« On ne gouverne pas sous la pression de la rue »

Crise du coton, lutte contre la pauvreté, croissance le Premier ministre Ernest Paramanga Yonli s’exprime sur les préoccupations de la population.

Publié le 7 mai 2007 Lecture : 7 minutes.

Sept ans ! Nommé Premier ministre par le président de la République le 7 novembre 2000, Ernest Paramanga Yonli détient sans conteste le record de longévité à la tête du gouvernement burkinabè. Reconduit dans ses fonctions à trois reprises, ce quinquagénaire originaire de Tansarga, dans l’est du pays, en a surpris plus d’un. Sans faire partie du premier cercle, celui que forment les plus proches collaborateurs du chef de l’État, il a su séduire Blaise Compaoré par sa capacité de travail autant que par son habileté à gérer les crises. De l’affaire Zongo aux répercussions de la crise ivoirienne, en passant par les turbulences sur la filière coton, il a su faire face aux urgences. Plus en retrait sur les questions sécuritaires et diplomatiques, traditionnellement suivies par le président du Faso, il a dirigé avec profit un gouvernement réformateur face à des bailleurs de fonds plutôt bien disposés à son égard.
Membre de l’ethnie gourmantchée, diplômé de l’Institut national d’agriculture de Paris-Grignon (INAPG), ce haut fonctionnaire arpente les allées du pouvoir depuis plus de dix ans. Ex-chef de cabinet du Premier ministre Désiré Kadré Ouédraogo, il fut également en charge de la Fonction publique, avant de se voir confier la primature assortie du portefeuille de l’Économie et des Finances jusqu’en 2002. Membre du bureau politique du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Yonli fait plus figure de technocrate que de militant, même s’il a battu campagne dans son fief de la Tapoa à l’occasion des législatives du 6 mai. Reste à savoir quel sera son destin à l’issue du remaniement ministériel attendu après les élections. Certains, qui pensent qu’il est temps de renouveler l’effectif gouvernemental, le verraient bien présider la nouvelle Assemblée. D’autres estiment qu’il peut encore rendre bien des services à la primature. En attendant de connaître son sort, le chef du gouvernement défend son bilan. Sans forcer son talent

Jeune Afrique : Les Burkinabè ont élu leurs députés le 6 mai. Le nombre de partis politiques ne risque-t-il pas de nuire à la cohérence de l’opposition et favoriser la majorité ?
Ernest Paramanga Yonli : Au regard du nombre de partis en lice et de la multiplicité des candidatures, j’estime que la compétition était très ouverte. Le grand nombre de formations politiques est une preuve de la vigueur de la démocratie au Burkina. On peut toutefois regretter le manque d’efficacité de certains mouvements. Tous ne sont pas porteurs d’un projet de société suffisamment solide pour qu’il y ait un véritable débat d’idées susceptible de convaincre les électeurs, et c’est dommage. Le CDP est le seul parti réellement organisé, mais ce n’est pas parce que les autres ont du mal à lui donner la réplique que sa victoire n’est pas méritée. Cette situation peut donner une impression de démocratie biaisée, mais ce n’est pas le cas : si la compétition est régulière, le résultat n’est pas gênant.
Qu’attendez-vous de la prochaine législature ?
En tant que chef du gouvernement et membre du bureau politique du CDP, je souhaite une Assemblée représentative de la diversité de l’électorat, capable de porter le débat sur les questions de fond et de légiférer sur les préoccupations majeures du peuple burkinabè.
Quelles sont-elles ?
Depuis 2000, nous nous sommes attachés à définir une stratégie de lutte contre la pauvreté, en concertation avec l’opposition, la société civile et le secteur privé. Tout le monde s’accorde sur le fait que la réduction de la pauvreté est le cur de notre action, conformément aux Objectifs du millénaire pour le développement. Nous devons impérativement tendre vers une amélioration du niveau de vie des populations. Et pour y parvenir nous devons atteindre un taux de croissance économique à deux chiffres. Nous sommes sur la bonne voie, puisque la croissance a atteint 6,4 % en 2006.
Les fonctionnaires ont bénéficié d’une augmentation de 5 % cinq semaines avant les législatives. N’est-ce pas une mesure électoraliste ?
Pas du tout. Nous l’avons décidée au moment qui nous a paru le plus opportun. On ne peut pas gouverner sous la pression de la rue. Quant au montant de cette augmentation, nous avons fait ce qu’il était possible de faire. Compte tenu de l’accroissement démographique, le revenu par habitant n’a progressé que de 3,4 %. En proposant 5 %, vous constaterez que le gouvernement est allé au-delà.
Quels sont les principaux handicaps qui vous empêchent d’atteindre une croissance à deux chiffres ?
Il s’agit essentiellement de deux facteurs exogènes. Le premier est lié à l’envolée des prix des produits pétroliers, qui alourdit considérablement la facture pour un pays importateur et enclavé comme le Burkina, puisque nous devons parcourir plus de 1 000 km pour nous approvisionner. Le second est lié à la situation de la filière coton, qui connaît actuellement un fléchissement important et prolongé. La baisse des recettes qui en découle se répercute sur l’économie nationale et sur les recettes de l’État, mettant à mal notre balance commerciale.
Comment comptez-vous y remédier ?
Le Burkina est le premier producteur de coton africain. Malgré une conjoncture défavorable, nous pensons que cette culture restera porteuse pour notre économie dans les vingt prochaines années. Aussi avons-nous décidé d’améliorer la gestion de la filière, d’accroître la productivité par la mécanisation et la modernisation des exploitations (dotation de tracteurs, distribution d’intrants) et de mettre l’accent sur la création de valeur ajoutée. Cette démarche doit s’appliquer à tous les échelons industriels, notamment au niveau de l’égrenage et de la filature. Parallèlement, nous travaillons à la valorisation de l’huile végétale et à l’utilisation des graines de coton pour la fabrication de biocarburant. Des expérimentations sont en cours dans la région de Bobo-Dioulasso. Enfin, nous poursuivons le développement de variétés de coton transgénique en procédant cette année à des essais en plein champ.
Malgré vos efforts, le coton reste victime des subventions versées par les États-Unis aux producteurs américains
Oui, mais ce combat mené par les pays producteurs africains devant l’Organisation mondiale du commerce [OMC] a déjà permis des avancées non négligeables. Il a été reconnu que le coton africain était victime d’une concurrence déloyale, et nous avons obtenu de l’OMC que le dossier du coton soit séparé de l’agenda agricole pour faire l’objet d’un traitement spécifique. Enfin, nous avons obtenu le soutien d’un grand nombre de nos partenaires, notamment celui de l’Union européenne et de la France. Nous ne demandons pas l’aumône, nous voulons juste pouvoir vendre nos produits de manière équitable dans un contexte de mondialisation des échanges.
Quelles activités pourraient compenser le manque à gagner consécutif à la chute du coton ?
Nous disposons d’un potentiel minier relativement modeste au regard de celui de certains pays. Le Burkina n’est pas un « scandale géologique ». Toutefois, l’évolution des cours mondiaux a permis la création ou la réouverture de certaines exploitations aurifères. Nous disposons également d’un gisement de zinc de bonne qualité dont l’exploitation va prochainement démarrer. Et nous espérons ainsi compenser une partie des pertes du coton.
Et en dehors des mines ?
L’intérêt des investisseurs va bien au-delà du secteur minier, comme le prouve la cession – à un prix très intéressant – de 51 % du capital de l’Onatel [Office national des télécommunications] à Maroc Télécom en décembre 2006. Et le processus de désengagement de l’État va se poursuivre avec l’ouverture du capital de la Sonabel [électricité], de la Sonabhy [hydrocarbures] et de l’Office national de l’eau et de l’assainissement [Onea]. Parallèlement, nous lançons plusieurs projets d’infrastructures comme l’aménagement d’un barrage et d’un périmètre agricole à Samandeni [près de Bobo-Dioulasso], la construction d’un quartier d’affaires dans la capitale ou encore la réalisation d’un nouvel aéroport international à Ouagadougou. Enfin, le projet de connexion ferroviaire entre Ouaga et Koumassi, au Ghana, est lui aussi en bonne voie.
Ces résultats économiques ne semblent pas vraiment satisfaire les Burkinabè, si l’on en croit les violentes manifestations qui se sont produites à Ouaga au cours des derniers mois
Je considère que ces « poussées de fièvre » sont naturelles, surtout dans un pays en développement comme le Burkina. D’ailleurs, ces réactions populaires ne sont pas un phénomène spécifiquement africain, la crise qui a éclaté dans les banlieues françaises en novembre 2005 le prouve.
Tout de même, le 20 décembre dernier, des combats se sont produits entre les militaires et la police nationale dans les rues de Ouaga sans que le pouvoir n’intervienne. Ce n’est plus vraiment une « poussée de fièvre »
Il s’agit d’une situation très spécifique. Vous savez que l’esprit de corps est particulièrement développé dans l’armée, et des militaires ont voulu venger la mort de l’un des leurs. Il faut tenir compte des mentalités. Les autorités ont choisi de garder le silence pour trouver la solution la plus efficace. L’important, c’est que nous ayons pu maîtriser la situation.

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