Guerre des nerfs à New York

L’adoption à l’unanimité de la résolution 1754, qui appelle le Maroc et le Polisario à négocier « de bonne foi » et « sans conditions préalables », a été précédée d’une intense lutte d’influence à l’échelle planétaire.

Publié le 9 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

Et s’il se passait enfin quelque chose de positif dans l’un des conflits réputés les plus insolubles de la planète ? Avec l’enthousiasme des nouveaux venus, le secrétaire général des Nations unies, le très affable Ban Ki-moon, y croit. Prié par le Conseil de sécurité de remettre un premier rapport d’étape à la date du 30 juin, il envisage de se rendre prochainement dans la région afin de favoriser l’impensable : des négociations directes, en terrain neutre, entre les parties prenantes de l’inextricable imbroglio saharien. En poche, le patron de l’ONU aura un viatique en forme de feuille de route : la résolution 1754 adoptée à l’unanimité le 30 avril à New York, qui appelle le Maroc et le Front Polisario à négocier « de bonne foi » et « sans conditions préalables », afin de parvenir in fine à « l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ».
Pendant les trois mois qui ont précédé l’examen du dossier par le Conseil de sécurité, les protagonistes se sont livrés à une sorte de course-poursuite diplomatique dans laquelle tous les coups semblaient permis. Des délégations marocaines, marquées à la culotte par celles du Polisario et de l’Algérie, ont ainsi parcouru une trentaine de capitales clés, à commencer par celles des quinze pays membres du Conseil. En Afrique, Accra et Brazzaville ont ainsi reçu la visite d’émissaires marocains, porteurs du projet d’autonomie élaboré à Rabat, immédiatement suivis par des contre-émissaires venus d’Alger.
En Amérique latine, terrain d’affrontement traditionnel entre les deux camps, Mohamed Benaïssa, le ministre marocain des Affaires étrangères, et Khalihena Ould Errachid, le président du Corcas, l’Assemblée de transition mise en place au Sahara, ont dû renoncer in extremis à un déplacement capital à Caracas. Alors qu’un rendez-vous ferme avait été pris avec Hugo Chávez, ils ont été informés au dernier moment qu’ils ne seraient reçus que par un responsable de second rang. À l’évidence, « l’autre partie » était passée par là. Mécontents, les Marocains se sont abstenus. Il est vrai aussi que le président vénézuélien, que l’on sait très proche d’Abdelaziz Bouteflika, son alter ego algérien, est aujourd’hui l’un des principaux militants de la « cause » du Polisario dans la région.
Même atmosphère de guerre froide à Washington, où l’on s’est battu par cabinets de lobbying interposés. À ce jeu, le Maroc l’a emporté puisqu’il a obtenu la signature de 172 congressmen au bas d’une pétition adressée, mi-avril, à George W. Bush, laquelle demande au gouvernement américain de soutenir le plan d’autonomie perçu comme le seul moyen d’empêcher les terroristes d’al-Qaïda de s’implanter au Maghreb en profitant des effets induits du conflit. Le Polisario a aussitôt réagi, en faisant circuler une contre-pétition au Congrès. Résultat : 47 signatures
C’est donc dans un climat beaucoup moins serein qu’il n’y paraît que le Conseil de sécurité a entamé ses travaux, le 23 avril à New York. Sur la table : une proposition de résolution qui, avant de recommander l’ouverture de négociations entre les deux parties, « prend note » des plans marocain et sahraoui et se félicite « des efforts sérieux et crédibles faits par le Maroc pour aller de l’avant vers un règlement ».
Dépositaire, en quelque sorte, des intérêts du Polisario au Conseil et avocat convaincu d’une solution référendaire à ce qu’il qualifie de « dernier problème colonial sur le continent africain », le représentant de l’Afrique du Sud a aussitôt protesté. Soutenu par ses collègues du Panamá et, dans une moindre mesure, de la Russie, il a exigé que le Conseil entende Mohamed Abdelaziz, le président de la RASD. Le très promarocain représentant du Qatar a promptement réagi : « Si vous auditionnez M. Abdelaziz, il faut que vous auditionniez également M. Ould Errachid, le président du Corcas. » Légère confusion et annulation conjointe des demandes.
Mais le Sud-Africain Dumisani Kumalo ne désarme pas. À ses yeux, le paragraphe de félicitations adressé dans le préambule au seul Maroc est « déplacé », à moins que le Polisario n’y soit lui aussi mentionné. Nouveau blocage. L’examen de la résolution, qui devait être adoptée le vendredi 27 avril à l’unanimité, est reporté. Lundi 30, on passe au vote. Mais avant que le scrutin à main levée ne commence, le Sud-Africain, qui a fait ses comptes et sait que sa position est minoritaire, annonce qu’il se rallie au texte proposé, non sans avoir une nouvelle fois regretté certaines « expressions malheureuses ». La 5 669e séance du Conseil de sécurité depuis la création de l’ONU, en 1945, s’achève donc sur l’adoption de la résolution 1754.
Qui a gagné, qui a perdu ? Si le Maroc peut se réjouir d’un texte qui le félicite de ses « efforts sérieux et crédibles », et qui, surtout, semble enterrer le plan Baker, dont il ne fait à aucun moment mention, le Polisario se satisfait de la demande faite aux parties d’engager des négociations. Les lectures de la 1754 sont donc, on le voit, très différentes. Ne reste plus à Ban Ki-moon qu’à trouver ce que tous ses prédécesseurs ont cherché en vain pendant trente-deux ans : la clé qui déverrouillera les relations entre le Maroc et l’Algérie.

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