Les bons offices de Blaise

En s’investissant dans le règlement des crises qui minent l’Afrique de l’Ouest, le chef de l’État semble donner la priorité à la diplomatie. Au risque de décevoir ses concitoyens ?

Publié le 7 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Le 6 mai 2007, 4,4 millions d’électeurs burkinabè devaient élire les 111 députés qui siégeront à l’Assemblée pour la prochaine législature. Au total, 47 partis politiques étaient en lice. Mais face à l’hégémonie du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir), l’opposition n’était pas vraiment en position de force. L’Assemblée sortante, élue en 2002, comptait 57 députés CDP et 54 élus issus de l’opposition. Mais à l’époque, cette dernière avait bénéficié d’un vote protestataire, alimenté par le mécontentement populaire suscité notamment par l’affaire Zongo, journaliste assassiné en décembre 1998 dans des conditions demeurées obscures.
Aujourd’hui, les opposants sont passablement divisés. Le premier d’entre eux, Bénéwendé Sankara, leader de l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (UNIR/MS), a réalisé le meilleur score à la présidentielle de novembre 2005. Mais il a recueilli moins de 5 % des voix alors que le président sortant, Blaise Compaoré, était crédité de plus de 80 % des suffrages. Parmi les autres formations, le Parti pour la démocratie et le progrès/Parti socialiste (PDP/PS), le mouvement fondé par Joseph Ki-Zerbo, est orphelin, et son état-major peine à rassembler ses forces depuis la mort de son chef. Débarqué de l’Alliance pour la démocratie et le progrès/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) en 2003, Hermann Yaméogo a été marginalisé, et son nouveau parti, l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD), dispose d’une représentation limitée. Quant à Gilbert Ouédraogo, qui lui a ravi la présidence du mouvement, il est membre du gouvernement tout en continuant à affirmer qu’il appartient à l’opposition. Difficile, dans ces conditions, de passionner les foules, qui n’attendent plus qu’un nouveau raz-de-marée du CDP aux législatives pour tourner la page, comme les précédents scrutins le laissaient penser.
Il y a un an, le parti au pouvoir remportait près des deux tiers des sièges à l’issue des élections municipales du 23 avril 2006, alors que le taux de participation était inférieur à 50 %. Quelques mois plus tôt, Blaise Compaoré était reconduit à la tête du pays le 13 novembre 2005 sans qu’aucun de ses onze adversaires ne parvienne à franchir la barre des 5 %. La victoire du parti au pouvoir semblait donc probable, et c’est sur l’après-législatives que se concentrent les interrogations.
Quels que soient les résultats, un remaniement gouvernemental est prévu après le scrutin, certains ministres – à commencer par le Premier d’entre eux, Ernest Paramanga Yonli, ou encore celui des Finances, Jean-Baptiste Compaoré – étant en poste depuis de longues années. Cela dit, il n’est pas certain que le locataire de la primature cède la place. Réputé pour sa puissance de travail, il a prouvé au chef de l’État qu’il était apte à « tenir la maison » quand Blaise Compaoré s’absentait du pays, ce qui risque de se produire fréquemment dans les mois à venir
Le chef de l’État consacre de plus en plus de temps aux affaires internationales. Le 19 janvier dernier, il a été désigné président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Dans ce cadre, Compaoré va devoir se faire l’avocat de ses pairs pour la conclusion de l’Accord de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne. La Cedeao a demandé que soit repoussée l’échéance de 2008 fixée pour la conclusion de cet accord, l’UE devant impérativement réviser ses relations commerciales avec les 75 pays ACP, jusqu’à présent fondées sur un accès préférentiel au marché communautaire. Les chefs d’État ouest-africains estiment que leurs économies « ont encore besoin d’un temps d’ajustement au-delà de l’échéance retenue pour la conclusion de cet accord ».
Autre dossier brûlant : celui du coton. En janvier dernier, Blaise Compaoré a réitéré son appel aux pays développés à reprendre les négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Accusant les pays du Nord de mener des politiques discriminantes pour les populations d’Afrique, le président burkinabè demande « un commerce international plus équitable, et une rémunération plus juste des producteurs agricoles du Sud ». Depuis juin 2004, Compaoré s’est fait le porte-parole des producteurs africains réunis au sein du C4 (Bénin, Burkina, Mali, Tchad) pour dénoncer la concurrence déloyale des États-Unis.
Au niveau sous-régional, le président burkinabè multiplie ses efforts en faveur du règlement des crises, se donnant peu à peu une auréole de sage sur la scène diplomatique. Une image très différente de ce qu’elle pouvait être il y a seulement cinq ans. « Au tournant des années 2000, Blaise Compaoré était considéré par un nombre croissant de ses pairs comme le chef d’un État voyou, se souvient un diplomate en poste dans la sous-région. Accusé de donner asile à tous les opposants d’Afrique de l’Ouest, suspecté de téléguider des tentatives de putsch contre le Togo d’Eyadéma ou contre la Mauritanie d’Ould Taya, présenté comme l’allié du président libérien Charles Taylor, il était également considéré comme le Pygmalion des rebelles ivoiriens. » En l’espace de quelques années, la donne a totalement changé. Président en exercice de la Cedeao depuis janvier 2007, il n’a pas attendu d’être nommé pour intervenir dans le jeu diplomatique. Son premier succès en ce domaine est intervenu le 20 août 2006, avec la conclusion d’un accord politique entre le pouvoir togolais et son opposition. La médiation de Blaise Compaoré a été facilitée par sa proximité avec son homologue Faure Gnassingbé, alors que ses relations avec le père de celui-ci, Gnassingbé Eyadéma, étaient devenues exécrables. D’ailleurs, le président burkinabè continue de suivre de très près le processus togolais, les protagonistes le sollicitant régulièrement pour résoudre leurs dissensions.
Sur le front ivoirien, Blaise Compaoré a réussi le tour de force de passer pour un juge de paix, alors qu’il était jusque-là considéré comme un élément perturbateur, voire comme un pyromane. En seulement cinq semaines, il a réussi là où la France et Thabo Mbeki avaient échoué, obtenant la conclusion d’un accord de réconciliation. Sollicité pour jouer le rôle de facilitateur du « dialogue direct » entre le régime de Laurent Gbagbo et les ex-rebelles des Forces nouvelles le 23 janvier, sa médiation, qui a débouché sur la création d’un gouvernement d’union nationale, a été sanctionnée par un accord signé le 4 mars à Ouaga.
Certes, ces deux initiatives sont à mettre à son actif. Mais Blaise Compaoré a aussi bénéficié de circonstances favorables. Paradoxalement, l’arrestation de Charles Taylor a servi son image, puisqu’on ne peut plus lui reprocher ses relations sulfureuses. Son ami, le « Guide » libyen Mouammar Kadhafi est redevenu fréquentable aux yeux des Occidentaux, et certains changements de régime – comme au Togo ou en Mauritanie – ont écarté plusieurs de ses ennemis de la scène ouest-africaine.
Présenté souvent comme « le grand président d’un petit pays », Compaoré se sent-il à l’étroit au Burkina ? Son intérêt pour les affaires diplomatiques et ses absences répétées lui sont parfois reprochés par ses administrés, qui se battent au quotidien contre la hausse du coût de la vie. Mais la normalisation des relations avec la Côte d’Ivoire, si elle permet de lever bien des incertitudes politiques, permettra également de rétablir les relations économiques suspendues avec le grand voisin du sud tout en sécurisant les membres de la diaspora burkinabè exilés sur les rives de la lagune Ebrié. Ce qui n’est pas un luxe, au moment où, sur le front social, la demande se fait de plus en plus pressante. Au cours de l’année 2006, les syndicats ont organisé plusieurs manifestations contre la cherté de la vie, lançant même une grève générale de trois jours. Des mouvements d’humeur se sont également traduits par des éclats assez brutaux, comme la manifestation contre le port du casque à Ouaga en septembre 2006.
Mais cette grogne sociale est beaucoup moins inquiétante que la révolte des militaires survenue le 19 décembre, qui a conduit la troupe à s’opposer aux forces de police les armes à la main. Durant près de quarante-huit heures, Ouaga, ville tranquille, s’est transformée en champ de bataille entre forces de sécurité. Les choses sont rentrées naturellement dans l’ordre, mais la portée de ce coup de semonce ne doit pas être minorée. Ne révèle-t-elle pas un certain mal-être au sein d’une population, dont les frustrations pourraient, à terme, devenir dangereuses ? Surtout si, à l’instar des bidasses, les Ouagalais se mettaient à recourir à la violence pour exprimer leur mécontentement.

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