Au Maghreb, le Maroc mène la danse

Publié le 9 mai 2007 Lecture : 5 minutes.

Tout a commencé fin 2005 ou début 2006. La date n’est pas bien claire mais le résultat est là : depuis un an et demi, deux banques marocaines, BMCE Bank et Attijariwafa Bank, ont décidé de faire de l’Afrique leur nouveau terrain d’expansion, multipliant les annonces et les acquisitions. En deux ans, l’une a créé une filiale en Tunisie et une à Londres, et annoncé le rachat prochain de l’un des tout premiers groupes bancaires d’Afrique subsaharienne. L’autre a mis la main sur une banque tunisienne, racheté une banque sénégalaise et annoncé le déploiement d’une stratégie offensive sur le continent européen. Comment ces banques marocaines parviennent-elles ainsi à s’imposer, chez elles comme à l’étranger ? Pourquoi leurs voisines maghrébines n’y arrivent-elles pas ? « Quelques restructurations ont eu lieu vers la fin des années 1990, mais le mouvement d’assainissement majeur du secteur bancaire marocain a eu lieu après 2000 avec une accélération à partir de 2004 », souligne Sonia Trabelsi, directrice associée au sein de l’agence de notation Fitch North Africa. Le même processus vient de commencer en Tunisie (voir p. 94) tandis qu’il est à peine entamé en Algérie.
Conséquence, les banques marocaines ont un modèle à exporter et ne se privent pas de le faire. La BMCE Bank fera ainsi son entrée dans les prochains mois au capital du groupe Bank of Africa (BOA), d’origine ouest-africaine et aujourd’hui implanté dans huit pays d’Afrique subsaharienne. Un acteur majeur – l’un des plus grands d’Afrique de l’Ouest – dont le total de bilan atteint les 1,3 milliard d’euros. Ce coup de maître sera utile aux deux parties : BMCE, qui était déjà implantée à Dakar, au Sénégal, souhaitait se tourner vers le sud du Sahara, tandis que BOA cherchait depuis longtemps un appui capitalistique et stratégique fort, qu’elle pensait avoir trouvé avec la Belgolaise, avant que celle-ci ne soit liquidée par son actionnaire néerlandais, Fortis. En 2006, BMCE était déjà sur tous les fronts, préparant notamment le lancement de sa filiale britannique, baptisée Medicapital Bank, spécialisée dans la banque d’affaires et qui compte, parmi ses administrateurs, Peter Cooke, le « créateur » du ratio du même nom. Institué en 1988 à l’échelon européen, le ratio de Cooke mesure la capacité d’une banque à tenir ses engagements (rapport des crédits aux fonds propres). Medicapital Bank est ensuite entrée au capital du groupe tunisien Axis, spécialisé dans le conseil financier et l’intermédiation boursière, avant de lancer en juin 2006 le groupe financier Axis Capital. La filiale londonienne de BMCE Bank est également le premier actionnaire privé (avec 20 % du capital) de la Banque de développement du Mali, le plus important établissement du pays, et elle contrôle La Congolaise de Banque (25 % du capital).
L’autre géant marocain, Attijariwafa Bank, n’est pas en reste. Après avoir pris le contrôle en 2005 de la Banque du Sud tunisienne – aidée en cela par l’espagnol Banco Santánder -, Attijariwafa a annoncé début 2007 son entrée au capital de la Banque sénégalo-tunisienne, la BST, à hauteur de 66,7 %. Son installation au Sénégal ne datait pourtant que de quelques mois. Elle regarde aujourd’hui, comme nous le confirme Boubker Jai, son directeur général (lire l’entretien), d’autres opportunités dans la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Parmi celles-ci, selon nos informations, la BIA Niger. En Europe, les leaders marocains accentuent également leurs efforts. Attijariwafa Bank Europe, installée à Paris, mène l’offensive. Elle compte déjà 19 agences dans les grandes villes françaises pour 140 000 clients annoncés et entend créer des filiales en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne et en Suisse Face à elle, BMCE Bank compte moins de dix agences en France mais mise beaucoup sur l’activité banque d’affaires, comme le montre l’ouverture de sa filiale spécialisée à Londres.
Derrière cette offensive, deux grands enjeux : celui des transferts d’argent entre l’Europe et l’Afrique opérés par les Africains résidant à l’étranger et celui des flux d’affaires entre les deux continents. Sur les échanges avec le Maroc et en s’appuyant sur ses nouvelles implantations en Tunisie et au Sénégal, Attijariwafa Bank aimerait bien damer le pion au leader historique, le Groupe Banques populaires. Celui-ci détient plus de la moitié des dépôts des résidents à l’étranger, et sa vitalité témoigne qu’en matière de banque le dynamisme marocain est général, même de la part d’un conglomérat public (voir infographie). BMCE, pour sa part, mise plutôt sur la captation des flux d’affaires engendrés par les grands contrats d’équipements ou d’infrastructures, ou encore par les privatisations. L’existence de ses banques d’affaires en Tunisie, au Sénégal, à Londres et bientôt à Libreville est là pour témoigner que cette stratégie lui profite.
Par rapport à leurs consurs du Maghreb, les marocaines ont, là aussi, plus d’un coup d’avance. « Les banques tunisiennes sont aujourd’hui dans une phase de restructuration nécessaire à la rationalisation de leur activité et à leur développement. Ce n’est qu’après cette étape fondamentale qu’elles pourront s’internationaliser, souligne Mohamed Ali Mabrouk, l’un des hommes les plus en vue dans le secteur bancaire tunisien, puisque son groupe familial est présent au capital de Attijari Bank (ex-Banque du Sud) et est actionnaire majoritaire de la BIAT. Les banques marocaines ont eu la chance de procéder à cette mise à niveau plus tôt. Elles ont également bénéficié de regroupements dans le secteur, ce qui a amené les résultats positifs que nous voyons aujourd’hui. » Sonia Trabelsi, de Fitch North Africa, poursuit : « L’ambition des banques tunisiennes est d’investir en Libye et en Algérie, et, dans ce domaine, la BIAT est la plus avancée. À ce stade, elles n’ont pas l’ambition d’aller plus loin, contrairement à certaines grandes banques marocaines. » L’apurement des comptes les a obligées à inscrire d’importantes provisions à leurs comptes, avec pour conséquence une rentabilité particulièrement faible. Le ratio bénéfice net-capitaux propres (ou ROE, Return On Equity) permet de la mesurer. Au premier semestre de l’année 2006, il s’établit entre 2 % et 4 % pour les principales banques tunisiennes (l’idéal théorique est 15 %). Deux banques privatisées, la Banque du Sud et l’UIB, affichent même des résultats nuls ! Les établissements marocains, à l’inverse, atteignent des sommets, avec un rapport bénéfice net-capitaux propres proches de 10 %. En 2006, Attijariwafa Bank a fait progresser de 19,9 % son produit net bancaire (PNB, l’équivalent du chiffre d’affaires pour les entreprises). Le bénéfice net du Groupe Banques populaires s’est envolé de 35,7 % au cours de la même année. Enfin, le PNB de BMCE Bank a progressé de 16,3 %, et son résultat net de 23,2 %. Les banques marocaines disposent donc, c’est maintenant confirmé, des moyens de financer une internationalisation devenue hautement stratégique.

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