cher. Pour étudier dans les écoles américaines, il faut compter un budget annuel minimal de 12 000 euros.
Le choix de la faculté pour les familles aux revenus modestes peut donc se révéler judicieux. Surtout dans la période actuelle, où les bourses se font rares et où les visas d’études sont de plus en plus difficiles à obtenir. D’après Makha Sy, directeur associé Sénégal au cabinet d’études Ernst & Young, « ce choix est d’autant plus pertinent que les universités sont devenues aussi sélectives que les grandes écoles ». Cet ancien étudiant de Sup de Co Paris a, par exemple, recruté des diplômés universitaires à bac+5 et en a fait des managers à part entière après cinq ans d’expérience chez Ernst & Young.
Quoi qu’il en soit, universités ou écoles, « les étudiants doivent avant tout tenir compte des réalités du marché du travail sur le continent africain s’ils veulent y occuper des postes importants », rappelle Didier Acouetey. En attendant, AfricSearch conseille aussi aux bons élèves désireux de se faire une place au soleil de bien identifier les secteurs porteurs avant de se lancer. D’ores et déjà, font remarquer certains spécialistes, on peut commencer par pointer les besoins. Les postes d’agents de maîtrise ou même d’employés administratifs (secrétaires de direction bilingue, assistantes de direction, agents administratifs polyvalents, etc.) ont encore du mal à être pourvus. Le choix de la formation ou de la spécialisation se fera donc en fonction des métiers qui vont fortement recruter. On peut ainsi identifier cinq grandes filières d’avenir : les télécoms, la banque, l’agroalimentaire, le marketing et la vente, ainsi que la gestion.
L’extraordinaire popularité du téléphone mobile qui s’implante jusque dans les campagnes n’est pas sans conséquences. « Jamais une technologie n’aura été aussi bien adaptée à l’Afrique », s’extasie même Babacar Ndiaye, secrétaire général de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) du Sénégal. Rien d’étonnant si les télécoms représentent demain le premier secteur d’embauche du continent. L’ART indique rechercher des ingénieurs spécialisés dans ce domaine et des juristes de formation bac+5 issus de grandes écoles. Mais les candidats répondant au profil recherché sont peu nombreux. Alors elle cherche à débaucher à coups d’avantages en nature les techniciens de la Sonatel (Société nationale de téléphone), une entreprise privée dont le siège se trouve à Dakar. Cette dernière compte elle-même embaucher en 2004 trente salariés à des postes de techniciens, d’auditeurs, d’ingénieurs-conseils, et des cadres de vente, de marketing et de gestion. Ambitieux, son directeur des ressources humaines, Alassane Diene, explique la stratégie de son groupe : se développer dans l’Internet, le cellulaire et le téléphone fixe dans toute l’Afrique de l’Ouest. « Pour accompagner notre croissance, nous avons surtout besoin de spécialistes en ADSL », précise-t-il. Cette technologie d’accès à l’Internet haut débit requiert en effet des compétences pointues en matière d’installation, de maintenance et même de déploiement. Sonatel n’est bien sûr pas la seule à recruter. En fait, depuis la libéralisation du marché africain des télécoms, les opérateurs (Orange, Orascom, Celtel, Mobinil, Côte d’Ivoire Télécom, etc.) fleurissent un peu partout et recrutent de nombreux jeunes diplômés.
L’autre grand secteur porteur pour les emplois en Afrique, c’est la finance. Les banques d’affaires (réservées aux grandes opérations financières) comme celles de détail recherchent intensivement des compétences locales. À l’image de la Société générale, qui compte plus de 500 collaborateurs en Tunisie, au Maroc, en Guinée, au Cameroun ou au Bénin. Les postes à pourvoir sont en général ceux d’analystes de crédit, de chargés de clientèle, de contrôleurs de gestion et d’auditeurs. Les candidats pour ces postes sont souvent titulaires d’un DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées) en banque et finance ou diplômés d’écoles de commerce et d’ingénieurs.
Pour Gérard Hellec, responsable du recrutement chez IPS, société multiservice propriété du groupe Aga Khan (6 000 collaborateurs en Afrique de l’Ouest), l’agroalimentaire offre également des débouchés considérables. Outre les multinationales à l’instar de Nestlé et Coca-Cola, des milliers d’entrepreneurs locaux, présents par exemple dans les jus de fruits ou les conserves, recrutent des chargés de production, ainsi que des spécialistes en marketing. L’espagnol Gallina Blanca, qui possède la marque Jumbo, prévoit ainsi de recruter une quinzaine de managers, de contrôleurs ou de « marketeurs ». Enfin, il ne faut pas oublier les entreprises de services aux collectivités (traitements des eaux et déchets, avec des sociétés comme Veolia, Suez, etc.), de constructions en BTP (Bouygues, Vinci, etc.) et d’extraction de ressources pétrolières (Shell, Total). Pourvoyeurs d’emplois qualifiés sur le continent depuis longtemps, ces sociétés restent de belles références sur un CV.
Quel que soit le secteur d’activité choisi, les jeunes diplômés ont intérêt à cibler en priorité les entreprises qui proposent des évolutions de carrières et de la formation continue. « Le piège, préviennent les experts, ce sont les sociétés qui vous gardent pendant dix ans au même poste. Vous risqueriez très vite d’être dépassé. » Un homme averti en vaut deux…

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