Coup de froid

Publié le 7 juin 2004 Lecture : 3 minutes.

Entre Israël et la Turquie, seul allié musulman de l’État hébreu, auquel le lie un accord de coopération militaire, les relations se gâtent. Le 25 mai, le ministre israélien des Infrastructures, Yosef Paritzky, assistait à Ankara à la signature d’un contrat entre le holding turc Zorlu et la compagnie israélienne Dorad Energies, prévoyant la construction de trois centrales électriques dans l’État hébreu. Dans un geste aussi chaleureux que remarqué, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan s’était joint à la cérémonie.

Manifestement, on cherchait, de part et d’autre, à apaiser les tensions des semaines précédentes. Le 13 mai, Erdogan avait estimé que les incursions de Tsahal dans la bande de Gaza, et en particulier à Rafah, qui ont causé la mort d’une quarantaine de civils palestiniens, relevaient du « terrorisme d’État ». La critique avait d’autant plus ulcéré Tel-Aviv qu’elle émanait d’un pays ami.
Mais lorsque Paritzky, au cours de son entretien avec Erdogan, insiste sur la nécessité de lutter contre le terrorisme (il songe aux attentats perpétrés contre deux synagogues d’Istanbul, en novembre 2003), le Premier ministre turc s’impatiente et rétorque : « Quelle est la différence entre des terroristes qui tuent des civils israéliens et Israël qui tue lui aussi des civils ? » Embarras de Paritzky, qui décide finalement de ne pas quitter la réunion. À Tel-Aviv, le ministère des Affaires étrangères s’émeut de l’incident et qualifie ces propos d’« extrêmement regrettables ».

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Le 3 juin, le Premier ministre turc persiste et signe. Dans entretien au quotidien israélien Ha’aretz, il rappelle que les relations entre les deux peuples restent bonnes, mais que son gouvernement désapprouve la politique d’Ariel Sharon. Au journaliste qui lui demande s’il qualifierait à nouveau cette politique de « terrorisme d’État », il lance : « Au vu des actions menées, comment la qualifier autrement ? » Selon Erdogan, la lutte contre le terrorisme doit s’exercer « dans le cadre des droits de l’homme et de la loi », ce qui n’est le cas ni des attentats ciblés ni des « bombardements aveugles, tuant des enfants, des femmes et des vieillards », ni de « la destruction de leurs maisons par des bulldozers ».
« La solidarité de la Turquie avec les Palestiniens est compréhensible », a reconnu Paritzky tandis que l’ambassadeur d’Israël à Ankara s’employait, lui aussi, à minimiser les frictions. Il n’empêche : les relations bilatérales ne sont plus ce qu’elles étaient, en dépit de la signature, en janvier, d’un accord prévoyant l’achat par Israël de 50 millions de m3 d’eau par an à la Turquie pendant vingt ans.
En novembre 2003, Ariel Sharon s’était proposé de s’arrêter à Ankara au retour d’un voyage en Russie. Erdogan avait décliné, invoquant un emploi du temps chargé et un refroidissement.

À la même époque, la presse nationaliste turque s’était indignée de la participation d’hommes d’affaires israéliens au financement de la Banque kurde de crédit, qui favorisait le rachat par des Kurdes (et par des juifs kurdes contraints à l’exil par Saddam Hussein) de terres appartenant à des Arabes et à des Turkmènes, dans le nord de l’Irak. Or Ankara redoute que l’équilibre ethnique de cette région frontalière et riche en pétrole soit modifié au profit de son « ennemi héréditaire » kurde…
Quoi qu’il en soit, l’inflexion de la politique turque à l’égard d’Israël est sensible depuis plusieurs mois. Le 26 mai, Abdullah Gül, le ministre turc des Affaires étrangères, a même évoqué la possibilité d’envoyer un diplomate avec rang d’ambassadeur à Jérusalem, auprès des Palestiniens. Le gouvernement AKP (de centre-droit, mais issu de la mouvance islamiste) se rapproche donc de ses « frères » musulmans, et notamment de ses voisins, l’Iran et la Syrie. Pour satisfaire sa base (et l’opinion turque), bien sûr, mais aussi pour mieux affirmer le rôle d’Ankara sur la scène diplomatique. Désireuse de rejoindre un jour l’Union européenne, la Turquie veut plus que jamais apparaître comme un « pont » entre l’Orient et l’Occident. Elle entend également se démarquer de son allié américain et surveiller de près l’évolution de l’Irak. Tout en n’ayant de cesse de proposer sa médiation dans le conflit du Proche-Orient…

Ses relations jusque-là excellentes avec l’État hébreu auraient certes pu lui faciliter la tâche. D’ailleurs, fort d’avoir critiqué Israël « comme seul un ami » peut le faire, Erdogan n’abandonne pas ce projet. Fût-il chimérique.

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