Milan à l’heure africaine

Sur fond de guerre anglo-américaine contre l’Irak, ce festival consacré aux images du Sud a pris cette année une résonance particulière.

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

C’est dans une ville de Milan aux fenêtres et aux balcons abondamment garnis de banderoles multicolores portant le mot Pace (« Paix ») que s’est déroulée, du 24 au 30 mars, la 13e édition du Festival du cinéma africain. Créée en 1991 par le COE (Centro Orientamento Educativo), une organisation catholique tournée vers la jeunesse et le Tiers Monde, la manifestation prenait cette année, en pleine guerre contre l’Irak, une résonance particulière, et pas seulement à cause de la véhémente condamnation de cette guerre par le pape Jean-Paul II.
Le public italien qui se pressait devant les salles combles du Festival, où l’on a refusé du monde à chaque projection, semblait en effet impatient de voir de près des images directement issues de ce Sud qui croule depuis quelques années, en Occident, sous les stéréotypes et les clichés négatifs. L’autre raison du succès de la session 2003 est assurément le sérieux et la compétence des organisateurs qui ont réussi, au fil des années, à faire de Milan, dans la foulée des manifestations pionnières que sont les Journées cinématographiques de Carthage en Tunisie et le Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou au Burkina Faso, probablement la meilleure vitrine des cinémas du continent en Europe.
Déjà, la compétition officielle des longs-métrages réunissait toutes les nouveautés de la saison 2002-2003 : Rachida de l’Algérienne Yamina Bachir-Chouikh (1er prix du festival), Poupées d’argile du Tunisien Nouri Bouzid (2e prix), Madame Brouette du Sénégalais Moussa Sene Absa (3e prix), Heremakono du Mauritanien Abderrahmane Sissako (abondamment primé ailleurs). Qui plus est, aux très exhaustives compétitions des courts-métrages et des films vidéo s’ajoutaient deux rétrospectives minutieusement préparées et proposant des films impossibles à visionner ailleurs. Tout d’abord la première rétrospective complète sur les dessins animés et les films d’animation africains, depuis les pionniers Moustapha Alassane (Niger) ou les frères Frenkel (Égypte) jusqu’aux auteurs confirmés comme Zouhaïr Mahjoub (Tunisie) en passant par les nouveaux venus comme Celia Sawadogo (Burkina Faso). La seconde rétrospective, consacrée au cinéma d’Afrique du Sud dans les années cinquante, était elle aussi composée de films aujourd’hui introuvables.
La dernière section du Festival, « Fenêtres sur le monde », regroupait une vingtaine de films non africains témoignant d’un cinéma de « résistance » en Amérique latine, en Asie et au Proche-Orient, avec des oeuvres aussi importantes que Jénine-Jénine de l’acteur palestinien Mohamed Bakri (interdit dans son pays de résidence, Israël) ou Lettres de Palestine, un film collectif coordonné par l’Italien Francesco Maselli.
Actualité oblige ? Ce sont cette année les films documentaires comme Zimbabwe Countdown de Michael Raeburn (1er prix vidéo), où cet ancien militant (blanc) pour l’indépendance du pays décide de s’exiler suite aux récentes dérives racistes du président Mugabe ; comme Raïs Labhar du Tunisien Hichem Ben Ammar (2e prix vidéo et prix de la FAO), un portrait chaleureux des petites gens du port de pêche d’El Haouaria ; et surtout les films consacrés au terrorisme intégriste en Algérie (que Rachida traitait sur le mode de la fiction) comme Guerre sans images de Mohamed Soudani qui ont suscité les échanges les plus passionnés. Le Festival du cinéma africain de Milan a en effet pour particularité de faire débattre chaque réalisateur avec le public « à chaud », après la projection, puis à nouveau le lendemain matin avec la distance prise face aux critiques, aux autres cinéastes et aux spécialistes. Des débats sont organisés de surcroît dans les écoles et les universités de Milan.
Dans l’effrayante entreprise de désinformation qui a précédé et va suivre la première guerre ouvertement colonialiste du IIIe millénaire, le Festival du cinéma africain de Milan représente assurément un « contre-poison » nécessaire et un exemple à suivre, même s’il n’est qu’un petit fantassin dans la bataille planétaire des images !

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