Quand l’État reprend les rênes

Depuis un an, le gouvernement tente de contrôler le secteur informel et de lutter plus efficacement contre la corruption.

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

«Quarante pour cent de nos entreprises sont dans le secteur informel. » Louis Paul Motazé, directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), est bien placé pour le savoir. L’an dernier, il a, avec ses collègues du fisc, commandé une étude à des enquêteurs et des statisticiens sur l’ampleur du phénomène informel et de la corruption au Cameroun.
Depuis un an, en effet, le gouvernement lutte pour changer l’image du pays auprès des investisseurs étrangers. Les élites camerounaises ont réfléchi avec les dirigeants des deux banques centrales de la zone franc, la Banque des États de l’Afrique centrale et la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. Et décidé qu’« on ne peut pas mettre un policier derrière chaque Camerounais et un gendarme derrière chaque policier ! » Surtout qu’avec la purge imposée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (sur la réduction de la dette, la remise à niveau du pays et la réforme bancaire), les revenus des fonctionnaires ont baissé, depuis 1992, de 30 % à 70 %. La petite corruption sert alors de soupape. Exit donc la répression pure et dure marquée par l’arrestation, en 1999, pour corruption passive de l’ancien ministre des Postes et Télécommunications, Mounchipou Seydou, et de l’ex-directeur général de la CNPS, Pierre Désiré Engo. Puis, on est passé aux choses sérieuses…
Premier acte : la réforme du crédit invisible. « Depuis les années 1960, nous avions les tontines chez les francophones et un réseau religieux de microcrédit chez les anglophones, explique Jean-Claude Ebe Ezina, ancien banquier et coordonnateur de la réforme du crédit au gouvernement. En 1990-1992, nous avons libéralisé. Des coopératives se sont créées, avec d’autant plus de vigueur que nous subissions en même temps une grave crise bancaire, avec des fermetures de comptes à la pelle au profit des systèmes informels. Le microcrédit est parti dans tous les sens. Nous avons eu jusqu’à sept cents opérateurs ! » D’où une première tentative de régulation, en 1998, avec l’obligation d’enregistrement des sociétés. Mais il a fallu attendre 2002 pour arriver à un réel assainissement et à l’organisation du secteur en trois catégories : les associations sans guichet, qui ne peuvent prêter qu’à leurs membres, les coopératives urbaines et périurbaines, sortes de « minibanques », et, enfin, les ONG. Le nombre total des opérateurs a été ramené à quatre cents, tous contrôlés par l’État (surtout les deux dernières catégories, plus importantes en taille) et tous devant arriver, au bout de trois ans, à un statut formalisé, soumis à l’impôt et aux charges sociales. Entre 40 milliards et 50 milliards de F CFA (environ 60 millions à 75 millions d’euros) transitent chaque année entre leurs mains, soit 10 % de la masse monétaire.
Deuxième acte, la remise en ordre dans les grandes sociétés. De très grosses unités ayant pignon sur rue n’étaient pas enregistrées à la Chambre de commerce. Elles étaient donc inconnues (sur le papier) des services fiscaux ! La procédure fut d’une grande simplicité : pas d’enregistrement, pas de marché public. Dans le même temps, on réformait la procédure de passation desdits marchés publics, dont la régularité était contestable. « Nous regardons les avis d’attribution dans les journaux, précise Louis Paul Motazé, de la CNPS. Et si la société n’est pas dans nos propres fichiers, nous intervenons. Je suppose que nos collègues des impôts font de même. »
Les petites et moyennes entreprises (PME) sont moins concernées par les marchés d’État. Il fallait donc leur concocter un régime spécial, propre à les attirer dans les filets de l’administration. C’est chose faite avec l’article 205 bis de la loi de finances, votée le 30 décembre dernier, instaurant un impôt libératoire de faible montant, proportionnel aux revenus des catégories concernées (au nombre de quatre, du coiffeur ambulant au transporteur urbain). Argument de base : « Payez cet impôt et plus personne ne pourra vous rançonner. Cela vous reviendra moins cher que les pots-de-vin inhérents à l’informel. » Les résultats seront connus dans les prochains mois, la phase contentieuse n’ayant démarré que depuis le 1er février. Et le gouvernement met le paquet, en couvrant le pays de banderoles appelant les citoyens à faire preuve de civisme et à payer leur dû à l’État…
Les premiers résultats en matière de charges sociales sont déjà connus. Car la CNPS aussi a innové et créé des forfaits de faible montant par employé, quelques milliers de F CFA par mois, tout en réalisant une campagne nationale d’affichage sur le thème : « quand il sera vieux, qu’en ferez-vous ? ». « Au niveau des recouvrements spontanés, nous sommes passés de 3,3 milliards de F CFA à 4,1 milliards de F CFA de recette mensuelle. Soit plus que ce que nous avions auparavant en ajoutant le recouvrement contentieux ! » se réjouit Louis Paul Motazé. Le directeur général se frotte les mains, car il sait qu’il va prochainement encaisser ces recouvrements avec, cette fois-ci, l’aide du fisc. Son administration s’est en effet rapprochée physiquement de celle des impôts. Les deux ont maintenant des bureaux voisins dans tout le pays, échangent leurs fichiers et ont mis en place des dates identiques de paiement. « En fait, nous nous sommes inspirés de l’Urssaf française. Mais avec des taux de cotisation bien plus faibles… », poursuit-il.
La réforme camerounaise mêle donc incitation et contrainte. Avec beaucoup de souplesse : ainsi, l’État donne trois ans de grâce aux nouvelles entreprises avant de les soumettre à l’impôt libératoire. De même, la CNPS manie l’arme du litige avec modération : « Notre raison d’être n’est pas de faire du contentieux ! » martèle Louis Paul Motazé. Une approche qui emporte l’adhésion même des Français, d’ordinaire plus sceptiques. Ces derniers répètent à l’envi que l’informel a tué l’industrie textile du Cameroun et fait de même avec la distribution pharmaceutique. « La tentative est très pragmatique, précise Jean Mahé, le président du Comité d’affaires français au Cameroun. Cela n’a rien de farfelu. Des éléments, comme la concertation entre tous les acteurs et la prise en compte par la loi des secteurs dans leur globalité, sont réunis pour faire de grandes choses. Moi, j’y crois. » L’intégration de l’informel dans l’économie au Cameroun aura peut-être plus de chance qu’ailleurs en Afrique. Pour mémoire, l’ex-président de la République démocratique du Congo, feu Laurent-Désiré Kabila, avait également voulu enrégimenter autoritairement les petits vendeurs des marchés. Avec aussi peu de succès que son interdiction du port de la minijupe… Autre exemple, à Dakar, en 2001, les autorités ont décidé de former à la gestion les entrepreneurs oeuvrant au noir. Ils y sont toujours attelés. Au Nigeria enfin, c’est l’informel qui semble avoir imposé ses règles à l’ensemble de l’économie. C’est notamment le cas dans le secteur de l’assurance où, en cas d’accident, c’est celui qui cotise qui supporte le coût des réparations. Les autres pays subsahariens devraient donc regarder de près les résultats immédiats et à long terme de la tentative camerounaise.

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