Mali : Adam Dicko, le droit des femmes et l’égalité pour credo

Adam Dicko s’est fait remarquer au sommet Afrique-France, en octobre dernier, en n’hésitant pas à critiquer Emmanuel Macron et son « paternalisme ». Au Mali, où elle réside, elle se bat depuis qu’elle a quinze ans en faveur des jeunes et de la démocratie.

Adam Dicko, activiste et entrepreneuse, au siège social de l’AJCAD, dans le quartier de Daoudabougou, à Bamako, le 23 novembre 2021. © Nicolas Réméné pour JA

Adam Dicko, activiste et entrepreneuse, au siège social de l’AJCAD, dans le quartier de Daoudabougou, à Bamako, le 23 novembre 2021. © Nicolas Réméné pour JA

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Publié le 29 décembre 2021 Lecture : 6 minutes.

Adam Dicko n’est pas de celles que l’on fait taire. D’aussi loin qu’elle puisse se rappeler, elle aimait « bousculer, agiter les idées communément acceptées ». Enfant, déjà, elle « entrait dans des débats interminables » avec son père. « Qui a décidé qu’il faut aller à l’école ? Pourquoi, moi, en tant que fille, je dois laver les ustensiles de cuisine, et mon cousin aller chercher de l’eau ? Pourquoi pas le contraire ? »

Pendant des heures, elle questionne le patriarche, originaire de Douentza et qui s’est installé à Bamako dans les années 1990. S’il lui permet de s’affirmer comme elle le souhaite, ce commerçant peul, qui la surnomme affectueusement « la rebelle », a pour ses filles des ambitions conservatrices. « Il voyait l’école comme un passe-temps avant de trouver un mari et de devenir une épouse », raconte-t-elle.

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Une vision qu’Adam, deuxième de cette fratrie de sept (cinq filles et deux garçons), interroge et remet en question. « Même si on n’avait pas le même point de vue, mon papa me laissait m’exprimer plus que n’importe qui. C’est le plus grand démocrate que je connaisse », dit-elle.

« Nous n’avons pas besoin d’aide »

Volubile, Adam Dicko a un débit de mitraillette. Une question sur son enfance, et elle en anticipe dix autres, ricochant sur la société, le citoyenneté, la démocratie, le rôle des jeunes, des femmes, son propre parcours. Autant de sujets qu’elle défend, qui représentent « son principal hobby », et qui la poussent parfois à se montrer un brin « rentre-dedans ».

Arrêtez de dire que vous êtes au Mali pour nous aider, arrêtez les discours paternalistes

Le dernier à en avoir fait l’expérience ? Le chef de l’État français. Loin de se laisser impressionner par le statut de son interlocuteur, la militante de 29 ans, qui faisait partie des onze représentants de la jeunesse africaine retenus pour cette rencontre avec Emmanuel Macron lors du sommet Afrique-France qui s’est tenu en octobre dernier, n’a pas ménagé le locataire de l’Élysée.

« Ce qu’il se passe au Sahel n’est que la conséquence de ce que vous avez fait en Libye. Vous êtes au Sahel pour corriger l’erreur que vous avez commise en Libye. Vous aimez dire que sans la France il n’y aurait actuellement pas de gouvernement aujourd’hui à Bamako. J’ai envie de dire que sans l’Afrique, il n’y aurait pas de France. […] Arrêtez de dire que vous êtes au Mali pour nous aider. […] Arrêtez les discours paternalistes. Nous n’avons pas besoin d’aide, nous avons besoin de coopération, nous avons besoin de partenariats. Nous sommes liés par les enjeux et les défis. Le terrorisme ne menace pas que le Mali […] Les récentes sorties entre vous et les autorités maliennes, c’est une honte », martèle-t-elle sans se démonter face au président français.

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Un peu amusée lorsqu’on lui rappelle les mots employés, elle n’en regrette aucun. Et qu’importe si certains l’accusent de n’avoir pas respecté l’étiquette. « J’ai parlé avec émotion. Quand on a rencontré Emmanuel Macron à l’Élysée avant le sommet, on est arrivés pleins de fougue, ajoute-t-elle dans une gestuelle combattante. Mais on s’est très vite rendu compte qu’il était plus radical que nous, j’ai senti le besoin de donner mon point de vue, de recadrer ce discours-là. »

Un vent de révolution

Recadrer, quitte à bousculer un peu le programme et le protocole, qui demandaient d’éviter les positions nationalistes ou régionalistes, afin de se concentrer sur le continent dans sa globalité. Mais Adam Dicko, de son propre aveu, est une « impulsive ». Tout au long de son parcours de militante modèle, il a fallu qu’elle mette le pied en travers de la porte, et qu’elle impose son rythme.

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Son père ne veut pas qu’elle participe au Parlement des enfants ? La lycéenne de quinze ans ira en secret, quitte à débrancher le téléviseur sans explication au moment du journal télévisé pour ne pas être découverte. Elle se rend compte qu’il n’y a que des candidats masculins à la présidence de l’Association malienne pour la protection et la promotion de la famille (AMPPF) dont elle visite les locaux pour la première fois ? Elle se présentera sans même être membre et parviendra à se faire élire. « J’étais simplement là pour m’inscrire, je n’avais même pas de programme, mais j’ai voulu montrer que les hommes n’étaient pas les seuls à pouvoir diriger », dit-elle.

Même combat en 2018, alors qu’elle intègre le conseil consultatif des jeunes de l’Union africaine. Le statu quo veut alors que les candidats anglophones visent la présidence, quand les francophones, moins nombreux, se contentent de la vice-présidence. « Je ne comprenais pas qu’on ne vise pas plus haut », s’insurge-t-elle encore aujourd’hui. Qu’à cela ne tienne, elle mènera campagne auprès des lusophones, dont le vote peut tout faire basculer, et remportera l’élection d’une courte tête.

Partout où elle passe, Adam Dicko sème un vent de révolution. À quinze ans, après avoir assisté à un sketch sur la santé sexuelle et reproductive, elle crée au lycée Mamadou M’bodj un club pour parler contraception, mariage précoce, grossesses non désirées. « J’ai vu beaucoup de mineures tomber enceintes et être forcées de quitter l’école ou d’avorter. J’ai senti qu’il y avait un besoin, pour moi mais aussi pour les autres. J’ai vu ce sketch et j’ai réalisé que c’était la première fois que j’avais accès à autant d’informations sur ces questions. Il fallait le faire jouer au lycée. »

Briser les tabous

Le noyau familial non plus, n’échappe pas à la tempête militante. « Quand j’ai commencé à parler de santé sexuelle et reproductive, ma première cible a été ma mère. Quand j’ai eu mes règles pour la première fois, je lui ai dit que le sang coulait, elle m’a réprimandée et dit que j’étais impolie. Aujourd’hui, toutes les jeunes filles du quartier passent à la maison pour recevoir des conseils. Ma mère fait même de la sensibilisation auprès des autres mamans pour vulgariser le sujet, c’est l’une de mes plus grandes fiertés », se réjouit la militante.

Sous les yeux ulcérés de certains hommes, elle montre comment appliquer un préservatif sur un pénis en bois

Pour en arriver là, il a fallu briser un certains nombre de tabous. « Le mariage précoce, l’excision, les filles qu’on ne met pas à l’école, tout cela existait dans ma famille. Chez les Peuls, on est plutôt conservateurs, déplore-t-elle. À la maison, quand il y avait des publicités pour des préservatifs à la télévision, ou deux personnes qui s’embrassaient dans un film, les enfants devaient quitter la salle. »

Alors, petit à petit, Adam Dicko déconstruit et ramène à la maison les connaissances qu’elle acquiert dans les différents organismes qu’elle fréquente. Elle pousse même l’élan pédagogique jusqu’aux grins du quartier où, sous les yeux ulcérés de certains hommes du voisinage, elle montre comment appliquer un préservatif sur un pénis en bois. Depuis cet épisode, qu’elle raconte rigolarde, son père a compris « qu’elle ferait ce qu’elle voudrait ».

Des outils pour s’engager dans la politique

Après des études de droit et de ressources humaines, Adam Dicko co-fonde, en 2014, l’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (Ajcad). Elle n’a alors que 22 ans et voit ses convictions sur la politique malienne profondément ébranlées. « Le coup d’État de 2012 avait engendré une profonde crise de démocratie et de citoyenneté. Avant ça, quand je voyageais, je présentais toujours le Mali comme un modèle. J’ai eu le sentiment que la jeunesse avait bénéficié de la démocratie obtenue en 1991, mais qu’elle n’avait pas su se l’approprier, la défendre », regrette-t-elle.

Ce sera donc son combat : œuvrer à donner aux jeunes les outils pour s’engager dans la vie politique et renforcer leur citoyenneté. Si ça n’avait pas été celui-là, elle se serait bien vue avocate ou journaliste. « J’aime parler », lâche-t-elle en riant. Dans cinq ans, celle qui a pour modèle sa mère et Fatoumata Siré Diakité (militante et fervente défenseuse d’un nouveau Code de la famille) se verrait bien mettre son bagou au service d’une entreprise. La sienne.

« J’aimerais m’investir de plus en plus dans l’entrepreneuriat économique, peut-être dans le domaine de la recherche et de l’innovation ou de la digitalisation, tout en gardant un côté social bien sûr », se corrige-t-elle. Quant à la politique ? « Pas pour le moment. J’aime l’idée de continuer à rassembler des jeunes, les doter des outils nécessaires pour s’impliquer dans la vie publique. Mais l’avenir nous le dira. »

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