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La communauté internationale, qui a condamné le processus électoral, ne semble pas disposée à joindre l’acte à la parole. Intérêt économique oblige.

Publié le 7 mai 2007 Lecture : 4 minutes.

L’opposition nigériane espérait que le 1er mai amorce une longue série d’importantes contestations. Leaders politiques, syndicats, représentants de la société civile, intellectuels et simples citoyens avaient rendez-vous dans la rue pour dénoncer d’une seule voix les résultats de la présidentielle frauduleuse du 21 avril. Mais le soulèvement populaire n’a pas eu lieu. Respectant l’interdiction de manifester décrétée par les autorités, la majorité des Nigérians a préféré profiter du jour férié pour rester tranquillement à la maison, en famille.
Elle semble bien loin la vague de protestations de 1993 lorsque, deux mois durant, des milliers d’électeurs se sont réunis sur la place publique afin d’exiger le départ du général Ibrahima Babangida, qui venait d’annuler le scrutin présidentiel remporté par « Chief », le très charismatique et populaire Moshood Abiola. À l’époque, la rue et l’opposition avaient obtenu le soutien de la communauté internationale, qui contribua activement à la mise en place du gouvernement intérimaire d’Ernest Shonekan. Mais trois mois plus tard, ce dernier fut contraint à la démission par son ministre de la Défense, Sani Abacha, qui, en cinq ans de pouvoir sans partage, replongea le Nigeria dans la dictature. Aujourd’hui les chancelleries sont nettement plus timides qu’en 1993 et se contentent de condamner du bout des lèvres la manipulation des urnes qui, le 21 avril, ont placé Umaru Yar’Adua, le dauphin du président sortant Olusegun Obasanjo, à la tête du pays africain le plus peuplé.
Certes, les chantres de la démocratie y sont tous allés de leur couplet pour condamner le processus électoral. La présidence de l’Union européenne (UE) a pris « acte avec inquiétude des rapports relatifs aux irrégularités et au recours à la violence ». Les États-Unis ont « regretté que le Nigeria ait raté l’occasion de consolider sa démocratie ». Le Commonwealth, dont Abuja est membre, a noté des « imperfections significatives » et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) – le Nigeria en est la pièce maîtresse – a reconnu que le scrutin n’a été « ni libre ni équitable ». L’Union africaine (UA), elle, n’a pas été entendue sur le sujet. Elle n’a d’ailleurs pas envoyé d’observateurs. Officiellement, aucune invitation ne lui a été adressée.
Mais après ? Il y a peu de chances que le Nigeria soit suspendu des instances où il siège – notamment l’UA et la Cedeao – et encore moins qu’il soit placé sous embargo. Il est même peu probable qu’il fasse l’objet d’une quelconque sanction comme, par exemple, la restriction des déplacements des autorités nigérianes à l’étranger. Les plus pragmatiques diront qu’Abuja est un partenaire commercial suffisamment important pour que Washington ou Paris ne joignent l’acte à la parole. Et ils n’auront pas tort. En ces temps de pétrole cher, les Américains se tournent davantage vers le golfe de Guinée pour diversifier leurs sources d’approvisionnement en or noir. Entre 2005 et 2006, leurs importations en provenance du Nigeria – composées, faut-il le préciser, très majoritairement d’hydrocarbures – ont augmenté de 15 %. Les États-Unis réalisent 11 % de leurs achats de brut dans le pays, où les deux principaux opérateurs ne sont autres que ExxonMobil et Chevron. Paris n’est pas en reste : d’après le Quai d’Orsay, le stock des investissements français à Abuja est équivalent à celui totalisé dans le reste des pays d’Afrique de l’Ouest.
À croire que les grandes puissances occidentales considèrent que le scrutin du 21 avril, si truqué soit-il, est un moindre mal. Le Nigeria, géant de 140 millions d’habitants dont les moindres soubresauts ont des répercussions chez ses voisins immédiats (Bénin, Niger, Tchad, Cameroun) et dans tous les autres États de la sous-région, a connu des périodes autrement plus troubles et moins démocratiques, notamment sous le « règne » de Sani Abacha. Olusegun Obasanjo a eu le mérite d’apporter la stabilité et d’uvrer pour sa reconnaissance sur la scène internationale. Pourquoi alors ne pas avoir confiance en son dauphin ? Ce serait risquer de compromettre les relations avec un précieux allié dans la lutte contre le terrorisme en Afrique. « Le Nigeria joue un rôle clé dans l’édification du consensus antiterroriste au sud du Sahara », admet le département d’État américain.
Et, qui d’autre qu’Umaru Yar’Adua aurait pu succéder à Olusegun Obasanjo ? Muhammadu Buhari, en lice le 21 avril, n’a pas la réputation d’être un démocrate : il a d’ailleurs pris le pouvoir après un coup d’État, en 1983. Atiku Abubakar, ennemi juré d’Obasanjo et également candidat à la présidentielle, est notoirement corrompu. Plutôt que d’exiger l’organisation d’un nouveau scrutin nécessairement chaotique et aux lendemains incertains, la communauté internationale joue la carte de la prudence et espère assister à une normalisation progressive d’ici à la prochaine élection, en 2011. Les Nigérians eux-mêmes ne protestant pas outre mesure, les chevaliers blancs de la démocratie ne voient pas de raison d’intervenir. « L’opposition a le plus grand mal à mobiliser la population, confie un observateur sur place. Les gens ne sont pas dupes, mais ils s’en remettent au temps et au bon Dieu. » Après huit années d’Obasanjo qui n’ont en rien amélioré leur condition, les 140 millions de Nigérians semblent désenchantés. D’après le même interlocuteur, si la Commission électorale nationale indépendante (Inec) n’a pas rendu le taux de participation public, c’est parce qu’il est excessivement faible. « Il ne dépasse pas les 20 % à 25 % », assure-t-il. Entre Yar’Adua, Buhari ou Atiku, les Nigérians ne voient finalement pas grande différence. La communauté internationale, elle, croit savoir à quoi s’en tenir avec le premier.

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