Zeine Ould Zeidane, un technocrate en politique

Économiste de haut niveau et ancien de la Banque mondiale, le nouveau Premier ministre passe pour un moderniste très attaché à son indépendance. Ce qui n’exclut ni les habiletés politiciennes ni un fort enracinement local.

Publié le 7 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Son air invariablement sérieux, presque énigmatique, suscite des interprétations contrastées. Certains voient en Zeine Ould Zeidane un artisan de la réconciliation entre la Mauritanie et les institutions financières internationales, un jeune économiste « remarquablement intelligent », audacieux, qui a brûlé les étapes de la vie politique en devenant chef du gouvernement à 41 ans (ce qui n’est pas une première, Sidi Mohamed Ould Boubacar, son prédécesseur, ayant été encore plus précoce : 35 ans). D’autres, non moins nombreux, dénoncent ses liens avec l’entourage de Maaouiya Ould Taya. Ils le jugent arrogant, cynique et prêt à tout pour atteindre son unique but : le pouvoir.
Cinq mois après son irruption sur la scène politique mauritanienne, Ould Zeidane, chef du gouvernement depuis le 20 avril (voir encadré page 42), compte autant d’admirateurs que de détracteurs. Sans doute y voit-il la preuve qu’il a réussi son pari Ayant raflé 15,27 % des suffrages au premier tour, il a obtenu la promesse de la primature en échange de son soutien à Sidi Ould Cheikh Abdallahi, « Une bonne affaire », commente une observatrice.
Lorsqu’au mois de décembre dernier l’ancien gouverneur de la Banque centrale se lance officiellement dans la course à la présidentielle sous l’étiquette « indépendant », rares sont ceux qui croient en lui. Mohamed Ould Khayar, directeur de publication du journal La Presse, que le jeune outsider cherche alors à convaincre – et qui finira par le rejoindre – se montre d’abord réticent : « Il m’a expliqué ce qu’il voulait pour la Mauritanie, mais ça m’a semblé insuffisant. Je lui ai dit que je ne pouvais soutenir quelqu’un dont je ne connaissais pas l’assise populaire. » C’est qu’Ould Zeidane est avant tout un technocrate qui n’appartient à aucune chapelle politique. Depuis son retour de France, il y a onze ans, il évolue dans les cercles très fermés de la haute finance. « Il fallait appartenir au milieu pour le connaître », se souvient une journaliste. Très sûr de lui – « imbu de lui-même », selon un collaborateur -, Zeine ne se décourage pas pour si peu. « Il s’est vu président très tôt. Pour aller à la mosquée, il se faisait accompagner de gardes du corps », témoigne un technicien qui l’a suivi pendant la campagne.
À mesure qu’il sillonne l’intérieur de la Mauritanie, sa cote de popularité décolle. Et les renforts, sous forme d’espèces sonnantes et trébuchantes, affluent. Des techniciens – experts-comptables ou consultants – le rejoignent. On raconte même que, depuis son exil qatari, l’épouse de Maaouiya Ould Taya lui aurait apporté son soutien. Bien sûr, l’intéressé s’en défend et assure que, depuis le coup d’État, il n’a rencontré qu’une seule fois l’ex-première dame, par hasard, à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle Quoi qu’il en soit, il est indiscutable que de nombreux Smassides, la tribu de l’ancien chef de l’État, ont voté pour lui : dans l’Adrar, leur fief, Zeine a obtenu plus de 30 % des suffrages. Certains notables se sont même affichés à ses côtés. C’est notamment le cas de Mohamed Ould Noueigued, le PDG de la Banque nationale de Mauritanie (BNM). Mais le fringant quadragénaire plaît aussi aux femmes, aux membres des milieux d’affaires, qui ont parfaitement compris l’intérêt de faire élire l’un des leurs, et surtout aux jeunes, séduits par la nouveauté de son discours. « Je veux réformer ce pays, qui gagnerait à avoir un leader davantage préoccupé de résultats que de politique politicienne », explique-t-il.
Mais il a beau fustiger l’archaïsme de la politique mauritanienne et vouloir « apporter une solution économique aux problèmes », Zeine-le-moderniste n’en est pas moins issu d’un milieu traditionnel. Né à Tamchakett, dans le Hod el-Gharby, dans le Sud-Est, il est le rejeton de deux lignées prestigieuses : la tribu maraboutique des Lakhlal, par sa mère, et celle, guerrière, des Oulad Daoud, par son père. Bref, comme le dit l’un de ses proches, « son enracinement local est très fort ».
Au gré des mutations de son père, receveur du Trésor, il découvre très tôt la Mauritanie de l’intérieur, de Kiffa à Kaédi, dans le Sud, avant de s’installer à Nouakchott, où il décroche un baccalauréat scientifique. Comme beaucoup de ses condisciples, il poursuit ses études en France, à la faculté de Nice, où il obtient un doctorat en mathématiques appliquées (mention « très honorable ») et un diplôme d’études approfondies en économie. Pourtant, en 1996, il choisit de rentrer au pays. « Malgré son cursus universitaire et sa modernité, je ne pense pas qu’il aurait pu s’intégrer en Europe, explique l’un de ses collaborateurs. C’est quelqu’un de très pieux. Sur son téléphone portable, l’appel du muezzin retentit à l’heure de la prière – il n’en rate jamais une. » Sa carrière commence sur les chapeaux de roue : un an d’enseignement à l’université de Nouakchott ; un an à la Générale des banques de Mauritanie (GBM), l’établissement dirigé par l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou ; deux autres dans une cellule d’analyse du ministère des Affaires économiques et du Développement
En 2000, il intègre l’antenne de la Banque mondiale à Nouakchott. « C’est là qu’il a gagné ses galons d’économiste de haut niveau », raconte l’un de ses amis. « J’ai été ébahi par ses capacités analytiques et sa connaissance des enjeux économiques », confie pour sa part Jean Mazurelle, l’ancien représentant de l’institution financière en Mauritanie, qui passe pour son mentor. Aujourd’hui, l’ancien haut fonctionnaire conserve une « grande admiration pour Zeine », mais s’étonne de le retrouver à la primature : « Je ne l’imaginais pas du tout faire une carrière aussi fulgurante au sein des institutions mauritaniennes, parce que je l’ai toujours vu libre et indépendant. » Il faut croire qu’avec le temps, il a découvert l’art du compromis, tellement indispensable en politique « Il y a quelques années, se souvient Mazurelle, il tenait tête aux économistes du FMI et de la Banque mondiale et s’accrochait dur comme fer à sa vision du développement. Mon rêve, c’était qu’il devienne un gourou de la Banque, à Washington. »
Mais l’intéressé préfère influer plus directement sur les destinées économiques de son pays : il devient conseiller économique d’Ould Taya, puis, en juillet 2004, gouverneur de la Banque centrale, avec rang de ministre. Un an plus tard, le régime est balayé par un coup d’État militaire. Le grand argentier est le seul haut responsable à être maintenu à son poste par les autorités de la transition, qui ont besoin de ce technocrate apprécié à l’étranger pour avoir orchestré la réconciliation de son pays avec les institutions de Bretton Woods. Depuis le milieu des années 1990, la Banque centrale présentait à ces dernières des comptes systématiquement truqués. Dès son arrivée, Ould Zeidane choisit de rétablir la vérité des chiffres. « Je l’ai vu partir pour Washington avec pour seul compagnon son ordinateur portable, raconte un ami. Il a joué cartes sur table avec le FMI. » Résultat : en juin 2006, la Mauritanie a bénéficié d’une annulation de sa dette multilatérale. D’autres savent gré au patron de la Banque centrale d’avoir enrayé la dévaluation de l’ouguiya, la monnaie nationale, et d’avoir entrepris de débarrasser l’institution de ses nombreux employés fictifs, au nombre desquels figuraient les épouses de certains dignitaires du régime. « Zeine est inflexible », assure Mazurelle.
Apparemment, tout le monde n’en est pas convaincu. Certains compagnons de route ont été déçus de voir cet « esprit libre » s’afficher avec des piliers de l’ancien système qu’il prétendait mettre en pièces. D’autres se sentent trahis de le retrouver à la primature alors qu’il aurait pu négocier plusieurs ministères pour ses partisans. À l’usage, l’économiste se serait donc révélé plus politicien que prévu.

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