Le prochain pape sera-t-il Africain ?

Au moment où le Vatican cherche à regagner du terrain sur l’islam et les cultes protestants, un cardinal du continent figure parmi les favoris à la succession de Jean-Paul II à la tête de l’Église catholique.

Publié le 7 juin 2004 Lecture : 5 minutes.

Le dimanche 11 avril dernier, à l’occasion de la fête de Pâques, Jean-Paul II est apparu très fatigué. Même si au Saint-Siège on a inventé un onzième commandement – « Ne parlez pas de la mort du pape, tant qu’il n’est pas effectivement décédé » -, l’état de santé du souverain pontife a relancé, une fois de plus, les spéculations sur sa disparition prochaine.
Âgé de 84 ans, pape depuis vingt-cinq ans, Karol Wojtyla est atteint de la maladie de Parkinson et souffre cruellement des séquelles de l’attentat commis contre lui en 1982. Les journalistes en poste à Rome ont tous recensé les cardinaux papabili (papabile au singulier). À Londres, les parieurs professionnels font monter les enchères sur le nom du possible successeur. Un nom revient régulièrement, et c’est celui d’un Africain. L’homme que les bookmakers donnent à quatre contre un est né en novembre 1932, c’est un Nigérian nommé cardinal par Jean-Paul II en 1985, il s’appelle Francis Arinze.
Ce pronostic se fonde sur des données tout ce qu’il y a de plus sérieux. Un pape africain serait aujourd’hui très utile pour l’expansion de l’Église catholique dans le monde. Depuis des décennies, l’Église s’affaiblit dans les pays développés, alors qu’elle se renforce dans les pays du Sud. L’élection d’un pape venu du Tiers Monde serait un signal très apprécié, de nature à relancer les conversions. En septembre dernier, le nouveau cardinal brésilien Mgr Eusebio Oscar Scheid a publiquement souhaité que le prochain pape soit africain, ce qui « constituerait un message fort pour un continent qui a connu beaucoup de souffrances ».
En outre, après Jean-Paul II, on peut penser que son successeur ne pourra pas être un homme effacé. « Le conclave se déterminera sur le choix d’une forte personnalité », évalue ainsi un connaisseur romain qui souhaite conserver l’anonymat.
En redonnant confiance aux croyants avec ses voyages dans les pays de l’Est et en accordant son soutien médiatique aux Églises nationales, Karol Wojtyla le Polonais a mené, sur le plan politique, un combat courageux et finalement victorieux contre le communisme.
Au XXIe siècle, le combat de l’Église catholique redevient plus traditionnel. Il s’agit d’endiguer la montée de l’islam, religion d’un milliard de fidèles, en pleine expansion, se heurtant en de nombreuses régions du globe aux positions du catholicisme. Le continent africain en est la plus grande zone de contact. Depuis des siècles, la religion de Mohammed avance lentement mais inexorablement, à partir du Nord et de l’océan Indien. Une lutte subtile mais parfois violente comme au Soudan, en Côte d’Ivoire pour le pouvoir politique ou… au Nigeria, oppose les deux religions, passant le plus souvent par la conversion des âmes.
Géant démographique du continent avec ses 120 millions d’habitants, marqué par le conflit larvé entre les États musulmans du Nord, où la charia est imposée, et le Sud, animiste et chrétien, pétrolier mais pauvre, le Nigeria concentre les contradictions du continent.
Les chances de Mgr Francis Arinze d’accéder au trône de Saint-Pierre tiennent également à sa personnalité.
Allant vers ses 72 ans, l’ex-archevêque d’Onitsha est un homme de caractère, en bonne santé, vigoureux, habitué à parler aux médias. Outre l’ibo et l’anglais, il parle couramment le français, l’italien et l’espagnol. C’est un spécialiste des rapports avec l’islam. Il s’est fait remarquer en prenant la présidence du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux au Vatican dès 1984. Proche de Jean-Paul II, diplomate et souple dans son expression, c’est un homme de conviction et un redoutable négociateur, sachant rester ferme sur ses positions.
Par son expérience au Nigeria, Mgr Arinze connaît les mouvements évangéliques et pentecôtistes protestants. Ces derniers grignotent l’influence de l’Église catholique en Afrique, en Asie et aussi dans toute l’Amérique latine. Ces mouvements religieux convertissent rapidement de nombreux fidèles catholiques. Ainsi au Brésil, nation historiquement catholique d’environ 156 millions d’habitants, 12 % de la population, soit plus de 18 millions d’âmes, serait passée au protestantisme !
« Si le prochain pape est africain, ce sera Arinze », nous ont dit en choeur plusieurs « vaticanologues ». Considéré unanimement comme un bon candidat au poste, il est peut-être desservi par son âge. Jean-Paul II avait 58 ans quand il fut élu en 1978. Mais certains cardinaux estiment presque cyniquement qu’une succession relativement courte serait une bonne chose après le long pontificat de Jean-Paul II…
Si Francis Arinze était élu pape, serait-ce une bonne chose pour les Africains ? Au vu du portrait rapidement brossé, les musulmans pourraient s’inquiéter. Mais les catholiques ne représentent que 15 % de la population africaine et Mgr Arinze en a forcément conscience.
Combatif, il l’est avant tout contre les abus et les persécutions que subissent les minorités.
Comme Kofi Annan à la tête de l’ONU a pu contribuer à bonifier l’image mondiale du dirigeant africain, un pape africain et noir serait aussi un symbole mondial, au-delà de sa fonction et de sa confession. Il serait nécessairement écouté par les puissants, qui se souviennent encore que le mot lourdement ironique de Staline, « Le pape ! Combien de divisions ? », constituerait aujourd’hui une grave erreur d’analyse politique.
De surcroît, un pape africain ferait aussi passer les problèmes du continent à l’ordre du jour international : les questions de la dette extérieure, du développement, de la justice sociale, de la pauvreté.
Le véritable problème du catholicisme en Afrique est celui du contraste entre sa doctrine et les cultures fondamentales du continent. La question de la sexualité est centrale. Si l’islam avance en Afrique au détriment du christianisme, c’est dans une large mesure parce que la religion musulmane accepte la polygamie et n’est pas rebutée par la sexualité (hétérosexuelle…).
En revanche, les déclarations de Jean-Paul II préconisant l’abstinence comme meilleur moyen de lutter contre le sida ont provoqué un immense éclat de rire de Dakar à Soweto, en passant par Treichville et Matonge. Même s’il n’aurait jamais rien dit officiellement contre l’usage du préservatif, Karol Wojtyla a fait perdre un temps précieux dans la lutte contre la maladie. Cette crispation catholique sur les moeurs n’est sans doute pas terminée, et les prudentes déclarations d’Arinze sur ce point n’ont rien d’encourageant.
En attendant, rien ne nous prouve que Francis Arinze sera le prochain pape. Les pronostics des bookmakers londoniens ne suffiront pas à influencer les cardinaux romains. D’autres papabili sont bien placés dans la course au trône pontifical : Mgr Schoenborn, le très aristocratique archevêque de Vienne, la capitale autrichienne, serait un pape de belle prestance. Mgr Tettamanzi, archevêque de Milan, reste, lui aussi, un candidat de choix. Tout comme le Hondurien Madariaga.
Les listes de « bien placés » comptent généralement une trentaine de noms. Des favoris peuvent en outre disparaître avant Jean-Paul II, comme ce fut le cas du Brésilien Neves, mort en 2002.
Il existerait encore un obstacle de taille à l’élection de Francis Arinze. Selon les obscures prophéties de l’alchimiste Nostradamus, écrites au XVIe siècle, le « pape noir » serait le dernier avant le déchaînement de l’Apocalypse. Les cardinaux du Sacré Collège seraient-ils prêts à faire courir un tel risque à l’humanité tout entière ?
A priori, ils sont catholiques et doivent rejeter les superstitions et autres calembredaines. Le jour venu, le choix se fera sur des préoccupations religieuses, politiques et personnelles. Alors pourquoi pas une fumée blanche sur les toits de Saint-Pierre, pour annoncer l’élection d’un pape noir…

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