Le destin hésite
E ncore l’Irak où, pour la première fois depuis un an, il y a du nouveau.
La semaine dernière, ici même, j’attirais votre attention sur le tournant que prenait ce pays. Avec la circonspection qui est encore de mise, je crois pouvoir écrire cette semaine qu’il y a enfin un espoir sérieux de voir cette malheureuse nation sortir du long tunnel où l’avait fait entrer Saddam Hussein il y a vingt-cinq ans, et dans lequel l’ont renfoncée les Américains il y a quatorze mois.
À l’issue de longues tractations qui ont donné libre cours au nationalisme irakien, aux particularismes de ses trois composantes principales – et aux manoeuvres des différents pouvoirs américains -, le pays s’est doté depuis le début de ce mois d’un président, de deux vice-présidents, d’un Premier ministre et d’un gouvernement : la formule est inhabituelle dans le monde arabe et se révélera, je pense, inappropriée…
Acceptés par l’occupant américain, ils n’ont été, en dépit des pressions, ni choisis, ni encore moins imposés par lui, et si George W. Bush a salué leur avènement, c’est pour faire croire à ses électeurs qu’il a voulu ce qu’en réalité il ne pouvait plus empêcher.
L’unité du pays est maintenue mais elle « coiffe » un cadre fédéral qui correspond aux composantes ethniques et religieuses du pays. Ce fédéralisme est une nouveauté, et je me demande si elle passera avec succès le test de l’expérimentation.
Les Irakiens et leurs voisins, l’ONU, qui s’est trouvée impliquée (mais sans les moyens de s’imposer), les États-Unis et leur allié britannique, le monde entier, ont intérêt à ce que cette présidence et ce gouvernement trouvent une crédibilité intérieure et extérieure, contribuent au retour de la sécurité et au redémarrage de l’économie : pour la première fois depuis plus d’un an, toutes les forces en présence semblent donc pousser dans la même direction.
Programmés pour une vie politique courte (huit mois), les nouveaux gouvernants irakiens entrent en fonction au bon moment :
– Les Irakiens aspirent à vivre en paix et dans la sécurité, à bénéficier enfin de cette liberté dont ils ont entendu parler sans en voir jusqu’ici la couleur.
– Les dirigeants actuels des deux puissances anglo-saxonnes devraient avoir compris que leur rêve de contrôler l’Irak et son pétrole, de s’ouvrir les portes de toute la région, ne peut être réalisé sans mettre leur pouvoir en danger : ils vont s’efforcer de « jouer plus fin »…
– Le Premier ministre israélien Ariel Sharon devrait être en train de s’apercevoir qu’il a épuisé son mandat (et son crédit intérieur) sans apporter à son peuple « la paix et la sécurité » qu’il lui avait promises, qu’il a cassé l’Autorité palestinienne sans parvenir à briser la résistance des Palestiniens, que les forces sur lesquelles il s’appuie en Israël et à Washington sont incapables de transformer son dessein en réalité.
Cette conjonction de facteurs favorables – et de lassitude – suffit-elle à diriger le pays et la région vers l’apaisement ? C’est possible, mais ce n’est pas sûr.
Tant que Bush, Sharon et les hommes dont ils se sont entourés seront au pouvoir, leurs mauvaises analyses, leur politique erronée seront de redoutables facteurs de déstabilisation.
Quoi qu’il en soit, une nouvelle phase de l’histoire de l’Irak et du Moyen-Orient commence.
S’il veut moins dépendre des États-Unis, être en mesure d’obtenir une date rapprochée pour le départ de leurs troupes d’occupation, le nouveau gouvernement devra se doter rapidement de forces de sécurité dignes de ce nom et reconstituer une armée.
En attendant, beaucoup va dépendre de la force de caractère des nouveaux hommes qui se sont mis (ou ont été mis) en place en Irak : sauront-ils, pourront-ils, se faire accepter par leur peuple et se rendre indépendants de leurs sponsors respectifs ?
Se révélera-t-il, parmi eux, un homme d’État qui sera ce qu’Adenauer a été à l’Allemagne après le nazisme, ou Ben Gourion à Israël ? Ou bien ne seront-ils tous que des hommes de transition ? Je ne le sais pas et je crois que nul ne le sait. Nous sommes visiblement à un moment où le destin hésite, où il y a plus d’interrogations que de réponses…
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