Une terre d’élection pour les proxénètes

Violence ordinaire et détresse économique font des femmes et des enfants des proies faciles pour les trafiquants sexuels.

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

«Baartman était exhibée nue comme un animal en cage dansant pour son gardien. » C’est en rappelant l’histoire de Saartjie Baartman, la célèbre Vénus hottentote qu’un chirurgien anglais, lui promettant fortune et liberté, a fait venir d’Afrique du Sud à Londres en 1810, que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) introduit son rapport sur l’exploitation sexuelle de femmes et d’enfants en Afrique australe.
Rendue publique à Pretoria, le 24 mars, l’enquête de cette organisation basée à Genève lève le voile sur un trafic dont l’Afrique du Sud est l’épicentre. Entre août 2002 et février 2003, les enquêteurs ont réalisé plus de deux cents interviews, rencontré des victimes et des souteneurs dans toute la région. Conclusion : « L’Afrique australe accueille une grande variété d’activités de trafic d’êtres humains, des opérations internationales des triades chinoises au commerce transfrontalier de personnes aux mains de syndicats locaux du crime, en passant par la mafia russe qui sévit aussi dans la région. »
Violence ordinaire et détresse économique font des jeunes femmes des proies faciles pour tous les trafiquants. En 2003, l’histoire racontée par de nombreuses victimes n’est pas très différente de celle de Saartjie Baartman, finissant dans la misère des bordels parisiens deux siècles plus tôt.
En Afrique du Sud, les réfugiés venant des pays voisins sont à la fois les victimes et les organisateurs de l’exploitation sexuelle. Des réfugiés hommes font venir des femmes de leur région d’origine. Elles ont entre 25 ans et 44 ans, sont mariées et ont des enfants. Un membre du réseau leur apporte une « lettre de recrutement », les escorte jusqu’en Afrique du Sud et les agresse sexuellement à l’arrivée, en guise d’initiation à leur futur job de prostituée. Le souteneur exige de sa victime 250 rands (environ 30 euros) par nuit et s’occupe des démarches pour lui obtenir le statut de réfugié, histoire de protéger son « investissement » du risque de rapatriement par la police sud-africaine.
La filière du Lesotho a ses caractéristiques propres. Les victimes sont des filles et des garçons traînant dans les rues de la capitale Maseru, après avoir fui leurs villages rendus invivables par la violence familiale et l’effet dévastateur du sida. Des Blancs parlant l’afrikaans les kidnappent, et, avec la complicité de la police, les font passer de l’autre côté de la frontière, en Afrique du Sud. Là, des groupes de deux à quatre personnes les violent dans une « frénésie prédatrice où se mêlent haine, humiliation et vengeance ». Il ne s’agit pas d’argent et de sexe, mais du « besoin d’humilier, de punir et d’exploiter ». Les enfants sont ensuite abandonnés et doivent repartir, seuls, à Maseru.
Au Mozambique, au moins 1 000 jeunes femmes de 14 ans à 24 ans sont transportées chaque année chez le grand voisin sud-africain, où on leur promet monts et merveilles. Le commerce est tenu par des femmes mozambicaines en relation avec des trafiquants sud-africains. En guise de merveilles, les victimes, qui s’attendaient à travailler dans des restaurants, sont vendues à des particuliers ou comme « épouses » à des employés des mines pour 850 rands (environ 100 euros). Le chiffre d’affaires annuel des proxénètes s’élèverait, selon l’OIM, à près de 1 million de rands (plus de 100 000 euros).
Typologie plus variée au Malawi. Au trafic transfrontalier contrôlé par des « maquerelles » malawites s’ajoutent les méfaits des touristes sexuels originaires d’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, qui ramènent des enfants en Europe et les font figurer sur des vidéos pornographiques circulant dans les réseaux pédophiles. On retrouve aussi la patte des professionnels nigérians dans le trafic de jeunes femmes malawites et zambiennes en direction d’Amsterdam, de Francfort, de Londres et de Bruxelles, via Johannesburg.
L’enquête ne fait pas l’impasse sur les activités des mafias thaïlandaise, chinoise, russe et bulgare en Afrique du Sud. De jeunes villageoises thaïlandaises et des prostituées vieillissantes de Bangkok atterrissent à Johannesburg, via Hong Kong, Kuala Lumpur ou Singapour. Elles doivent payer 60 000 rands (7 000 euros) pour conquérir leur liberté. Les proxénètes chinois exigent quant à eux 100 000 rands (11 000 euros). Pour les filles d’Europe de l’Est, la dette est fixée à 2 000 dollars mensuels (même montant en euros) à payer pendant six mois.
En 2002, sur la demande de Nelson Mandela, les restes de la Vénus hottentote ont été rendus par le musée de l’Homme de Paris à sa terre natale, où elle repose enfin en paix. L’OIM recommande aux autorités d’Afrique australe de criminaliser l’exploitation sexuelle et d’échanger leurs informations pour contrer les trafiquants. Afin que des milliers de jeunes femmes et enfants retrouvent aussi la paix.

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