Deux juges à l’Élysée !

Publié le 7 mai 2007 Lecture : 3 minutes.

On a frôlé le scoop judiciaire, mardi 2 mai au matin. Pour la première fois, des juges d’instruction se sont présentés à un des portails du palais de l’Elysée, avenue de Marigny, à Paris, avec à la main un ordre de perquisition de la résidence du chef de l’Etat français. Deux heures de palabres parfois animées se sont ensuivies, avant que ne tombe le niet officiel : en vertu de l’article 67 de la Constitution, « le président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ». Ses bureaux ne sauraient donc être visités, ni faire l’objet « d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ».
Certes, les juges Pous et Ganascia n’avaient pas l’intention de fouiller les tiroirs personnels de Jacques Chirac, mais ceux de Michel de Bonnecorse, son conseiller aux Affaires africaines, situés de l’autre côté du Palais, au numéro 2 de la rue de l’Elysée. On se demande d’ailleurs pourquoi ils ne s’y sont pas directement présentés : en ignoraient-ils l’adresse exacte ?
Reste que les documents qui s’y trouvent appartiennent au chef de l’Etat et que ses collaborateurs immédiats, en vertu d’une interprétation extensive de l’article 67, partagent son irresponsabilité pénale dans l’exercice de leurs fonctions.
Les deux juges d’instruction chargés de l’affaire Borrel, du nom de ce magistrat français retrouvé mort en octobre 1995 à Djibouti, ont donc eu moins de chance qu’il y a trois semaines, lors de leur irruption surprise dans d’autres bâtiments de la République. Les 19 et 20 avril, Fabienne Pous et Michèle Ganascia ont en effet longuement perquisitionné les locaux des ministères des Affaires étrangères et de la Justice, avant de repartir nanties de milliers de pages et de données informatiques saisies. Au passage, Pierre Vimont, le directeur de cabinet du ministre Philippe Douste-Blazy, et Hervé Ladsous, l’ex-porte-parole du Qui d’Orsay, ont été entendus en tant que témoins assistés.
C’est à partir de leur déposition que les magistrats ont décidé, dans le plus grand secret, de rendre visite à l’Elysée. Selon elles, le timing pour le moins spécieux de leur opération commando, à quatre jours du second tour de l’élection présidentielle, relevait à la fois du hasard et de la nécessité. En cette période de grand nettoyage des bureaux, les risques de « dépérissement des preuves » (en d’autres termes : de destruction) seraient permanents.
De quelles « preuves » s’agit-il ? Les deux juges s’intéressent en réalité à la gestion politique de l’affaire Borrel – qui traîne en longueur depuis onze ans et a connu de multiples rebondissements – par le pouvoir exécutif français. Elles reprochent à la cellule africaine de l’Elysée, mais aussi aux cabinets des ministres de la Justice et des Affaires étrangères, de s’être concertés pour transmettre aux autorités djiboutiennes, en janvier 2005, une copie du dossier judiciaire qu’elles réclamaient.
La tentative n’eut pas de suite, la juge d’instruction de l’époque, Sophie Clément, s’y étant opposée. Mais elle illustre la totale divergence de vues qui, depuis le début, oppose la partie civile – en l’occurrence la veuve du juge et ses avocats -, persuadée que Bernard Borrel a été assassiné sur ordre d’Ismaïl Omar Guelleh, l’actuel chef de l’Etat djiboutien (qui était, à l’époque, directeur de cabinet à la présidence), à l’Elysée, au Quai d’Orsay et à la chancellerie, convaincus que le juge s’est donné la mort.
« Contrairement à ceux qui préjugent de l’assassinat de Bernard Borrel sur ordre des autorités djiboutiennes, je préjuge, moi, qu’il s’est suicidé », nous confiait il y a peu Bonnecorse (voir J.A. 2416). A l’évidence, Fabienne Pous et Michèle Ganascia, qui avaient déjà menacé de perturber la quiétude du président Guelleh en marge du sommet Afrique-France de Cannes, au mois de février – au point que ce dernier, informé du projet, avait bien failli faire demi-tour en plein vol -, aimeraient que Michel de Bonncorse s’explique. Il y a fort à parier qu’elles ne renonceront pas…

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