Haro sur Heykal !

Ancien confident de Nasser, le célèbre journaliste est l’objet d’une campagne de dénigrement d’une rare violence.

Publié le 7 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

La campagne de presse est d’une incroyable violence. Thuriféraires patentés du régime ou outsiders désireux de se faire connaître, c’est à qui insultera le plus grossièrement Mohamed Hassanein Heykal, l’éminent journaliste égyptien. Pour comprendre les raisons d’une telle malveillance, il faut se reporter à The Independent du 9 avril. Sous le titre « L’homme sage du Moyen-Orient », le quotidien britannique consacre en effet deux pages à la rencontre de son journaliste-vedette, Robert Fisk, avec l’ancien confident de Nasser. On y découvre de petites photos de Sadate et de Moubarak à côté d’un immense portrait du journaliste ! Lequel aggrave son cas en portant sur l’actuel raïs, qui s’apprête à fonder une dynastie en transmettant le pouvoir à son fils, un jugement « dévastateur ». « Notre président, confie-t-il à Fisk, vit dans un monde fantasmagorique. » Il est arrivé à la tête de l’État par hasard et n’est, à l’en croire, pas fait pour le job : « C’était un excellent pilote, commandant de l’armée de l’air Sadate l’a nommé, à 55 ans, vice-président, avant de mourir assassiné… Il est au pouvoir depuis des lustres, mais se montre toujours incapable d’assumer les charges de l’État. »
Fisk rappelle à Heykal que Sadate le jeta naguère en prison, que Moubarak l’en libéra et qu’à l’époque il y avait vu le « symbole d’une ère nouvelle ». « Moubarak se trouvait juste à côté de Sadate lorsque le commando islamiste tira sur la tribune, réplique Heykal. On a cru qu’il avait pris la mesure de la crise. En fait, il n’a rien compris au film et n’a retenu que l’obsession de la sécurité. »
L’auteur de L’Automne de la colère (sur l’assassinat de Sadate, justement) insiste sur les disparités qui déchirent la société égyptienne. Alors que les « pauvres n’ont jamais autant souffert », on assiste à un étalage obscène dans la presse people, qui ne perd pas une occasion de s’extasier sur tel ou tel « mariage à 2 millions de dollars » « Aujourd’hui, un océan sépare les autorités du peuple, avertit Heykal. Le vent ne s’est pas encore levé, mais gare à la tempête ! »
Le journaliste égyptien parle ensuite du Liban, cette « invention arabe devenue indispensable ». « Nous avons besoin de ce pays comme lieu de rencontre, poste d’observation et fenêtre sur la Méditerranée », explique-t-il, tout en soulignant sa singularité ambiguë. Évoquant l’un de ses entretiens avec Rafic Hariri, alors au pouvoir, il commente : « C’est le seul pays où le Premier ministre vous dit : Je ne suis pas libanais, je suis saoudien ! » Il décrit le milliardaire assassiné il y a deux ans en ces termes : « Il voulait l’argent pour avoir la respectabilité et la respectabilité pour avoir l’argent. Un jour, il m’a dit : le poste de Premier ministre du Liban, ça pèse des milliards de dollars. » Sur Fouad Siniora, l’actuel chef du gouvernement, Heykal multiplie en revanche les compliments : « C’est un homme solide qui a su, lors de la dernière guerre avec Israël, gagner à son pays la sympathie du monde, devenant du même coup plus prestigieux que Hariri. » Heykal s’interdit néanmoins de se rendre au Liban. « Tous mes amis sont dans un camp, et mes sympathies personnelles vont à l’autre camp. Si j’y allais, je déjeunerais avec Ghassane Tuéni [le fondateur d’An-Nahar, qui soutient le gouvernement] et je me précipiterais ensuite pour rencontrer Hassan Nasrallah [le chef du Hezbollah]. »
« Les Américains, confie encore Heykal, ont fait d’énormes dégâts dans notre région. Ils ont tout fait pour que les Arabes n’aient plus l’initiative. Du coup, l’Égypte ne compte plus, et l’Arabie saoudite est à la traîne. » À l’évidence, les Américains ont échoué en Irak, mais « nos pertes sont malheureusement encore plus lourdes que les leurs ». La dernière trouvaille de Bush, le « sursaut » (surge), n’a pas d’autre objectif que de préparer leur retrait. « Ils veulent construire le pont qui leur permettra de se retirer », mais, pour le moment, « ils sont sur un pont suspendu » En attendant, ils se sont attiré la franche hostilité du monde arabe. « Les ennemis des Américains, ce ne sont pas seulement les talibans, le Hamas et le Hezbollah, mais une immense foule de gens ordinaires, qui les haïssent. »
Une note d’espoir : ce qui se passe en profondeur, en Égypte. « Le plus surprenant, ce n’est pas le niveau de nos étudiants, c’est leur soif de connaissance. Grâce aux portables, aux ordinateurs et aux satellites, une nouvelle génération émerge, qui échappe à tous les contrôles. » Pour la première fois, la police dispose d’un budget supérieur à celui de l’armée, mais elle est impuissante à empêcher les échanges qui se nouent sur Internet et préparent une « guérilla d’un nouveau genre ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires