Libreville face à son « péril jeune »
Au lendemain de l’incarcération de trois « meneurs » étudiants, la société et la classe politique se préoccupent du malaise dans les facs.
Le campus de l’université Omar-Bongo de Libreville (UOB) semble avoir retrouvé son calme. Brûlante en début d’année, la question scolaire et universitaire a cessé de défrayer la chronique depuis l’exclusion, le 20 avril, de trois des meneurs de l’agitation printanière.
Raoul Ovono Abessolo, Guy Roger Ngogho Ngogho et Roland Valéri Mbadinga Koumba, les leaders d’une association illégale baptisée la « Force », acronyme de « Faction organisée pour la restauration de la consciente étudiante », ont été reconnus coupables « d’atteintes au bon fonctionnement des activités universitaires » et « d’atteintes à la sécurité des personnes et des biens ». Impliqués dans les échauffourées qui se sont produites aux abords du campus, et surtout suspectés d’avoir détourné une grosse partie des 100 millions de F CFA débloqués par le président Omar Bongo Ondimba pour satisfaire les revendications des étudiants, les trois apprentis syndicalistes dorment aujourd’hui en prison.
C’est une affaire de bourses non versées – le reliquat de l’année 2002-2003 – qui avait mis le feu aux poudres en février, alors que Libreville venait déjà de connaître quatre jours d’émeutes des élèves du lycée technique national Omar-Bongo. Les contestataires étudiants avaient alors multiplié les actions : blocus des locaux, occupation de la rue, barrages. Le trouble n’avait cependant pas fait tache d’huile dans les autres établissements du pays.
« Ces agissements ont été le fait d’un tout petit nombre d’individus, dont une majorité de jeunes oisifs des quartiers alentour, explique Guy Rossantaga-Rignault, professeur de droit et secrétaire général de l’université. Les leaders qui ont été exclus étaient des redoublants patentés, instrumentalisés de l’extérieur, et qui ont voulu se servir de l’université comme d’un tremplin financier et politique, dans le style d’un Charles Blé Goudé ou d’un Guillaume Soro en Côte d’Ivoire. Il fallait sévir, mettre fin au laxisme. Je ne nie pas qu’il y ait eu des problèmes au niveau des OEuvres universitaires – ce qui, soit dit en passant, n’est pas du ressort de l’UOB, mais de celui du Centre national des oeuvres universitaires (COU). Mais au lieu de discuter, ces syndicalistes autoproclamés n’ont cessé de jeter de l’huile sur le feu, sans jamais s’imaginer qu’ils puissent s’exposer à des sanctions. En négociant systématiquement pour "préserver la paix sociale", l’équipe rectorale précédente avait laissé se développer un climat d’impunité propice à toutes les surenchères. » Depuis un arrêté ministériel de 1996, toute activité syndicale a été interdite dans l’enceinte de l’université, d’où le développement de mouvements « sauvages ». Les autorités viennent de décider d’autoriser de nouveau, sous conditions, l’activité syndicale estudiantine, en espérant que cette mesure, combinée à la réforme des OEuvres universitaires (dont la gestion devrait être confiée à une société privée spécialisée) et au paiement du reliquat des bourses, apaise définitivement les esprits.
À la mi-avril, quelques jours avant la tenue du conseil de discipline, un fait divers tragique, sans relation directe avec la contestation étudiante, avait encore fait monter la tension d’un cran : le lynchage d’un habitant du quartier, déficient mental et réputé voleur à ses heures, pris la main dans le sac alors qu’il s’était introduit dans la résidence universitaire. Il a été tabassé à mort par une foule d’étudiants déchaînés. « Ce drame nous a renforcés dans l’idée qu’il fallait sévir avant que les choses échappent à tout contrôle, poursuit Guy Rossantaga. Jamais nous n’aurions pu imaginer que des étudiants en viennent à de pareilles extrémités. En un sens, cet électrochoc a été douloureux mais salutaire, cela a forcé tout le monde à réagir. »
Aujourd’hui, l’ordre est revenu, mais des gendarmes montent la garde devant l’entrée de l’université. Leur présence est relativement discrète mais dissuasive, à entendre les étudiants qui se plaignent de fréquentes « descentes de police ». Des arrestations motivées par les « besoins de l’enquête sur le meurtre du vagabond », explique-t-on du côté des gendarmes. « Pourtant, on a peur quand on voit ça et quand on sait ce qui peut se passer dans les commissariats, témoignent Blaise, Isaac et leurs amis, inscrits en lettres modernes. Et on n’a pas l’impression que les choses sont réglées, nos conditions de travail et de vie ne se sont pas améliorées. Regardez autour de vous les salles de cours qui sont fermées et celles qui sont délabrées ! La bibliothèque n’offre pas assez de place et les ouvrages manquent. Le pire, c’est la cité universitaire, où les chambres sont vraiment décrépites, et le "resto U" : les jours où il y a à manger, le menu se limite généralement à un mauvais sandwich jambon-beurre… » Sympathisants de la « Force », ces étudiants ne comprennent pas pourquoi leurs camarades ont été sanctionnés alors que ceux de l’Union générale des étudiants gabonais (Ugeg) – un autre groupe impliqué dans l’agitation – n’ont fait l’objet d’aucune poursuite.
La baisse de la production pétrolière, les difficultés du remboursement de la dette et la cure d’austérité imposée par le FMI ont profondément lézardé la société gabonaise. La rigueur s’est traduite par des coupes claires dans les budgets sociaux, dont celui de l’éducation. Le malaise est particulièrement vif chez les jeunes. Après leur maîtrise, les étudiants se tournaient généralement vers les concours de l’administration ou de la magistrature, espérant un emploi de fonctionnaire. Aujourd’hui, diversification de l’économie oblige, c’est le secteur privé qui doit devenir le moteur de la croissance. « Personne n’est préparé à cette révolution, juge un enseignant en sociologie de l’UOB. Il y a un hiatus entre les formations dispensées et les besoins futurs du marché du travail. Le pays forme trop de littéraires et de juristes, mais pas assez de managers, de scientifiques, d’informaticiens et de techniciens qualifiés. » On estime que le chômage frappe déjà 20 % de la population active, un taux qui pourrait encore augmenter.
La grogne de la jeunesse a troublé – c’est un euphémisme – Omar Bongo. Le chef de l’État a fait publier le 3 mai par le quotidien gouvernemental L’Union un point de vue stigmatisant les jeunes d’aujourd’hui qui vivraient dans « le refus de l’effort, le rejet de l’autorité, l’exigence de privilèges, donc l’irresponsabilité et l’impunité », ce qui « menace les fondements de la société africaine ». « Il est contraire à nos traditions […] que le respect des anciens soit absent de l’éducation des enfants », a-t-il expliqué.
Ce constat, partagé par de larges secteurs de l’opinion, ne laisse pas de poser problème. Car cette jeunesse dont on dénonce à l’envi la dérive comportementale est-elle autre chose que le reflet à peine déformé de la société gabonaise : déboussolée, en crise, en manque de repères ? Son sens de la citoyenneté et du respect des valeurs traditionnelles a été ébranlé par des décennies de laisser-aller, d’argent facile, de clientélisme et de mauvaise gouvernance.
Les leaders de l’agitation étudiante sont certes des charlatans effrontés, il suffit, pour s’en convaincre, de lire leur prose (voir encadré). Mais, à l’instar de ces faux prophètes des Églises évangélistes qui aujourd’hui prospèrent dans les quartiers défavorisés de la capitale, ils sont un des symptômes du malaise social. Et pourquoi les pouvoirs publics ont-ils fait preuve à leur égard de tant d’inconséquence ? Car, même si on feint de l’oublier aujourd’hui, ces « individus » possédaient bien leurs entrées au palais. Ils ont été reçus par des conseillers qui leur ont remis les 100 millions de F CFA, qu’on les accuse maintenant d’avoir détournés, alors que cet argent n’aurait jamais dû se retrouver entre leurs mains…
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