« Restaurer la confiance », la mission de Hakim Ben Hammouda en Tunisie
Familier des institutions internationales, Hakim Ben Hammouda, le nouveau ministre de l’Économie et des Finances, doit rassurer les bailleurs de fonds, agacés par le laxisme budgétaire des précédents gouvernements tunisiens.
Un ministre de l’Économie, des Finances et de la Coopération internationale ayant les coudées franches pour engager les réformes indispensables… et rassurer les bailleurs de fonds multilatéraux de la Tunisie. L’idée était dans l’air depuis des mois, sans que personne ne sache si un tel schéma aurait les faveurs du Premier ministre appelé à succéder à l’islamiste Ali Larayedh. Mehdi Jomâa, le nouveau chef du gouvernement, a tranché. Et a choisi Hakim Ben Hammouda, conseiller spécial de Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement (BAD, basée à Tunis), pour diriger ce portefeuille stratégique.
Bujumbura, Dakar, Yaoundé… Il a arpenté l’Afrique de long en large.
« Nous étions à la recherche d’une personnalité consensuelle et dotée d’un solide carnet d’adresses à l’étranger, précise un proche du nouveau Premier ministre. Hakim Ben Hammouda correspondait à ce portrait-robot. Il était l’une des rares compétences tunisiennes encore inutilisées. Certes, il souffre d’un relatif déficit de notoriété et n’a pas l’expérience des rouages de l’administration. Mais son pedigree universitaire et son CV forcent le respect. Sa légitimité ne se discute pas, même s’il doit maintenant faire ses preuves et bien s’entourer. »
La même source explique que Hakim Ben Hammouda et Mehdi Jomâa se sont rencontrés « récemment, lors d’une réunion entre la BAD et le ministère de l’Industrie » : « Le courant est passé tout de suite. Lorsqu’il a été appelé, il se trouvait en vacances à l’étranger. Il est rentré immédiatement et s’est mis au travail sans attendre. Le budget 2014 a été détricoté, et une loi de finances rectificative s’impose. Il veut être prêt pour négocier ce premier cap délicat de son mandat. »
Éclectique
Natif de Jemmal, dans le Sahel tunisien, et titulaire d’un doctorat en économie de l’université de Grenoble, Hakim Ben Hammouda, 52 ans, n’est affilié à aucun lobby et a accompli l’essentiel de sa carrière dans les organisations internationales.
Il est passé successivement par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la BAD. Familier du fonctionnement des institutions multilatérales, dont il maîtrise le langage et les codes, il peut se prévaloir d’une belle expérience diplomatique.
Esprit éclectique, féru de cinéma et de littérature, passionné de football et de sport en général, c’est un amoureux de l’Afrique, qu’il a arpentée de long en large : il a passé trois années à Bujumbura (1990-1993), six à Dakar (1995-2001), deux à Yaoundé (2001-2003) en tant que directeur du bureau Afrique centrale de la CEA, puis cinq ans à Addis-Abeba, au siège de l’institution, d’abord comme directeur de la division commerce et intégration régionale, jusqu’en 2006, puis comme économiste en chef et directeur du département commerce, finance et développement économique. Il a été le bras droit du patron de la CEA, le Gambien Abdoulie Janneh, de 2006 à 2008. C’est aussi à Addis-Abeba qu’il a fait la connaissance de Hatem Atallah, l’actuel conseiller diplomatique de Mehdi Jomâa, qui a été ambassadeur en Éthiopie pendant trois ans.
Néokeynésien
Son entregent et ses réseaux ne seront pas de trop pour renouer le dialogue avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), passablement agacés – c’est un euphémisme – par les signaux contradictoires envoyés jusqu’à présent par les dirigeants tunisiens.
Et notamment par leur laxisme budgétaire : les dépenses de l’État ont bondi de 50 % en trois ans, passant de 19,6 milliards à 28,9 milliards de dinars (de 10,2 milliards à 12,7 milliards d’euros) entre 2010 et 2013, et le déficit public avoisinera les 7 % du PIB en 2013 (il était inférieur à 1 % en 2010, l’année qui a précédé la révolution). Le problème réside moins dans le niveau des dépenses que dans leur caractère à la fois improductif et inflationniste. Les salaires et les subventions à l’énergie et aux produits de base représentent ainsi 67 % de la dépense totale.
Reste à savoir si le nouveau ministre de l’Économie voudra être seulement l’homme de l’austérité et des potions amères
Reste à savoir si le nouveau ministre de l’Économie voudra être seulement l’homme de l’austérité et des potions amères. Son profil est moins « libéral » que celui d’un Mustapha Kamel Nabli, l’ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, un temps pressenti pour occuper le poste. Ami de longue date d’Arnaud Montebourg, le ministre français du Redressement productif, Hakim Ben Hammouda a un temps frayé avec la gauche démocratique estudiantine, sans jamais adhérer à aucun parti politique.
Depuis son retour en Tunisie, en octobre 2011, il s’est positionné en acteur discret mais influent du débat public, à travers ses chroniques dans l’hebdomadaire Réalités et ses tribunes pour le magazine Leaders. Avec le constitutionnaliste Ghazi Gheraïri, il a cofondé le Club Averroes, un think tank progressiste. Sur le plan doctrinal, Hakim Ben Hammouda se revendique néokeynésien et n’hésite pas, dans ses articles et dans ses livres (une vingtaine depuis 1995), à épingler les défenseurs aveugles de l’orthodoxie.
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Doigté
Ce n’est sans doute pas plus mal. Car même si les comptes publics doivent être redressés et si les réformes sont indispensables, la préservation des équilibres sociaux et régionaux, mis à mal par la révolution, suppose un minimum de doigté.
La croissance, encore trop faible (le FMI prévoit 3,7 % en 2014), ne doit être cassée à aucun prix. La nouvelle équipe dirigeante devra donc faire preuve d’un mélange d’imagination, d’audace, de pragmatisme et de sérieux pour créer un choc psychologique et restaurer la confiance sans laquelle rien ne sera possible. C’est plus facile à dire qu’à faire.
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