Guinée : émoi après le décès de M’mah Sylla, violée par de prétendus médecins
M’mah Sylla, 25 ans, est décédée samedi à Tunis, où elle avait été évacuée après avoir subi plusieurs viols commis par deux hommes qui se disaient médecins. Le drame a créé une onde de choc au sein de l’opinion publique guinéenne.
Avant de décéder, samedi 20 novembre dans une clinique tunisienne, M’mah Sylla a connu l’indiscible. « Lorsqu’elle me racontait son calvaire avec ses médecins, elle s’arrêtait parfois pour me demander si ce qu’elle a subi était de sa faute, raconte Djénabou Diallo Sylla, présidente de l’ONG Mon enfant, ma vie. Aux visiteurs, elle assurait qu’elle allait s’en sortir. Elle était souriante, brave. Elle y a cru jusqu’au bout. » Violée à plusieurs reprises par de prétendus médecins chez qui elle était venue se faire soigner, la jeune femme de 25 ans n’a pas survécu aux sept opérations chirurgicales qu’elle a subies.
Quatre hommes sont mis en cause : Patrice Lamah, Daniel Lamah, Sebory Cissé et Célestin Millimono. Si les trois premiers sont sous les verrous dans l’attente des conclusions de l’enquête diligentée par le parquet, le dernier est en fuite.
Agressions à répétition
Tout commence dans le courant du mois de juillet. Prise d’un simple mal d’estomac, la jeune femme se rend dans une clinique sans nom située dans le quartier Enta, en haute banlieue de Conakry. L’établissement n’est pas répertorié par l’Ordre des médecins de Guinée, mais a pignon sur rue et reçoit chaque jour des patients. Elle y est reçue par Patrice Lamah. Le médecin l’accueille, l’installe dans une chambre isolée, avant de lui tendre un jus de fruit. Il lui fait une injection et l’enjoint à patienter. La jeune femme s’endort. « Elle s’est réveillée deux heures après, ne se rappelant de rien, mais constatant un changement dans la façon dont elle était habillée », raconte Me Halimatou Camara, avocate de M’mah Sylla.
Lorsqu’elle finit par trouver la force de s’extraire de leur emprise, son état est catastrophique
Un mois plus tard, s’inquiétant d’un retard de menstrues, elle retourne voir le médecin. En colère, M’mah Sylla obtient la confirmation de ses craintes. « Le médecin a reconnu avoir abusé d’elle lors de sa première visite », raconte son avocate. À en croire ce dernier, Patrice Lamah aurait alors tenté, sans succès, de la dissuader de mettre un terme à la grossesse. « Il accepte alors de pratiquer l’IVG, elle revient à la clinique dix jours après, mais ce jour-là, il la viole à nouveau, en lui affirmant même que cela facilitera l’avortement », rapporte l’avocate.
Le lendemain, il adresse la jeune femme à un complice, en vue de « faire une échographie ». Malgré les agressions sexuelles à répétition qu’il lui a fait subir, M’mah Sylla écoute l’avis de ce médecin et se rend chez son confrère, Célestin Millimono. Celui-ci, à son tour, la viole.
Le 10 octobre dernier, lorsque la jeune femme finit par trouver la force de s’extraire de l’emprise dans laquelle ces prétendus médecins semblent l’avoir maintenue, et qu’elle se rend au CHU Ignace Deen, son état est catastrophique. Le « mal de ventre », qui n’a été soigné à aucun moment, a dégénéré. La jeune femme est entre la vie et la mort, ses intestins sont nécrosés. Les équipes de l’hôpital tentent, en vain, de la soigner.
Marches de protestation
Révélée dans la presse, l’affaire commence à agiter l’opinion. Le colonel Mamadi Doumbouya, le chef de la junte, s’inquiète de la situation. Le 22 octobre, les autorités guinéennes évacuent M’mah Sylla en Tunisie où, malgré de nombreuses opérations, elle mourra un mois après.
La vague d’indignation est à la hauteur du calvaire de la jeune femme. Les proches et des activistes de la société civile projettent d’organiser des marches de protestation à Conakry. Ils réclament, notamment, un assainissement de la profession médicale. L’Inspection générale de la santé, qui a lancé en août dernier une campagne de fermeture des cliniques non agréées, en a déjà dénombré environ 700, rien que dans la zone de « Grand Conakry » qui comprend la capitale, Coyah et Dubréka.
La plupart des dossiers de viol sont banalisés par les juges
Sur le front judiciaire, le décès de la victime n’éteindra pas les poursuites. Patrice Lamah, Célestin Millimono, Daniel Lamah et Sebory Cissé ont été mis en examen pour « viol, avortement, administration de substances nuisibles, risque causé à autrui et complicité ». Deux des trois prévenus placés en détention préventive ont d’ores et déjà été entendus une première fois. Me Halimatou Camara, qui prévient qu’elle se montrera vigilante quant au suivi du dossier, ne cache cependant pas ses craintes. « La plupart des dossiers de viol sont banalisés par les juges. Les condamnations dépassent rarement les trois ans d’emprisonnement, y compris quand les victimes sont mineures », constate-t-elle.
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