Que la fête commence !

Le Portugal est fin prêt à accueillir la grand-messe du football européen du 12 juin au 4 juillet. Terni par les « affaires », le ballon rond doit redorer son image sur le terrain. Place au jeu.

Publié le 8 juin 2004 Lecture : 6 minutes.

Trente ans après la révolution des OEillets, le Portugal, qui n’a jamais autant aspiré à s’européaniser et à se moderniser, est assis à la « table des grands », même s’il a parfois l’impression de ne disposer que d’un strapontin. L’Euro 2004 de football, qu’il accueille du 12 juin au 4 juillet, est sans doute pour lui l’occasion de vaincre son complexe d’infériorité et de surmonter la saudade, cette nostalgie de sa splendeur passée. Malgré les transformations profondes – avènement de la démocratie, entrée dans l’Europe – intervenues depuis la chute du régime dictatorial d’António de Oliveira Salazar le 25 avril 1974 et en dépit de quelques « poches de modernité », une grande partie du pays conserve encore un mode de vie traditionnel. La « Coupe du monde de l’Europe » plantera ses chapiteaux dans ce que le géographe João Ferrao appelle un « pays sous pression », composé de zones économiques urbaines où se concentrent 46 % de la population et plus de la moitié du PNB. Les sites choisis pour accueillir la compétition se situent dans les métropoles de Lisbonne et Porto, mais aussi dans des villes moyennes comme Guimarães, Braga, Coimbra, Leiria, Aveiro et Faro-Loubé. En revanche, le « pays assoupi », les zones rurales qui couvrent l’arrière-pays (en particulier les régions du Nord et du Centre), ne verra pas à l’oeuvre les vedettes du ballon européen. Cette dichotomie géographique et économique, on la retrouve dans le football portugais. Ses clubs d’élite sont depuis longtemps concentrés dans les grandes métropoles. Lisbonne avec le Benfica et le Sporting du Portugal et Porto avec le FC Porto et Boavista, Guimarães avec Vitoria et Braga avec le Sporting local, Aveiro avec le SC Beira-Mar restent les incontournables places fortes du football lusitanien. Une discipline puisant depuis toujours dans l’ancien empire colonial, notamment en Angola et au Mozambique, des perles noires qui ont contribué à bâtir sa gloire.
Quel amateur de futebol pourrait oublier la prestigieuse légion noire du Benfica, champion d’Europe des clubs en 1961 et en 1963 dont les leaders ont pour noms Mario Coluna, Manuel Santana et Eusebio da Silva ? Autant de talentueux joueurs qui, associés
à d’autres « frères » des colonies, avaient hissé le Portugal à la troisième place de la
World Cup 1966 en Angleterre. À la génération d’Eusebio ont succédé celle de Dinis, Mesias et autre Hilario, puis celle de Jordão. Bien avant l’équipe de France, la seleção du Portugal a pratiqué le métissage footballistique avec, il est vrai, des résultats inégaux. Ainsi, après sa campagne anglaise de 1966, la sélection nationale a dû patienter
jusqu’en 1984 pour disputer son premier Championnat d’Europe et atteindre les demi-finales. En Coupe du monde au Mexique, deux ans plus tard, elle perd contre le Maroc et la Pologne et se voit éliminer dès le premier tour. Elle ne retrouve le Mondial qu’en 2002, où elle ne parvient toujours pas à accéder au deuxième tour.
Certes, le FC Porto s’est illustré le 26 mai dernier en décrochant le titre de champion d’Europe des clubs après avoir battu en finale l’équipe de Monaco (3 buts à 0). Mais
aujourd’hui, c’est la sélection nationale qui rêve d’étoffer son palmarès. Et quelle meilleure occasion que l’Euro 2004, qu’elle disputera à domicile sous la conduite de Luiz Felipe Scolari, l’entraîneur du Brésil, champion du monde 2002 ! Autant dire que la pression pèsera sur les épaules du capitaine Luis Figo et de ses coéquipiers qui affronteront d’entrée la Grèce, sur la pelouse du futuriste stade Do Dragao à Porto, et viseront la prime de 7 millions d’euros que la fédération leur versera en cas de victoire finale. Un succès dont doutent près de 61 % des Portugais, qui sont persuadés que leur équipe nationale ne gagnera pas l’Euro 2004.
Les organisateurs de l’épreuve affichent, quant à eux, une légitime fierté : ils ont tenu la feuille de route et achevé les infrastructures du tournoi dans les délais impartis par l’UEFA, c’est-à-dire pour le 30 novembre 2003. Dix stades magnifiques sont en effet sortis de terre. Des complexes qui feront le plein de spectateurs. Dès août 2003, le comité Euro 2004 SA annonçait que les trente et un matchs débuteraient à guichets fermés :
1,2 million de billets, qui seront nominatifs et contrôlés électroniquement à l’entrée des stades, ont déjà été vendus. Cinq cent mille visiteurs étrangers sont attendus. Le gouvernement portugais a alloué un budget de 9,5 millions d’euros pour sécuriser la compétition. Quelque 22 000 policiers et gendarmes seront mobilisés. En outre, 120 policiers européens seront présents sur place. Parmi eux, de nombreux spoters, des policiers physionomistes, aideront à identifier les supporteurs violents. Au total,
10 000 stadiers et autant de volontaires s’occuperont de la sécurité des spectateurs. L’armée fournira un appui logistique et assurera la surveillance des côtes. L’Otan
fournira une assistance pour le contrôle de l’espace aérien portugais avec des avions-radars Awacs. Le Portugal a, par ailleurs, rétabli depuis le 26 mai les contrôles aux frontières. Bref, ce sera un Euro ultra-sécuritaire.
Le Premier ministre, fort de toutes ces mesures, a minimisé les mises en garde du département d’État américain contre d’éventuels attentats terroristes.
Au plan de l’organisation et de l’administration, c’est un Euro bicéphale. En effet, pour la première fois dans un Championnat d’Europe, le pays d’accueil est associé à l’UEFA, au
travers de Portugal 2004 SA et d’Euro 2004 SA (dont 54 % des parts sont détenues par l’UEFA). Neuf hommes composent le comité de direction (4 Portugais, 1 Suisse, 1 Néerlandais, 2 Suédois et 1 Israélien) de la compétition qui chapeaute ces deux structures financières privées. Cette instance est présidée par l’économiste Gilberto Parca Madail (60 ans), ex-président du SC Beira-Mar de la ville d’Aveiro dont il fut le gouverneur, membre du Parti social-démocrate (PSD, au pouvoir) et président de la
Fédération portugaise de football (FPF). Le Dr Madail, qui a postulé, il y a deux mois, à un poste au Comité exécutif de l’UEFA, a dû rapidement retirer sa candidature : le 20 avril, la police portugaise interpellait seize hauts responsables de l’administration, dont le président de la Ligue de football professionnel, Valentim Loureiro, soupçonnés de corruption dans les milieux de l’arbitrage. Trois jours après, ce fut autour du président
de la Commission d’arbitrage de la FPF, António Pinto de Souza, d’être inculpé pour corruption et trafic d’influence. Sont également mis en cause tous les membres de cette Commission, plusieurs dirigeants de la municipalité de Gondomar (banlieue de Porto), des dirigeants de l’équipe locale et sept arbitres. Loureiro, qui est également maire de Gondomar et président régional du PSD, a été libéré sous caution. D’après les enquêteurs,
certaines entreprises du bâtiment achetaient les matchs pour obtenir en contrepartie des municipalités des permis de construire sur des terrains inconstructibles. La police s’intéresse particulièrement aux faveurs que la mairie de Porto aurait consenties au grand club local : le FC Porto. Elle soupçonne des irrégularités dans la cession des terrains du nouveau stade, le Do Dragão. Un scandale qui n’améliore pas l’image du sport national portugais. Le procureur Maria José Morgado avait déjà affirmé en septembre 2002 : « Le football est un monde propice au blanchiment d’argent par le biais d’accointances politiques. »
L’Europe du ballon rond aborde donc l’Euro en pleine crise à l’exemple de l’Italie, où les clubs professionnels traînent des déficits chroniques et un endettement vertigineux,
où se multiplient les pertes et les faillites et où sévissent la corruption, le trafic d’influence et le dopage. Et du Portugal à la République tchèque en passant par
l’Allemagne et l’Angleterre, les scandales n’épargnent pas les favoris de l’Euro 2004.
Et le jeu ? L’équipe de France, championne en 2000, se retrouve dans un groupe équilibré. Elle débutera, le 13 juin, à l’Estádio de la Luz (propriété du Benfica) face à l’Angleterre. Zidane contre Beckham. Une affiche somptueuse, à condition toutefois que les « galactiques » du Real Madrid aient récupéré physiquement et psychologiquement d’une
longue et harassante saison. La remarque vaut pour tous les acteurs de cet Euro. L’Espagne est favorite du groupe A avec, bien entendu, le Portugal. Le derby de la péninsule est programmé pour le 20 juin, à Lisbonne, au stade Alvalade (propriété du Sporting). L’équipe de Russie aux performances inégales pourrait « arbitrer » le combat entre les deux sélections de la péninsule. Le groupe C est assez ouvert avec une favorite, l’Italie de Giovanni Trapattoni, et deux outsiders scandinaves, la Suède et le Danemark, ainsi que la Bulgarie. Le « groupe de fer » est composé de trois « gros clients » : l’Allemagne, vice-championne du monde en 2002, la République tchèque, et l’inédite Lettonie, qui a éliminé la Turquie, troisième du dernier Mondial asiatique. Les bookmakers misent sur l’accession au second tour des « poids lourds » du foot européen :
Espagne, Portugal, France, Angleterre, République tchèque, Allemagne, Italie et Suède. Quant à la bande à Zizou, elle rêve d’une finale Portugal-France le 4 juillet au stade de la Luz.

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