Elvin Jones

L’ancien batteur de Coltrane est mort le 18 mai à l’âge de 77 ans.

Publié le 9 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Le style d’Elvin Jones, mort le 18 mai dernier d’une défaillance cardiaque, a souvent été décrit comme « surgissant », « tous azimuts », « volcanique », « un continuum dans lequel aucun temps n’est marqué plus qu’un autre ». Musicien de jazz que les amateurs désigneront par son seul prénom, fin connaisseur de Jacques Brel, Jones accompagna le poète Allen Ginsberg dans sa lecture de William Blake ; il fut un pistolero aux côtés de Don Johnson dans un invraisemblable western rock, Zachariah ; Larry Rivers peignit « Le Batteur » pour lui. Apprenant le décès d’Elvin, Robert Wyatt, auteur-compositeur et ex-batteur du groupe Soft Machine, l’a comparé à un grand séquoia se couchant dans la forêt : « Il faudra un siècle pour qu’il en pousse un autre. »

Né le 9 septembre 1927 à Detroit, Elvin est le cadet d’une famille de dix enfants. Avec ses frères, le trompettiste Thad et le pianiste Hank, il travaille dans une aciérie de Pontiac, la ville voisine, « à déverser de l’acier en fusion dans un four Bessemer ! » « Ça pouvait être dangereux, c’était très répétitif. Le truc, c’était de ne pas perdre sa concentration un peu comme à la batterie ! » plaisantait-il.
Un mardi soir new-yorkais et pluvieux de 1964, le quartette de John Coltrane joue au Half Note sur Hudson Street. Après une session de cinquante minutes consacrée à « Afro Blues », Jones dégage ses quatre- vingt quinze kilos de purs muscles de derrière ses caisses et, ruisselant de sueur, râle : « Mais m, qu’est-ce qu’il pense prouver avec ces marathons de près d’une heure ! » Dix-huit ans plus tard, lors du tour européen du George Gruntz Concert Jazz Band, le saxophoniste anglais Alan Skidmore plante ses lunettes de myope sous le nez de Jones et lui déclare : « Elvin, c’est un grand plaisir de se lever le matin et de te voir ! » Elvin, qui, plus jeune, ne faisait pas dans la dentelle en matière de retrouvailles il soulevait ses amis de terre dans des étreintes de grizzly, le bisou léger n’étant pas vraiment son style , ne souleva personne ce matin-là. Sa santé déclinait rapidement, mais son énergie ne faiblissait pas.

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À New York, où il jouait souvent, Keiko, son épouse japonaise, ajouta un second royaume : Nagasaki. Tour à tour manager, diététicienne et épouse aimante, Keiko a su, quinze années durant, repousser dans une frénésie de concerts, de tournées et d’enregistrements les périodes de doute que son époux traversait encore avant de la rencontrer. Elle entretenait sa batterie avec un soin maniaque, serrant d’un nombre de tours exact la vis de chaque cymbale, vérifiant la distance des toms entre eux, réglant chaque nuit la note de tous les fûts. Avec une telle roadie, Elvin aurait pu ne penser à rien, s’asseoir et frapper ses peaux. Pas du tout ! Il (re)réglait tout à sa façon. C’était comme une danse entre eux, une parade qui se poursuivait pendant tout le concert quand on entendait Keiko encourager son mari du backstage.
Deux générations après qu’il eut créé cette pulsation grondante, son style si particulier n’a pas disparu ; il est encore enseigné, et de nombreux jeunes batteurs le pratiquent en concert. L’apport d’Elvin Jones à la batterie fut, comme il aimait le dire, de « désaccentuer » le jeu, de le rendre fluide tout en restant au cur du tempo.
Mais ce qui fonctionna très bien avec Coltrane trouva sa limite dans la formation de Duke Ellington, qui demandait à son batteur d’être le « conducteur », celui qui dit à toute la formation où est le « Un » à chaque instant.
Après avoir créé « Jazz Machine », sorte d’exhubérante usine à swing, Jones revint à ses premières amours, le quartette avec piano et les trios batterie basse – bois. Le bassiste Greg Williams, le pianiste Carlos McKinney, Delfeyao Marsalis au trombone et Javon Jackson au sax tenor l’accompagnaient encore récemment.
Influencée par Kenny Clarke et Max Roach, la batterie d’Elvin Jones a certainement laissé au jazz le grondement cataclysmique, profond et tenace des grands hauts fourneaux de Pontiac, près de Detroit, dans la poussière des aciéries.

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