Forum Chine-Afrique : et si le continent tirait enfin son épingle du jeu ?

Ouvert ce 29 novembre à Dakar, le huitième Forum sur la coopération sino-africaine (Focac 2021) est censée réorganiser les relations entre les deux parties pour les trois prochaines années. Une coopération plus juste implique de discuter de sujets tabous comme la dette.

Le président chinois Xi Jinping prononce, par liaison vidéo, son discours lors de la réunion de la coopération sino-africaine (Focac) organisée à Dakar, le 29 novembre 2021. © SEYLLOU/AFP

Le président chinois Xi Jinping prononce, par liaison vidéo, son discours lors de la réunion de la coopération sino-africaine (Focac) organisée à Dakar, le 29 novembre 2021. © SEYLLOU/AFP

CORA
  • Collectif pour le renouveau africain
    Collectif de chercheurs et d’universitaires africains basés en Afrique et dans la diaspora. Cora vise à promouvoir une réflexion et des pratiques africaines innovantes, afin de relever les défis qui se présentent au continent.

Publié le 29 novembre 2021 Lecture : 5 minutes.

C’est une réalité incontestable : les relations sino-africaines ont connu un regain de dynamisme et se sont fortement densifiées au cours des deux dernières décennies. Ainsi, la Chine est désormais le premier partenaire commercial du continent, son quatrième pourvoyeur d’investissements (selon le rapport 2021 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, CNUCED), et son premier pourvoyeur de financements dans le domaine des infrastructures. Mais, loin de se limiter à la sphère économique et commerciale, la coopération entre la Chine et ses partenaires africains s’étend aux domaines de la culture et de l’enseignement supérieur, notamment, et Pékin apparaît de plus en plus comme un acteur militaire sur le continent.

Concurrence  déloyale

Bien que la Chine soit devenue un partenaire de choix pour l’Afrique – ce qui a permis à cette dernière de diversifier ses partenaires économiques –, leurs relations officielles restent encore fortement asymétriques et ne tiennent pas suffisamment compte des sociétés civiles et encore moins des opinions publiques africaines. Afin de rendre ces relations plus équitables et donc plus profitables à nos États, nous formulons quatre recommandations : un rééquilibrage de la balance commerciale ; une participation à l’audit de la dette africaine envers la Chine ; un meilleur mécanisme de suivi des négociations, notamment dans le domaine des infrastructures ; et une meilleure intégration des problématiques environnementales.

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L’Afrique pâtit encore d’une balance commerciale très déficitaire. Cela s’explique par des facteurs qui ne sont pas spécifiques à sa relation avec la Chine : les pays africains exportent largement des matières premières aux cours volatils, ce qui les expose à des chocs externes. De même, comme dans le cadre de ses échanges commerciaux avec ses partenaires traditionnels, l’Afrique importe essentiellement des produits manufacturés alors qu’à l’inverse l’accès au marché chinois reste très restreint pour les produits africains qui sont soumis à de fortes barrières douanières, malgré la mise en place de tarifs préférentiels sur certaines lignes de produits.

Le manque de transparence autour de la dette, de la part des dirigeants africains et de leurs homologues chinois, ne permet pas une concertation efficace

Dans un contexte de crise économique liée à la pandémie du Covid-19 – qui affecte particulièrement les économies africaines –, il est  primordial que le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) 2021 soit l’occasion de remettre sur la table ces asymétries structurelles afin de garantir une meilleure pénétration des produits africains sur le marché chinois. Une meilleure protection des commerçants africains, premières victimes économiques de la pandémie, est également souhaitable, en particulier les femmes, qui subissent souvent une concurrence rude et déloyale de la part des marchands chinois sur les marchés africains, notamment dans le secteur du textile.

Annulation de la dette

La Chine est le premier créancier bilatéral du continent. La ventilation de ses créances est loin d’être uniforme. Pourtant, avec la crise économique induite par la pandémie, le risque de surendettement pourrait augmenter si les gouvernements africains ne trouvent pas les moyens appropriés d’accroître durablement leurs capacités de dépense. Le manque de transparence autour de la dette, tant de la part des dirigeants africains que de leurs homologues chinois, ne permet pas une concertation renforcée et efficace, pas plus qu’il n’autorise la contribution de la société civile au débat alors qu’elle pourrait se révéler constructive.

Il est également nécessaire de prendre en compte les voix et les perceptions des populations africaines sur la dette, ses conditionnalités et ses modalités de remboursement. Une récente enquête de l’institut Afrobaromètre menée auprès de populations de 34 pays africains entre 2019 et 2021 a révélé que moins de la moitié des populations sondées étaient informées de l’existence de la dette de leur pays auprès de la Chine. Le Focac de Dakar devra être l’occasion de militer pour un report, voire pour une annulation au moins partielle de la dette, y compris de la dette commerciale. De telles mesures pourraient contribuer à la relance des économies africaines.

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Transfert de technologies

En matière d’infrastructures, par exemple, les négociations Afrique-Chine sont souvent conduites dans un cadre informel. Les accords sont ainsi préalablement signés par le biais d’instruments de « soft law », notamment des protocoles d’entente. Cette pratique tout comme le manque de coordination et l’absence de mécanismes de suivi adaptés ont un effet délétère sur l’exécution des travaux, principalement en ce qui concerne l’application des normes et des régulations nationales et internationales de construction, du travail et du respect de l’environnement.

Par ailleurs, faire accompagner les contrats d’exploitation d’une exigence de transfert de technologie et d’expertise doit être une approche systématique qui aura pour but de créer davantage d’emplois en Afrique. Les organisations de la société civile peuvent contribuer ici aussi à fournir de manière systématique aux États des outils pour inscrire les négociations Afrique-Chine dans un cadre juridique adéquat. La constitution d’un groupe de travail sur la rédaction de modèles contractualisés standardisés utilisables par les États et préalablement discutées par les différentes parties concernées pourrait fournir aux gouvernements des ressources très utiles. Une meilleure coordination et des échanges plus institutionnalisés sur les pratiques de négociation avec la Chine pourraient également faire partie des missions de ce groupe de travail à l’échelle continentale (Union africaine).

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Coopération « gagnant-gagnant »

Comme récemment au Ghana et en Sierra Leone, plusieurs activistes environnementaux ont émis des alertes au sujet des répercussions de ces projets sur la préservation des écosystèmes africains. L’adoption prévue d’une déclaration sino-africaine relative au changement climatique est à saluer. Mais, pour que son exécution soit effective, un mécanisme de dialogue et de concertation systématique avec les organisations de la société civile serait davantage bénéfique aux gouvernements et aux populations africaines.

Le Focac 2021 sera l’occasion de faire le bilan de la coopération sino-africaine. La mise en place d’un observatoire de la société civile africaine et d’un mécanisme de dialogue et de concertation multi-acteurs associant à la fois les syndicats, les associations environnementales, les syndicats de travailleurs, les syndicats de commerçants et les think tanks, permettrait de contribuer à la bonne poursuite des relations Afrique-Chine mais aussi de mettre en œuvre une coopération qui soit davantage « gagnant-gagnant » pour l’Afrique.

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