L’élection de tous les dangers

En trois semaines, du 12 avril au 3 mai, toutes les institutions du « géant de l’Afrique » vont être renouvelées. À commencer par la présidence de la République. L’enjeu du scrutin dépasse largement les frontières nationales.

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

Elections législatives le 12 avril, élections du président de la République et des gouverneurs les 19 et 26 avril, élection des assemblées fédérales le 3 mai… À l’approche de ces échéances décisives, le moins que l’on puisse dire est que tout n’est pas prêt. Les candidatures ne sont closes que depuis un mois. Or on recense aujourd’hui vingt candidats à la présidentielle, cent pour les trente-six gouvernorats d’État, trois mille pour les législatives et neuf mille pour les postes de conseillers locaux. Cela nécessite l’impression de quelque 60 millions, voire 70 millions de bulletins de vote. Le retard pris est d’ores et déjà considérable.
Pour veiller à la régularité des opérations de vote, dans l’ensemble du pays, la Commission électorale nationale indépendante (Inec) est en train de recruter cinq cent mille observateurs. Mais le gouvernement traîne à lui verser l’intégralité de la somme prévue par la loi de finances 2003. Aura-t-elle jamais les moyens de ses ambitions ? Beaucoup en doutent. Le manque de personnel a déjà eu pour conséquence de retarder l’établissement des listes électorales. Initialement fixée à septembre 2002, leur clôture a dû être repoussée à janvier. De nombreux Nigérians en âge de voter n’ont toujours pas pu s’inscrire faute de bordereaux en quantité suffisante dans les centres d’enregistrement. L’Inec a même dû licencier quelques employés indélicats qui vendaient des formulaires vierges au plus offrant. Il semble par ailleurs que le choix des bureaux de vote, avec leurs listes de votants, ne soit pas achevé. Une certaine confusion est donc à craindre. Voire quelques bonnes bagarres, comme en 1999.
Ah, This is Nigeria ! Cette petite phrase revient ici comme un leitmotiv. Elle signifie, en gros : « Il ne faut pas nous en vouloir, c’est notre mode de vie. » Car personne ne doute que tout finira par s’arranger, au dernier moment. C’est d’autant plus souhaitable que l’enjeu de la consultation est capital. Ce n’est que la seconde fois en vingt ans qu’un président civil parvient au terme de son premier mandat et arrive à se représenter pour un second, dans le cadre d’élections libres et démocratiques (en dépit de tous les problèmes pratiques). La première, c’était en 1983 avec la réélection de Shehu Shagari… Tous les regards sont désormais tournés vers Olusegun Obasanjo, le président sortant, et Muhammadu Buhari, son principal challenger. « Deux militaires pour un fauteuil de président civil », grincent les cyniques.
Deux autres candidats importants sont également sur les rangs. Il s’agit, là encore, d’anciens militaires : le général Ike Nwachukwu, ancien ministre des Affaires étrangères sous le régime du général Babangida (1985-1993), et Emeka Odumegwu Ojukwu. Pour beaucoup de Nigérians, le nom de ce dernier est indissociablement associé à la guerre civile qui, entre 1967 et 1970, fit un million de morts. Aujourd’hui représentant du All Progressive Grand Alliance (APGA), qui regroupe plusieurs petits partis d’opposition, l’ancien leader de la « république » sécessionniste du Biafra affirme ne rien regretter. À l’époque, il s’agissait de sauver le peuple igbo d’un « génocide » entrepris par les Yoroubas et les Haoussas. Sans états d’âme, il se présente aujourd’hui à la magistrature suprême d’une République fédérale que, dans le passé, il a ardemment combattue.
Le pouvoir n’est donc plus directement aux mains de l’armée en tant que telle, même si les militaires continuent d’occuper le devant de la scène pour ce que les Nigérians considèrent comme une « période transitoire », en attendant l’émergence d’une nouvelle classe politique civile, peut-être lors de la présidentielle de 2007… Mais il faudra compter avec le général Ibrahim Babangida, que beaucoup considèrent comme un véritable « faiseur de rois ». En tout cas, il est l’homme le plus influent et, sans doute, l’un des plus riches d’un pays où l’argent passe avant tout. En 1999, il aurait, dit-on, contribué au financement de la campagne électorale d’Obasanjo et l’a recommandé auprès d’un certain nombre d’hommes politiques et d’hommes d’affaires du Nord. Pourtant Obasanjo est un Yorouba du Sud-Ouest, de confession chrétienne de surcroît…
Une fois élu, celui-ci a déçu son protecteur : il n’a pas été la « marionnette » espérée. Après avoir révoqué nombre d’officiers supérieurs nordistes notoirement corrompus, il n’a pas hésité à convoquer Babangida devant une commission d’enquête sur les violations des droits de l’homme, convocation que ce dernier a d’ailleurs superbement ignorée. Quoi que son bilan économique soit mince, le sortant peut donc se prévaloir du retour de son pays sur la scène diplomatique internationale. En revanche, ses compatriotes lui reprochent vertement l’absence de paix sociale. Sous son règne, les conflits ethnico-religieux ont atteint un degré de violence rarement égalé : ils auraient fait, en quatre ans, quelque dix mille victimes.
Reste à savoir ce que va faire Babangida. Pour l’instant, il reste dans l’ombre. Certes, on le soupçonne de donner un coup de main à quelques candidats de second plan, mais il ne soutient pas le nouveau « champion » des Nordistes musulmans, le général Muhammadu Buhari, qui a déjà dirigé le pays entre 1983 et 1985 et se présente sous la bannière du All Nigeria’s People Party (ANPP). Il faut dire que les relations entre les deux hommes sont passablement fraîches, Buhari ayant naguère été renversé et jeté en prison par son collègue.
Capitale sur le plan intérieur, cette élection l’est aussi pour la sous-région et, au-delà, pour le continent. L’ancien État paria exclu du Commonwealth en 1995 postule aujourd’hui à un poste de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Il est devenu un interlocuteur et un partenaire économique de poids. Un Africain sur sept est nigérian. Puissance militaire moderne, le Nigeria est le moteur de l’Ecomog, que l’on a vu à l’oeuvre dans les conflits du Liberia ou de Sierra Leone, et l’on peut se demander ce qu’il adviendrait sans lui du Nepad, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique.
Indiscutablement, cette échéance présidentielle est celle de tous les dangers. Si le Nigeria renoue avec ses vieux démons et bascule à nouveau dans la dictature, ce sera le désastre. S’il passe ce cap avec succès, la démocratie nigériane s’en trouvera consolidée et pourra servir d’exemple à tout le continent.

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