Guinée : le testament de M’mah Sylla, victime de violences sexuelles
Impunité et mauvaise gouvernance : telles sont les causes de la tragédie qui a frappé la jeune Guinéenne de 25 ans, décédée après plusieurs viols le 20 novembre dernier. Oser se dresser collectivement contre ces fléaux est le seul moyen d’honorer sa mémoire.
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Malado Kaba
Ancienne ministre guinéenne de l’Économie et des Finances (2016-2018), PCA d’Orabank Guinée. Membre de la cohorte inaugurale de l’Initiative Amujae, programme phare du Centre présidentiel Ellen Johnson Sirleaf pour les femmes et le développement.
Publié le 1 décembre 2021 Lecture : 4 minutes.
Nous refusons toujours de nous rendre à l’évidence. Nous continuons à faire semblant. Nous persistons à croire que les problèmes vont se régler d’eux-mêmes, comme par miracle. Pis, nous paraissons avoir abandonné notre sort entre les mains d’un messie – que je plains grandement –, pensant naïvement, et peut-être cyniquement, qu’il surgira bien de quelque part pour régler tous nos problèmes. N’est-ce pas là, précisément, la recette la plus aboutie de l’échec ?
Tous coupables
Pourquoi nous entêtons-nous à croire qu’une personne seule trouvera la solution pour les 12 à 13 millions de Guinéens que nous sommes sans que nous ayons à jouer notre partition ? Sommes-nous à ce point anesthésiés et rendus aveugles par des décennies de laisser-faire, de pagaille, d’injustice, d’impunité et de mauvaise gouvernance ? Car, oui, pour moi, la tragédie qu’a vécue M’mah Sylla résulte de cette mauvaise gouvernance qui sévit depuis trop longtemps et qui reste largement impunie. Je la considère comme le plus grand de nos maux, le cancer de notre société. Une société si aliénée que tout ce qui est anormal ailleurs est érigé en règle chez nous et célébré comme étant l’excellence même !
L’impunité face aux violences économiques, politiques, sociales et celles basées sur le genre, dont nos populations sont victimes, a élevé le malfrat au rang de héros de tous les temps.
L’impunité et la culture des petits arrangements nous ont abêtis, rendus mesquins et médiocres
L’impunité a perverti notre système de valeurs et couvert de honte ceux d’entre nous qui ont embrassé le service public afin de servir, produire des résultats et rendre des comptes à leurs concitoyens. L’impunité et la culture des petits arrangements nous ont abêtis, rendus mesquins et médiocres. L’impunité nous a presque vidés de notre humanité ! Humanité pourtant célébrée par nos anciens dans notre belle charte du Manden. Mais à quoi sert de bomber le torse en clamant avec fierté que cette charte est l’ancêtre de la déclaration des droits de l’Homme si chaque jour, à travers nos actes et nos attitudes, nous la foulons aux pieds et la vidons de sa substance?
M’mah est morte parce que nous avons été si peu nombreux à nous dresser contre cette mauvaise gouvernance
M’mah est morte à cause de nous tous, parce que nous avons préféré nous adonner à d’autres passe-temps, plutôt que de régler les vrais problèmes qui, en réalité, ne sont pas si difficiles à résoudre. M’mah est morte parce que nous avons été si peu nombreux à nous dresser contre cette mauvaise gouvernance. Pourtant, pas besoin de kalachnikov pour mettre fin à l’impunité ! Il suffit de faire preuve de fermeté et d’équité.
Intérêts égoïstes
Pourquoi rechignons-nous tant à sévir ? Quand un cadre commet une faute, nous déployons moult efforts pour convaincre sa hiérarchie d’abandonner toutes formes de condamnation. Nous envoyons des délégations pour tenter de l’amadouer au-delà du bon sens et de l’objectivité, cela souvent sans même nous demander ou nous enquérir des actes commis, encore moins de leurs conséquences, parfois incommensurables, pour notre pays et nos populations. Tout cela parce que le « qu’en-dira-t-on », devenu l’aune ultime de la popularité et du succès, est depuis trop longtemps préférable au respect et à la dignité qu’imposent les décisions difficiles mais nécessaires, dont celle de punir. Tout cela parce que l’on préfère sacrifier le bien-être du plus grand nombre sur l’autel d’intérêts égoïstes d’une minorité d’hommes et de femmes, dont le seul but est d’entretenir la pérennité d’un système, savamment élaboré, de captation de ressources.
Mais tout cela à un prix. Un prix dont certains pensent pouvoir s’affranchir en se cloîtrant dans leurs îlots dorés au milieu d’océans de pauvreté qu’ils ont grandement contribué à créer ou aggraver. Ce prix a été payé par M’mah Sylla et par tant d’autres. Des victimes sont mortes plusieurs fois, lorsqu’on a refusé d’appliquer simplement les lois et les règles.
En brisant le silence à visage découvert, M’mah Sylla a défié ses bourreaux ainsi qu’un oppressant système qui aurait vite fait de l’anéantir.
Des victimes ont été bafouées, lorsqu’on a refusé de sanctionner les actes de corruption. Des victimes ont été lésées, lorsqu’on a laissé des hommes et des femmes phagocyter l’économie d’un pays au profit de leurs intérêts personnels et ceux de leurs familles. Voilà le lourd tribut à payer pour un pays comme le nôtre, si riche et pourtant si pauvre ! Mais M’mah nous a peut-être aussi lancé un défi extraordinaire. En acceptant courageusement de briser le silence, elle a défié ses ignobles bourreaux ainsi qu’un oppressant système qui aurait aussitôt fait de l’anéantir. M’mah nous laisse un testament et nous ordonne d’agir pour elle et pour toutes les victimes de violences. Il est désormais temps d’en finir avec cette impunité, pour que la honte change de camp.
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