Sur le tapis vert de Sun City

Les acteurs de la crise qui déchire le pays depuis plus de quatre ans ont fini par se mettre d’accord. Une bonne fois pour toutes ?

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Sun City, ses hôtels de luxe, ses bandits manchots… C’est dans ce Las Vegas sud-africain, situé entre Pretoria et la frontière botswanaise, que s’est joué le 2 avril l’épilogue du Dialogue intercongolais. Les différents protagonistes ont signé le document final. En présence du président sud-africain Thabo Mbeki et de ses homologues du Zimbabwe, du Botswana, de Namibie. Mais le numéro un congolais Joseph Kabila était, lui, absent, ainsi que le chef de file du Mouvement de libération du Congo (MLC) Jean-Pierre Bemba. Cette énième rencontre entre les protagonistes de la crise qui déchire l’ex-Zaïre depuis plus de quatre ans sera-t-elle la bonne ? Les Congolais aimeraient y croire… Ketumile Masire aussi. Nommé facilitateur des négociations entre les diverses forces politiques qui se partagent le pays, l’ancien président botswanais semble fatigué de la tâche qui lui a été confiée. Aspirant à une retraite bien méritée, l’ex-chef d’État a tout fait pour aller au bout de sa mission. « Vous êtes en train d’écrire l’Histoire », a-t-il déclaré aux 362 délégués qui ont adopté par acclamation le 1er avril la nouvelle Constitution. Ce texte fondamental, que Joseph Kabila est censé proclamer dès le 6 avril, donne, en principe, le coup d’envoi d’une période de transition politique de vingt-quatre mois. À l’issue de laquelle des élections libres et indépendantes doivent conduire les Congolais à choisir leurs dirigeants. C’est en tout cas ce qui est prévu « sur le papier ».
Les protagonistes de la crise ont tant de fois fait machine arrière que le processus de pacification, initié dans les tout premiers mois du conflit, s’est transformé en un pathétique feuilleton. Mauvaise foi des uns, surenchère des autres, les divergences entre les rebelles et le gouvernement ont rapidement tourné au désavantage de l’opposition non armée et de la société civile, qui ont eu bien du mal à se faire entendre. Car c’est essentiellement entre les délégués du gouvernement, ceux du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et ceux du MLC, que s’est jouée la partie de poker de Sun City. À coups de bluff et d’atouts surprise, les palabres sur l’attribution des postes clés au sein des institutions de transition ont animé les négociations menées en coulisses jusqu’au bout.
Si la répartition arithmétique des postes entre les différentes composantes du Dialogue intercongolais a donné lieu à des affrontements homériques, le choix des personnalités appelées à occuper ces postes n’a pas été moins animé. Ainsi de la désignation des quatre vice-présidences. Dans le camp gouvernemental, la décision revient in fine au président Joseph Kabila. Idem au MLC, ou la forte personnalité de Jean-Pierre Bemba découragerait toute velléité de concurrence. Au sein de l’opposition non armée, en revanche, la lutte entre les différents partis pour imposer leur champion a donné lieu à d’intenses campagnes de lobbying. Avec, en lice, deux favoris : Étienne Tshisekedi, chef de file incontesté de l’UDPS et opposant historique aux régimes de Mobutu puis de Kabila, et Arthur Zahidi Ngoma, outsider ayant fait un crochet par la rébellion avant de retourner à la vie civile. Débat houleux au sein du RCD également, où le secrétaire général du mouvement, Azarias Ruberwa, et son président, Adolphe Onosumba, se sont, l’un et l’autre, déclarés candidats.
Au-delà de la distribution des postes, la difficulté qu’éprouvent les protagonistes à trouver un terrain d’entente sur la restructuration et le commandement des forces armées laisse augurer encore bien des vicissitudes. Et même la répartition des multiples portefeuilles entre les diverses composantes selon les termes de l’accord signé à Pretoria le 17 décembre dernier (voir J.A.I. n° 2189), ne sera pas chose aisée. D’autant qu’aux multiples critères de sélection pris en compte par les états-majors politiques s’est ajouté celui énoncé par l’ONU le 20 mars dernier. Les Nations unies ont demandé « aux parties congolaises de tenir compte, lorsqu’elles choisiront les candidats aux postes clés dans le gouvernement de transition, de leur détermination ainsi que de leurs actions passées en ce qui concerne le respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme ». Une requête qui, prise au pied de la lettre, aurait pu éliminer certaines personnalités de la classe politique congolaise.
Mais si la transition s’avère laborieuse, c’est autant pour le choix des hommes que pour les prérogatives qu’ils auront à exercer une fois en poste. Avec une pléthore de portefeuilles aux attributions parfois proches, souvent concurrentielles, le consensus affiché le temps d’une cérémonie solennelle par les acteurs de la crise congolaise risque à tout instant de tourner au pugilat permanent. L’adoption du bout des lèvres de l’accord par certains d’entre eux est d’ailleurs annonciatrice de Conseils des ministres pour le moins houleux. D’ailleurs, l’absence de Joseph Kabila à la séance de clôture nourrit de sérieux doutes sur l’enthousiasme du chef de l’État pour les nouvelles institutions. Visiblement peu porté à faire le voyage de Sun City, Paul Kagamé a décliné l’invitation, expliquant qu’elle lui était parvenue trop tardivement. Mais les deux chefs d’État, ainsi que leur homologue ougandais Yoweri Museveni doivent se retrouver tous les trois au Cap le 9 avril, à la demande pressante de Mbeki.
« La conclusion du Dialogue est surtout un succès pour le président Mbeki, et un soulagement pour l’ONU, estime Bernard, un représentant de la société civile, à l’issue de la cérémonie de clôture. Pour ce qui est de son impact, il va encore falloir que les Congolais patientent longtemps avant d’en toucher les dividendes. » En attendant d’hypothétiques élections, les délégués congolais – toutes tendances confondues – ont poursuivi leurs retrouvailles jusque dans la salle des spectacles du Royal Ballroom, où se produisait Werrason, leader du groupe Wenge Musica Maison Mere, point final des retrouvailles en terre sud-africaine. Avant de tenter un dernier jackpot tard dans la nuit, sur l’un des innombrables tapis verts de Sun City.

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