La boîte de Pandore
Que faut-il redouter le plus : une troisième guerre des Grands Lacs ou une énième implosion de l’ex-Zaïre ? La première de ces deux perspectives cauchemardesques simplement nuancées par l’espoir que, ici aussi, le pire ne soit pas toujours sûr repose sur un a priori : incurable de ses rêves d’expansion territoriale, le petit Rwanda belliciste de Paul Kagamé aurait décidé d’envahir une nouvelle fois son gigantesque voisin, directement et par rebelles du Kivu interposés. Martelée à Kinshasa, y compris par Joseph Kabila lui-même, avec des accents qui rappellent ceux de la chasse à la « vermine tutsie » chère au vice-président Abdoulaye Yerodia, cette thèse a l’avantage de la vraisemblance. Le Rwanda, après tout, a occupé et exploité l’est de la RD Congo pendant cinq ans. Toute persécution des Banyamulenges, ces Tutsis congolais dont trois mille se sont réfugiés de l’autre côté du lac Kivu depuis le 26 mai, y déclenche automatiquement un fort réflexe de solidarité. Enfin, le chef des troupes « dissidentes » qui ont investi et pillé Bukavu, le général Nkunda, est certes un Congolais originaire du Nord-Kivu, mais surtout un Tutsi, condamné à mort de surcroît pour complicité dans l’assassinat de Kabila père. Reste que vraisemblance ne signifie pas forcément réalité. Tous ceux qui se sont récemment rendus à Kigali savent en effet qu’il serait proprement suicidaire pour le gouvernement rwandais, dont l’équilibre financier repose en grande partie sur le bon vouloir des bailleurs de fonds, de s’aliéner ainsi la communauté internationale. En dehors de l’exercice d’un simple « droit de poursuite » à l’encontre des débris des milices interahamwes, la tendance de ceux qui, au sein du pouvoir rwandais, prônent une réoccupation du glacis du Kivu, est en outre désormais très minoritaire, y compris au sein de l’armée. De plus, aucun péril intérieur ne menace le président Kagamé pour qu’il aille chercher un exutoire dans de nouvelles aventures extérieures.
Est-ce vraiment le cas de son homologue Joseph Kabila ? Ce n’est pas sûr. Le 27 mai au soir, lors d’un entretien téléphonique avec Kagamé destiné à désamorcer la crise qui s’annonce, le président congolais se montre, de bonne source, très conciliant. Une volonté d’apaisement réitérée le lendemain à Kigali par son ministre des Affaires étrangères Antoine Ghonda, qui se contente de demander à ses interlocuteurs de ne pas intervenir dans cette rébellion, qualifiée d’« affaire intérieure congolaise ». Or, cinq jours plus tard, le ton a radicalement changé à Kinshasa. Il s’agit désormais d’une invasion rwandaise. La patrie est en danger. Il faut bouter l’ennemi hors du pays. Entretemps, les troupes loyalistes congolaises, aussi déliquescentes aujourd’hui qu’en 1996, se sont débandées à Bukavu, face aux « dissidents » de Laurent Nkunda. Placer sur le compte exclusif de l’APR (Armée patriotique rwandaise) plutôt que sur celui d’une bande de rebelles à demi soudards la responsabilité de ce grave échec de l’armée régulière était alors sans doute bien tentant. Au risque de jouer avec le feu.
Qu’il ait ainsi agi à tort ou à raison, en effet, Joseph Kabila n’en a pas moins ouvert une boîte de Pandore. En voulant ressouder les rangs, il a déclenché l’émeute à Kinshasa, Kisangani, Lubumbashi, Kalemie, Kindu, et réveillé de vieux démons. Comme au début des années 1990, la capitale a été entièrement paralysée, livrée au pillage, à la chasse aux Casques bleus, aux Blancs, aux riches. Chômeurs et étudiants, dont certains, ironie de l’Histoire, arboraient le drapeau vert à torche brandie de l’ex-Zaïre et chantaient l’hymne national du temps de Mobutu « Ce n’est pas sous le Maréchal que notre pays aurait été ainsi humilié », pouvait-on entendre ont fini par s’en prendre à Joseph Kabila lui-même, accusé d’être, de par sa mère, d’origine rwandaise ! Une dérive qui en dit long sur le divorce entre une classe dirigeante fût-elle de transition rassasiée de privilèges et la masse innombrable des miséreux privés de tout espoir et de tout repère. En une journée de violences urbaines, le 3 juin, le rêve du « Congo is back » décliné sur tous les tons ces dernières semaines par les émissaires de Kinshasa dans les capitales occidentales, vient sans doute de s’évanouir.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- L’arrestation du PDG du groupe CHO secoue l’huile d’olive tunisienne
- Les Obiang et l’affaire des sextapes : vers un séisme à la Cemac ?
- La DGSE française dans la tourmente après les accusations du Niger
- Sextapes et argent public : les Obiang pris dans l’ouragan Bello
- Comment Air France compense son absence des États du Sahel