Le dur destin des « schtroumpfs »

La campagne législative bat son plein. Tandis que, sans conviction excessive, les grands partis se rendent coup pour coup, les petits ne savent quoi inventer pour se faire remarquer. Pas de quoi passionner les foules !

Publié le 9 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

Après le grand élan de solidarité suscité par les attentats terroristes du 11 avril, la passion des Algériens pour la chose publique est vite retombée, à en juger par la morosité de la campagne pour les élections législatives du 17 mai. De quoi nourrir quelques inquiétudes quant au taux de participation au scrutin.
Les forces en présence sont naturellement très inégales. À côté des « grosses cylindrées », capables de bourrer une salle omnisports à chaque meeting, il y a les petites formations, qui, souvent, peinent à remplir la modeste salle de cinéma d’un village reculé. Par dérision, on les surnomme les sanafirs, qu’on pourrait traduire par « schtroumpfs ». Bien qu’ayant obtenu l’agrément des autorités, ces partis fantomatiques, qui, traditionnellement, fleurissent en période électorale, se réduisent le plus souvent à un sigle. Leurs spots télédiffusés dans le cadre de la campagne ont beau être, pour la plupart, d’une affligeante médiocrité, ils leur offrent l’occasion inespérée de s’inviter dans tous les foyers.
Le président Abdelaziz Bouteflika y est mis à contribution à tout propos. Et, souvent, hors de propos. L’immense majorité des 12 000 candidats qui se disputent les 389 sièges de l’Assemblée populaire nationale (APN), la Chambre basse du Parlement, se réclame en effet de lui et de sa politique (grands travaux, réconciliation nationale, etc.). Bref, pour décrocher le Graal parlementaire, chacun s’efforce de marauder une parcelle de l’aura du chef de l’État. Le phénomène a pris une telle ampleur que Saïd Bouchaïr, le président de la Commission politique de surveillance des élections législatives (CPSEL), a été contraint de sévir. Dans les meetings électoraux, il est désormais interdit d’afficher des portraits de Bouteflika ou de se réclamer de son action. L’interdiction vaut-elle pour le FLN, dont il est le président d’honneur ? Bouchaïr ne l’a pas précisé.
Chef du gouvernement et secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem affiche quant à lui ses certitudes : « Nous n’avons même pas besoin de faire campagne pour remporter la majorité des sièges », a-t-il fait savoir à un parterre de militants réunis à Chlef (250 km à l’ouest d’Alger) – ce qui est sans doute une manière inhabituelle de mobiliser ses troupes et donne une idée de la qualité du débat. L’image des parlementaires dans l’opinion n’est guère brillante, et l’on voit mal comment la campagne en cours, si elle se maintient jusqu’au bout à ce niveau, pourrait contribuer à l’améliorer. « Je ne vois strictement aucune différence entre les programmes des différentes listes », déplore ainsi Benyoucef, un cadre financier.
Le seul intérêt – à dire le vrai, limité – de la prochaine consultation tient au retour sur le devant de la scène des « démocrates » regroupés autour de l’Alliance nationale des républicains, que dirige l’ancien Premier ministre Réda Malek, et du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), de Saïd Sadi. Les uns et les autres avaient boycotté le précédent scrutin, en 2002 Les candidats de ces deux formations ne sont assurément pas des « schtroumpfs », mais ils sont loin d’avoir les faveurs des pronostics face à leurs adversaires nationalistes, islamistes et trotskistes.
Louisa Hanoune et son Parti des travailleurs font une campagne remarquable. Il est loin le temps l’on pouvait parodier méchamment les communiqués de la formation trotskiste : « La réunion du comité central s’est tenue, ce jour, dans la cabine téléphonique de la rue machin » Le PT, qui compte vingt et un députés sortants, présentera des candidats dans la majorité des circonscriptions. Il ne cesse de renforcer son implantation et, particularité remarquable, a choisi de confier à des femmes la conduite de près de la moitié de ses listes (16 sur 37). Les qualités de tribun et le passé de détenue d’opinion de sa présidente font oublier le caractère quelque peu extrémiste – de gauche – de son discours.
Comme à l’accoutumée, les islamistes vont à la bataille en ordre dispersé. D’éclatement en dissidence, le courant incarné par l’intransigeant Abdallah Djaballah poursuit sa descente aux enfers. Les survivants de l’ex-Front islamique du salut (FIS) – cadres politiques ou chefs de guerre repentis – étant inéligibles, l’électorat proche des fondamentalistes pourrait accorder ses faveurs aux islamistes bon chic bon genre du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), que dirige Bouguerra Soltani. C’est la seule composante de l’Alliance présidentielle à se prononcer publiquement en faveur de l’alternance. Sa campagne anticorruption ayant fait un flop, l’état-major du MSP a été contraint de revoir sa copie. Son ambition ? « Remporter un tiers des sièges », assure Soltani.
Le courant nationaliste est représenté par trois partis : le FLN (et sa machine électorale à l’efficacité amplement éprouvée), le Rassemblement national démocratique (RND), de l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, et l’énigmatique Front national algérien (FNA), de Moussa Touati. Fondé il y a une quinzaine d’années, ce dernier compte aujourd’hui une vingtaine d’élus nationaux et n’est pas dépourvu de moyens financiers. D’abord, parce que, comme tous les partis, il est subventionné par l’État en proportion du nombre de ses élus. Ensuite, parce que les députés sont contraints de reverser à leur parti le tiers de leur indemnité (270 000 dinars, soit 3 000 euros, par mois). Le FLN, qui compte 199 députés, perçoit ainsi mensuellement près de 200 000 euros. Et le FNA dix fois moins.
Certes, la loi électorale instaure des garde-fous. Les dépenses de campagne sont ainsi plafonnées à 150 000 dinars (1 500 euros) par candidat. Une liste compte, en moyenne, une dizaine de noms. En monnaie locale, cela fait beaucoup d’argent. Il est vrai qu’entre la confection des affiches, le transport des militants lors des meetings et la location de salles ou de stades, une campagne électorale coûte cher – même si elle ne passionne pas les foules !
La chaîne publique ne ménage pourtant pas ses efforts pour mobiliser les citoyens, mais sans grand discernement. Pendant la campagne électorale, la durée des journaux télévisés est inhabituellement longue. Il n’y est que fort peu question du regain d’activité d’al-Qaïda dans le Maghreb islamique, de l’enquête sur les attentats du 11 avril ou des opérations de ratissage de l’armée contre les maquis islamistes, mais presque exclusivement des législatives. En plus des clips vidéo réalisés pour la circonstance, le 20 heures rend consciencieusement compte de tous les meetings, conférences de presse et réunions publiques du jour, dans les 48 wilayas. Quel téléspectateur résisterait à une telle épreuve ?

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