Après Biya, Biya ?

Au-delà des législatives de juillet, l’hypothèse d’une candidature du chef de l’État à l’élection présidentielle de 2011 n’est plus tout à fait un sujet tabou. Enquête.

Publié le 7 mai 2007 Lecture : 10 minutes.

Le titre est abscons, l’éditeur local, mais le livre s’arrache. Icône d’une opposition camerounaise en panne sèche de figure de proue, le cardinal archevêque de Douala vient de publier mi-avril ses mémoires de vieux lutteur : quarante années de sacerdoce et de militantisme, de tracts et de goupillon*. Celui qui signe simplement « Christian Tumi, prêtre » y compare longuement les deux régimes successifs d’Ahmadou Ahidjo et de Paul Biya, qu’il a eu à combattre. Diagnostic sans appel : aucune différence, si ce n’est tout de même la liberté d’expression. C’est dit en passant et l’on imagine que pour ce prélat très politique, à mi-chemin entre Richelieu et Helder Camara, la concession obligée a dû être rude. Aussi l’hôte du palais présidentiel d’Étoudi ne lui tient-il pas rigueur d’avoir omis de mentionner le multipartisme et l’organisation d’élections pluralistes dont le degré d’opacité baisse régulièrement au fil des scrutins : Biya sait que tant qu’il sera au pouvoir le sermon de Mgr Tumi ne s’achèvera pas.
En attendant l’Ite missa est, le Cameroun, dont la vie politique frise souvent l’encéphalogramme plat, s’ébroue enfin, avec en perspective une batterie d’élections et en ligne de mire la présidentielle de 2011. C’est au ministre d’État chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, homme du Nord, grand baron de Garoua et expert en dosages millimétrés, que revient la lourde tâche de réussir la première étape : les législatives et communales groupées du 22 juillet prochain. Pour la première fois, c’est sur la base d’un fichier électoral entièrement informatisé et partiellement disponible sur Internet, d’où les doubles inscriptions seront enfin bannies, que sera organisé le scrutin.
En dépit des inévitables ratés et des prévisibles protestations qu’entraîne ce genre d’exercice, le progrès sur la voie de la transparence est notable. D’autant que, pour l’essentiel, le financement de cette élection – évalué à 15 millions de dollars, dont la moitié pour l’informatisation des listes – sera assuré sur fonds propres. Marafa Hamidou Yaya a en effet décidé de se passer des offres de service, passablement inopérantes, de partenaires occidentaux aussi soucieux de bonne gouvernance que frappés de pingrerie dès qu’il s’agit de mettre la main au portefeuille. Le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) a ainsi proposé un devis exorbitant (12 millions de dollars, 60 % à la charge du Cameroun) rien que pour l’informatisation. La Grande-Bretagne s’est dit prête à offrir des urnes transparentes, mais seulement la moitié de ce qui est nécessaire et sans en assurer le transport depuis leur lieu de fabrication. Quant aux Américains, les quelque 200 000 dollars mis sur la table par leur ambassade auraient exclusivement été consacrés au défraiement des experts qu’ils se proposaient d’envoyer. Le tout, évidemment, assorti de conditions, de contrôles, de rapports et de garanties propres à hérisser le nationalisme à fleur de peau des Camerounais. « Tous les observateurs étrangers qui en feront la demande seront accrédités, assure à J.A. le ministre d’État, mais c’est nous et nous seuls qui serons responsables de nos élections ».
La décision prise par Paul Biya de convoquer le corps électoral pour le 22 juillet n’a pas été aussi facile qu’on le croit – après tout, il ne s’agit là que de respecter les échéances constitutionnelles. L’opposition, mais aussi certains cercles du pouvoir peu désireux d’affronter un scrutin transparent susceptible de déboucher sur un nouveau tour de manège, ont jusqu’au bout exercé de vives pressions afin d’obtenir son report sine die. Leitmotiv des opposants : ni l’Onel, organisme chargé de superviser les élections, ni a fortiori le ministère de l’Administration territoriale dont la tâche est de les organiser, ne sont indépendants. Cette mission doit revenir à Elecam (Elections Cameroon), nouvelle structure paritaire dont le décret de formation a été signé par le chef de l’État en décembre 2006. L’argument est fondé, mais il est irréaliste : afin que les milliers d’agents dont a besoin Elecam pour fonctionner soient recrutés et formés, il faut attendre encore au minimum un an et demi. Quid du respect des échéances ? « Je sais bien », soupire le politologue Luc Sindjoun, conseiller au palais d’Étoudi et proche collaborateur du très fidèle et très habile secrétaire général de la présidence Laurent Esso, « je sais bien que la plupart des acteurs politiques africains ignorent superbement les Constitutions, mais tout de même »
Autre argument en faveur du report : le taux d’inscription sur les listes électorales serait trop bas. Cinq millions d’inscrits à la mi-avril, pour un corps électoral estimé à huit millions de Camerounais âgés de plus de 20 ans. Là encore, la remarque est juste, mais est-elle rédhibitoire ? Outre le fait que ce taux croît d’élection en élection, il convient de noter que le Cameroun est à cet égard l’inverse du Mali – où le pourcentage record d’inscrits n’induit pas, c’est le moins que l’on puisse dire, une participation élevée aux scrutins. Les Camerounais ont toujours fréquenté les urnes avec plus d’assiduité que la plupart de leurs cousins d’Afrique de l’Ouest. Trancher entre ces deux déficits est donc un exercice aléatoire, d’autant qu’à moins d’attendre que le taux d’inscrits pour organiser une élection soit jugé satisfaisant (par qui ?), il est impossible de retarder indéfiniment le renouvellement de l’Assemblée nationale.
Biya a donc tenu bon, en dépit des campagnes parfois très rudes lancées contre son « Minat » Marafa Hamidou Yaya, ministre de l’Administration territoriale. Au risque de la transparence, son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), détenteur de 149 des 180 sièges de députés, n’encourt il est vrai qu’un surcroît de crédibilité. Pour le reste, sa victoire est assurée tant l’opposition est atone et tant le débat démocratique semble se résumer aux querelles, parfois féroces, qui agitent cette formation omniprésente et dominante, à l’image de l’ANC sud-?africain. En témoigne l’atmosphère électrique dans laquelle s’est achevé, fin avril, le processus de renouvellement des organes de base du RDPC. Un exercice important dans la mesure où ce sont précisément ces élus qui, le moment venu, devront choisir le président national du parti, son candidat naturel à la présidentielle de 2011. À travers toute la partie méridionale du pays, les empoignades ont été sans concessions, y compris à Mvomekaa, le fief natal de Paul Biya, où le frère cadet du chef de l’État l’a emporté après avoir ferraillé contre le neveu de ce dernier. Mais aussi à Douala, où l’indestructible Françoise Foning s’est imposée de haute lutte contre le maire du 1er arrondissement après avoir été donnée pour morte, dans tous les sens du terme.
Afin de mettre un peu d’ordre à l’intérieur d’une formation aux réflexes bien ancrés de parti-État, Paul Biya a procédé début avril à l’un de ces tours de poker politique dont il a le secret. Exit Joseph-Charles Doumba, inamovible secrétaire général depuis quinze ans, et bonjour René-Emmanuel Sadi, auquel nul ne s’attendait. Ce haut fonctionnaire de 59 ans, originaire du petit département du Mbam et diplomate de formation, a fait l’essentiel de sa carrière au sein de la présidence, dont il a gravi un à un les échelons avant d’être nommé, fin 2004, secrétaire général adjoint. Discret et réputé intègre, ce grand commis de l’État est donc aujourd’hui le numéro deux du RDPC après Biya. Il n’en fallait pas plus pour que les parieurs inscrivent le nom de cet outsider sur leur carnet de pronostics, en 2011
Mais y aura-t-il un avant et un après-octobre 2011 ? Autrement dit, après les législatives et la formation probable d’ici à la fin de cette année d’un nouveau gouvernement, puis la tenue de scrutins régionaux et sénatoriaux vraisemblablement en 2009, s’orientera-t-on vers une présidentielle sans Paul Biya ? Le chef de l’État, qui aura alors 78 ans, en sera à sa vingt-neuvième année au pouvoir et, aux termes de la Constitution révisée de 1996, il devra dès lors s’effacer, ses deux septennats successifs étant achevés. Mais ce qui était impensable alors est désormais sujet à débat, sans que le principal intéressé ne se soit jamais exprimé à ce sujet. Et si la Constitution était à nouveau modifiée par voie parlementaire, pour permettre au candidat Biya de se présenter une sixième fois ?
Publiquement souhaitée par certains de ses proches, barons du parti au pouvoir, tels Grégoire Owona et Françoise Foning, cette perspective n’est plus tout à fait sans objet. Elle est même, pourquoi pas, envisageable aux yeux d’une bonne partie de l’opinion camerounaise à une seule condition : qu’à la stabilité politique dont chacun s’accorde à créditer l’hôte d’Étoudi s’ajoute un véritable redémarrage économique qui se traduise, au cours des quatre années à venir, par une augmentation palpable du niveau de vie des quelque dix-sept millions de Camerounais. « Si Biya parvient à cet objectif avec l’aide d’un gouvernement de combat économique dont ce devra être l’unique obsession, je ne vois pas ce qui pourrait s’opposer à sa reconduction, confie un diplomate européen à Yaoundé, mais si les résultats ne sont pas au rendez-vous ce sera le saut dans l’inconnu. »
Un an après l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), force est de reconnaître que le chemin d’une vraie croissance n’est pas encore tout à fait dessiné. Ce ne sont pourtant pas les signes positifs qui manquent. L’annulation massive de dettes bi- et multilatérales a ainsi permis l’adoption de mesures sociales appréciables comme la gratuité des antirétroviraux, la baisse des prix du poisson, du riz, du sel et du maïs, le recrutement de quelque treize mille instituteurs vacataires et de deux mille personnels médico-sanitaires, le lancement de grands travaux routiers et portuaires, etc. Les investisseurs (américains dans le pétrole, chinois dans le BTP, français dans la distribution) reviennent, encouragés par la nouvelle notation risque Standard & Poor, qui a fait passer le Cameroun de « C » à « B ».
Enfin, la lutte contre la grande corruption engagée en 2005 et qui s’est déjà soldée par l’inculpation, voire l’incarcération, de plusieurs figures connues du paysage politico-affairiste du pays, devrait se poursuivre. Vice-Premier ministre et garde des Sceaux depuis six ans – un record au Cameroun -, Amadou Ali est aujourd’hui l’homme qui fait trembler les ripoux : « Ceux d’entre eux qui prétendent avoir de quoi faire tomber la République et tenir la justice en seront pour leurs frais », assure-t-il dans son bureau ministériel de Yaoundé. « Nous continuerons à les pourchasser. Le chef de l’État est plus que jamais déterminé. » Reste qu’aux yeux d’une opinion avide de spectacle et acquise à l’idée du « tous pourris » ces affaires ne sont que la pointe émergée d’un iceberg d’enrichissements illicites. Reste aussi que les prévisions de croissance (4,3 % en 2007) sont encore en deçà des 7 % à 8 % indispensables pour entamer une réduction sensible de la pauvreté de masse.
L’inconnue majeure du scénario « Biya 2011 » demeure néanmoins l’attitude et le projet du chef de l’État lui-même. Beaucoup plus difficile à imaginer que de prévoir qui, de Cotonsport Garoua, de Mount Cameroon ou de Tonnerre de Yaoundé, remportera le championnat de football. Nul, parmi les proches de Paul Biya, ne peut aujourd’hui se prévaloir d’une confidence de l’intéressé dans un sens ou dans un autre. Tout juste relève-t-on que le président laisse faire ceux qui se mobilisent pour que sa candidature soit possible, qu’il reste actif et apparemment en bonne santé, et que le domicile qu’il se fait construire à deux pas du palais d’Étoudi est presque achevé.
Autant de signes qui peuvent s’interpréter de façon contradictoire. Certes, la vox populi, quelques précédents régionaux et l’atavisme prêté aux chefs africains voudraient qu’en bonne logique Paul Biya soit à la recherche des voies et moyens de s’éterniser au pouvoir. Mais est-ce si sûr ? Contrairement à certains de ses voisins, cet homme discret et remarquablement informé, attentif au moindre détail et inquiet du moindre tressaillement d’un pays qu’il ausculte en permanence à la manière d’un sismographe, a toujours su conjuguer une technique éprouvée de conservation du pouvoir avec un détachement assimilé – à tort – à une forme de désintérêt. Le fait qu’il ne préside jamais les Conseils des ministres et ses absences récurrentes – qui agacent tant ses pairs – aux sommets régionaux et panafricains viennent aussi de là. Biya n’est pas un « drogué » du pouvoir, qu’il exerce à distance et à l’économie, et dont il a, à plusieurs reprises, donné des signes de lassitude. Mais il reste aujourd’hui encore convaincu que sa présence au sommet est indispensable à la stabilité du Cameroun. Sera-t-il dans le même état d’esprit, lorsqu’il lui faudra décider – ou non – de se représenter ? Il reste quatre ans pour cela, et en quatre ans beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts de Wouri. Mais une chose est sûre : l’hypothèse n’est plus un sujet tabou.

* Les Deux Régimes politiques d’Ahmadou Ahidjo et Paul Biya, par Christian Tumi, prêtre, Ed. Macacos, Douala, 4000 F CFA.

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