Tunisie : péril sur le musée du Bardo
Depuis la suspension de l’Assemblée le 25 juillet, le musée du Bardo, qui se trouve dans la même enceinte, reste inaccessible. Semble-t-il oubliées par les autorités, des œuvres inestimables se trouvent menacées.
Ironie des dates : le 25 juillet 2012, le musée du Bardo à Tunis inaugurait en grande pompe sa nouvelle configuration après plusieurs années de travaux ; neuf ans plus tard, jour pour jour, il ferme ses portes pour des raisons sécuritaires. Seulement cette fois, ce n’est pas une attaque terroriste, comme celle qui a ensanglanté ce symbole du patrimoine tunisien en mars 2015, qui motive la décision mais une mitoyenneté malencontreuse : le musée partage avec l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) un ensemble palatial au Bardo, ancienne demeure des Beys.
Or depuis la suspension de l’assemblée par le président Kaïs Saïed le 25 juillet 2021, la totalité de ce périmètre est sous surveillance, avec interdiction totale d’accès à tous les locaux. Ce qui vaut pour les anciens députés et les employés de l’assemblée vaut pour le personnel du musée aussi bien que les chercheurs et les techniciens d’entretien. La mesure s’installe dans la durée et le musée est à l’abandon.
Cinq mois d’abandon
Depuis sa création en 1888, même en temps de guerre ou de tensions sociales, jamais le musée n’a vécu une telle situation. Fortement impacté par l’attaque terroriste de 2015 et la crise du tourisme depuis la révolution de 2011, il peine à retrouver les 500 000 entrées enregistrées en 2005. Sans compter la crise du Covid-19. Le musée a ainsi reçu, selon l’Agence de la mise en valeur et de la promotion culturelle, seulement 87 000 visiteurs en 2017…
La pérennité des collections est menacée et c’est très grave pour l’histoire du pays
Difficile d’imaginer que les collections, notamment de mosaïques, qui comptent parmi les plus belles de la Méditerranée, soit à l’abandon. C’est pourtant le cas depuis près de cinq mois. Les experts en patrimoine sont préoccupés et n’osent imaginer les dégâts occasionnés par l’absence d’entretien. « Rien que la poussière peut occasionner un désastre », souligne un restaurateur. L’ancien conservateur du musée et ancien directeur de la division du développement muséographique à l’Institut national du patrimoine (INP), Habib Ben Younes, sonne l’alarme : « Les voyants sont au rouge, la pérennité des collections est menacée et c’est très grave pour l’Histoire du pays. Espérons que nous n’allons pas écrire l’Histoire noire du musée du Bardo. »
Ce n’est pas tant le manque à gagner qui le préoccupe que l’état d’artefacts aussi fragiles que précieux. Il se réfère notamment à l’inestimable collection de statues de bronze de l’épave de Mahdia, qui doit être conservée dans des conditions hygronomiques rigoureuses. Dans les années 1980, un incendie accidentel l’avait endommagé, marquant durablement les mémoires, d’autant que certains pièces conservées dans les réserves n’étaient pas inventoriées.
D’autres spécialistes du patrimoine rappellent que l’aile ancienne du musée est soumise chaque été à une campagne d’entretien pour contrôler l’étanchéité des toits, débusquer les infiltrations et vérifier l’installation électrique. « L’été a été suffocant mais nous avons échappé aux fortes pluies d’automne qui auraient pu noyer les sous-sols », précise l’un des guides, déplorant cette fermeture en haute saison.
Déménagement de l’ARP ?
Alors que le musée de Carthage est en cours de réfection avec le concours de l’Union européenne et d’Expertise France, cette nouvelle fermeture prive la Tunisie d’un autre ambassadeur culturel éminent. « Notre patrimoine doit être en libre accès », s’insurge un riverain du musée du Bardo, rappelant qu’il est fermé chaque fois que le parlement est menacé. « C’est insoutenable de voir qu’à chaque manifestation, la place du Bardo devient un camp retranché bardé de barbelés. Cette fois-ci, c’est bien long, comme si le musée avait été oublié. »
Certains suggèrent qu’à court terme, l’Assemblée déplace son siège. « Nous avons proposé aux autorités que le musée et l’ARP aient chacun leur propre accès et qu’une séparation physique délimite les deux espaces », indique le œ
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